C’est une banalité de dire que notre monde est envahi par des images toujours plus présentes : au cinéma, à la télévision, sur les affiches publicitaires, dans les bandes dessinées et les jeux vidéos. Dans ce contexte, l’image en mouvement et plus particulièrement le cinéma apparaît comme un champ de recherche important et a fortiori comme un objectif éducatif prioritaire : « l’abondance des images, la présence des équipements informatiques mettent à la disposition des professeurs et des élèves des supports d’apprentissage nombreux et des occasions de connaissance multipliées. Seule la cohérence du projet pédagogique, construit par rapport aux objectifs essentiels, permet le choix des techniques, des méthodes et des documents les plus pertinents »Annexes à l’arrêté du 14 novembre 1985, parues en 1987 et en 1989 Instructions générales. Une question se pose alors : comment utiliser et exploiter un savoir médiatisé à la fois pour le chercheur et pour l’enseignant ?

I- L’image en mouvement : une source pour l’historien ?

L’image d’Epinal, la bande dessinée, les récits de grands-parents, les romans historiques, les films, la télévision véhiculent des connaissances dans lesquelles la part de fiction et des représentations est essentielle. Le savoir historique peut donc être médiatisé par différents canaux parmi lesquels le cinéma occupe une place de plus en plus prépondérante.
Ainsi, comme le souligne l’historien Christian DelageDELAGE Christian, article « Cinéma et Histoire, un état des lieux », revue M’Scope, CRDP de Versailles, n°7, mai 1994, p.121. : « les correspondances entre image et Histoire peuvent se comprendre soit comme l’adaptation de la méthode historique à l’objet particulier qu’est le film, fiction ou documentaire, soit comme la prise en compte du film comme source historique à part entière ».
En outre, les historiens trouvent légitime de critiquer les films de fiction à caractères historiques. Il s’agit au contraire de comprendre dans quel contexte se construit le film et de mesurer quelle distance celui-ci peut prendre par rapport à la réalité historique.
Par ailleurs, contrôler le passé a toujours aidé à maîtriser le présent. Ainsi, l’instrumentalisation de la mémoire est essentielle pour dominer les masses. L’engouement actuel pour les images révèle donc l’enjeu d’une mémoire dont l’historien est le garant contesté. Pierre Nora va au-delà lorsqu’il dit : « les mass médias ont désormais le monopole de l’Histoire ». Dans ce cadre, l’image filmée entre dans la définition des « les lieux de mémoire ». En effet, la démocratisation de l’enseignement et la diffusion des connaissances historiques par d’autres moyens médiatiques contribuent à éclairer le citoyen sur le fonctionnement de sa propre cité et sur les usages politiques de l’Histoire.

1) Historiographie

L’intérêt des historiens pour le cinéma est relativement récent. En effet, en 1971, Marc Ferro s’interroge sur les relations entre cinéma et Histoire et pose la question sous forme de boutade : « du film comme document indésirable pour l’historien ? » Article repris in Cinéma et Histoire, par M. Ferro, Paris, Gallimard, folio Histoire, 1993, p.31.FERRO Marc, Cinéma et Histoire, Gallimard, réed. 1993, p.31.. Ainsi, dans son article, Marc Ferro souligne que les sources utilisées par l’historien forment un corpus aussi hiérarchisé que la société, avec en tête les archives d’Etat et à l’arrière plan les matériaux filmiques. Selon cette considération, le film n’entre pas dans l’univers mental de l’historien.
Très vite, l’attitude des chercheurs s’avère plus nuancée au point de rendre évident le lien entre cinéma et Histoire. Il convient alors d’énoncer l’histoire récente de cette relation longtemps contestée en privilégiant les grandes pistes historiographiques.

Marc Ferro, dans le cadre de ses recherches, fait figure de véritable précurseur dans ce domaine. En effet, la plupart des historiens, incapables de considérer le film comme une source d’information, négligeaient ce champ de recherche. Avec Marc Ferro, l’historien pressent que le cinéma, à travers un discours explicite, permet d’atteindre un message implicite et constitue, documentaire ou fiction, un ensemble d’archives inestimables. Un nouveau champ d’investigation actuellement en cours d’exploitation s’ouvre à l’appétit des historiens. Le film devient alors objet d’étude pour lui-même et acquiert dans cette perspective un statut de document d’Histoire.

De fait, depuis ces recherches pionnières, on assiste à un véritable engouement des études historiques pour le cinéma. En 1972 par exemple, René Prédal publie chez Armand Colin dans la collection U2 : La société française à travers le cinéma, 1914/1945.

Plus récemment, M. Langny publie en 1990 aux éditions Armand Colin un ouvrage intitulé : De l’Histoire au cinéma… qui fait le point sur l’évolution de la recherche dans ce domaine. En octobre 2001 le numéro 561 des Cahiers du cinéma intitulé : « le cinéma rattrapé par l’Histoire » pose des problématiques intéressantes sur la lecture historique du film et la lecture cinématographique de l’Histoire. Ainsi, de La grande illusion à Lacombe Lucien, de M le maudit aux Sentiers de la gloire en passant par La marseillaise ou le Danton de Wajda, les historiens font apparaître les nombreuses interférences entre Histoire et cinéma qui permettent de mieux appréhender les sociétés actuelles et anciennes.

Par ailleurs, depuis cet approfondissement de la recherche en Histoire, la méthodologie d’analyse s’est diversifiée. Il faut remercier l’apport précieux des études théoriques et esthétiques de chercheurs comme Jacques Aumont et Michel Marie qui considèrent le film comme objet d’art, comme produit artistique. Dans un ouvrage qualifié par la revue Avant scène cinéma de « bible et sésame appliqués au cinéma » ces deux chercheurs dégagent de façon pertinente les acquis méthodologiques des axes de recherches liées à l’analyse filmique. Toutefois, ils ne préconisent pas une méthode universelle mais des pistes de réflexion comme le titre de leur ouvrage l’indique AUMONT Jacques et MARIE Michel, L’analyse des films, Nathan cinéma, 1988. : il ne s’agit pas de l’analyse de film mais de l’analyse des films, car chaque objet observé recèle sa part d’originalité. Passionné par le cinéma, Pierre Sorlin a orienté ses recherches sur le neuvième art dans le même sens en étudiant avec précision le montage et le découpage des films. Toutefois, conservant une approche technique et sémiologique, il va très vite mettre en relief les interférences entre cinéma et société. Son ouvrage Sociologie du cinéma : ouverture pour l’Histoire de demain (Paris, Aubier, collection historiques, 1977) fait date dans ce domaine. En effet, il montre que l’utilisation et la pratique de modes d’écriture spécifiques joignent la société qui produit le film à la société qui le reçoit. Ces aspects techniques sont donc de premier ordre pour un travail d’analyse filmique en classe.

Comme le souligne Guy Hennebelle HENNEBELLE G., « la marque Ferro », éditorial, « Cinéma et Histoire », revue CinémAction, 4ième trimestre, 1992, p.5 la diversification de la méthodologie d’analyse des films nécessite la mise en place d’un examen spécifique d’autant plus important qu’il s’agira par la suite de le mettre à profit lors d’une transposition didactique: « Décoder, aller au delà des fausses évidences d’une réception passive, c’est bien. Décoder un contenu, c’est beaucoup plus important. Et démasquer derrière les images le vrai visage de la réalité historique et sociale, c’est beaucoup plus passionnant ».

2) Le film de fiction historique : essai de typologie.

La lecture cinématographique de l’Histoire pose à l’historien le problème de sa propre lecture du passé. Les expériences des cinéastes contemporains montrent que grâce à la mémoire populaire et à la tradition orale, le cinéaste historien peut rendre à la société une Histoire dont l’institution l’a dépossédée. Mais au delà d’un siècle ou deux d’écart, la distance s’avère excessive. Nous pouvons distinguer d’emblée deux genres de films exploitables par l’historien :
– Le film documentaire qui est censé s’appuyer sur des documents, sur des témoignages ou sur une enquête.
– Le film de fiction, historique ou non où l’auteur peut exprimer en toute liberté son imagination.

Cependant, dans notre cadre, ce sont surtout les films de fiction historique qui attisent la curiosité même si la dramaturgie y est parfois sans rapport avec le contexte historique. En effet, l’analyse d’un film de fiction historique peut s’avérer plus riche dans un cours d’Histoire que celle d’un film documentaire, pour plusieurs raisons. D’une part, le film de fiction a l’avantage d’exprimer le non-dit : le rêve ou les grandes idées. D’autre part, il peut se révéler efficace dans la dénonciation de problèmes politiques ou sociaux. Une œuvre vraiment créatrice peut atteindre la vérité la plus profonde et exprimer les tendances marquantes d’une époque, parfois invisibles aux observateurs traditionnels. Le réalisateur n’est pas toujours conscient de la force et de la justesse de son message.

Parmi ces films, ceux qui font allusion à une période où le cinéma n’existait pas, attirent l’attention car ils proposent des pistes de réflexion originales. Ainsi, les principaux problèmes que posent au réalisateur les films historiques présentant une époque antérieure au XXème siècle sont essentiellement d’ordre intellectuel. Dans un article, Denys Arcand ARCAND Denys, Unesco revue Cultures numéro spécial « cinéma et Histoire », tome II, 1974 énumère les trois freins structurels de l’entreprise ciné-historienne : la contradiction entre le mouvement cinématographique et la stabilité de la connaissance historique, la faible capacité de mémorisation du spectateur et la lenteur informative du médium vocal. Malgré la difficulté de la tâche et les impératifs imposés par le récit cinématographique, il n’est toutefois pas rare de voir des historiens concourir à la réalisation de films historiques de fiction et donner leur avis sur la véracité de telle ou telle séquence.
L’Histoire, connaissance du passé qui explique le présent, a quatre sources principales qui inspirent abondamment les cinéastes :
L’institution. C’est l’Histoire officielle. L’Etat détermine la connaissance historique en décidant des programmes et en nommant les enseignants : c’est le discours du pouvoir.
La contre Histoire. C’est le contraire de ce que dit l’Histoire officielle. Mais en prônant la contestation idéologique, elle se rapproche parfois d’une autre Histoire officielle.
La mémoire. On s’en sert pour écrire l’Histoire. Cette mémoire est discréditée par l’institution qui voit en elle une Histoire vue sous un angle personnel. En fait, par sa subjectivité, la mémoire nous trompe comme elle trompe l’Histoire.
L’Histoire analytique. Elle expose des problèmes en occultant les récits trop subjectifs.
Nous retrouvons ces quatre sources historiques dans le cinéma : films d’Histoire officielle, films d’opposition, films de mémoire et films d’Histoire analytique. Comment le professeur d’Histoire peut il s’y retrouver ?

Les films de fiction utilisés dans notre corpus sont de deux grands types cette typologie est emprunté à l’ouvrage de BERNARD Danièle, FARGES Patrick, WALLET Jacques, Le film dans le cours d’Histoire/ géographie, le monde des images, les images du monde, Armand Colin, Paris, 1985, p.21 ; : D’abord les films de fictions reconstructrices à visée didactique et pédagogique, comme Les années lumières, les années Terribles, ou 1788. Les décors de ces films sont le plus souvent réels et le dialogue des acteurs se veut fidèle à la réalité historique. Puis le deuxième type met en relief les fictions dramatisées et partisanes. Les dialogues, qui mettent en présence des acteurs connus sont théâtralisés, la « réalité historique » décrite renvoie souvent à une problématique explicitement contemporaine. On peut citer parmi ces films Danton de Wajda, La marseillaise de Renoir et à un moindre degré Marie-Antoinette de Jean Delonnoy ou La nuit de Varennes d’Ettore Scola.

A cette typologie s’ajoute bien entendu une réflexion personnelle des auteurs sur la Révolution française correspondant très souvent à un moment précis de l’historiographie et un contexte particulier.

3) Le mythe de la Révolution française au cinéma.

La Révolution française a suscité des polémiques, des chansons, des lettres, des romans, des pièces de théâtre, et une abondante historiographie. En effet, « la révolution française ! Cet événement, prodigieux par son ampleur et ses effets, n’a cessé de hanter l’imaginaire des peuples comme de régir les actes de maints zélateurs » ICART Roger, La Révolution française à l’écran, Milan, 1988, p.11. . Honnie par les uns, exaltée par les autres, la Révolution française se devait d’inspirer les écrivains, les philosophes et d’une manière générale, les artistes. Dans les outils de transmission du savoir, le cinéma ne pouvait être ignorer bien longtemps. Le choix d’étudier la période révolutionnaire à travers le cinéma permet de mettre à jour de façon originale les problèmes scientifiques que pose l’étude de la Révolution française car « le mythe de la Révolution » GERARD Alice, la Révolution française, mythes et interprétations (1789-1970), Flammarion, 1970, coll. Questions d’Histoire. se nourrit de discours et de scènes historiques ancrés le plus souvent dans l’abîme d’une lecture passionnelle des évènements. L’examen de films consacrés à la Révolution française met en évidence, selon Roger Icart ICART Roger, La Révolution française à l’écran, Ed. Milan, 1988., des représentations à travers deux thèmes d’inspiration à forte charge symbolique : les grands personnages de cette période troublée et le récit des grandes journées révolutionnaires.

Une remarque se dégage de la lecture des travaux de Sylvie Dallet DALLET Sylvie, La Révolution française et le cinéma, Lherminier, éditions des quatre-vents, Paris, 1988. et de Raymond Lefevre LEFEVRE Raymond, Cinéma et révolution, Edilig, 1988. : aucun film ne raconte les événement ou ne décris un personnage de la même façon. Dans leur plus grande proximité, les plans maintiennent une nette distinction entre deux œuvres. Cela revient à s’interroger sur la façon dont les cinéastes recréent les pages d’Histoire et sur l’influence de l’historiographie de la Révolution sur leur production.
Le contexte de création des films peut donc être mis en étroite collaboration avec les grandes phases historiographiques de la Révolution.

La perception de la Révolution française au cinéma repose sur une tradition historiographique précise et sur un arsenal légendaire souvent antérieur au 19ème siècle. Une Confrontation est nécessaire entre le cinéma et les grands courants de la littérature et de la politique pour saisir l’implication d’une forme d’art sur d’autres, et d’un mouvement de pensée sur l’inconscient collectif. Ainsi le cinéma prend place aux côtés de l’enseignement universitaire et de la littérature historique pour évoquer la transmission du passé. Même si les images filmiques sont encore mal acceptées parmi ces « lieux de mémoire » qui, selon Pierre Nora, ont modelé depuis la Révolution française les imaginaires nationaux, le cinéma concurrence efficacement l’enseignement de l’Histoire et joue un rôle de premier ordre dans la construction de nos appartenances nationales.

Ainsi, un réalisateur fidèle dans ses lectures à Furet, Soboul ou Vovelle oriente son film de façon plus ou moins consciente vers une conception raisonnablement engagée de la Révolution française. Il semble aujourd’hui, que l’imaginaire du public et des médias corresponde plus au Danton de Wajda qu’à celui de Lavisse.

A l’instar de Pierre Guibert et Michel Oms, auteurs de L’Histoire de France au cinéma, l’analyse du personnage de Louis XVI, souligne que : « aux yeux éblouit de plusieurs générations de spectateurs, Louis XVI a-t-il pris pour longtemps les traits de Pierre Renoir, Jacques Morel, Robert Morley ou Jean-François Balmer ? Cependant, en sens inverse, des personnages romanesques issus de la grande littérature ou du feuilleton populaire ont pris pied dans l’Histoire, tel le bossu au contact du régent, ils ont acquis l’épaisseur de la vérité historique. Voici comment, inextricablement, à la faveur de la confusion qu’engendrent les salles obscures, la fiction et le réel, mais aussi le passé national et le passé du spectateur se sont croisés pour former la trame du tissu culturel français » GUIBERT P., OMS M., “l’Histoire de France au cinéma” in Cinémaction H. S., Ed. Corlet, 1993..

Le cinéma a recréé un portrait de Louis XVI à partir de celui que la Révolution avait dressé à l’usage de tous : un homme bon mais faible, irrésolu, qui n’était pas l’homme de la situation. Un homme bien gentil en somme, mais qui incarne à merveille le mythe de la royauté exténuée, expirante, surannée, vieillie, dépassée par une Histoire dynamique et ambitieuse. Bref, une monarchie inadaptée à l’avenir. Autre clichés établi par le cinéma : Louis XVI représenté très souvent de la même taille que les personnages qui l’entourent alors qu’en réalité il mesurait plus d’un mètre quatre-vingt-dix et qu’il était d’un carrure colossale. Que dire alors du Louis XVI caricaturé en glouton ?

Certains films vont jusqu’à le représenter bégayant ou zozotant pour inspirer la moquerie du public ! Or nul ne sait s’il avait de défaut d’élocution. Peu importe : l’important est de le ridiculiser pour le rendre pathétique (voir TP : Louis XVI à travers le prisme du cinéma). Les historiens ne doivent donc pas rester insensibles à ces phénomènes de société surtout lorsqu’ils traitent de sujets passionnels comme la Révolution française.

Conclusion

Le cinéma est bien un objet d’Histoire. A la lumière de la recherche actuelle, le film est de moins en moins étranger à l’univers mental des historiens. A ce titre, l’enseignant peut tout autant s’appuyer sur des films dont l’Histoire est le cadre que sur des films dont l’Histoire est l’objet. Le professeur d’Histoire apparaît ainsi à la charnière des savoirs savants et scolaires.
Certes, ce type de document ne doit pas être privilégié mais ses apports demeurent féconds pour le professeur d’Histoire dans sa perspective pédagogique et critique car le film révèle aisément son intérêt cognitif. Le cinéma est une passerelle tendue entre les savoirs scolaires et la culture extrascolaire, en particulier télévisuelle des élèves.

Pour enseigner l’Histoire à travers le cinéma, plusieurs questions se posent : comment faire pour que les élèves se sentent concernés par le sujet ? Comment transformer en acteur ce public souvent passif ? Quelle conception de l’Histoire sous-tend le document ? Le scénario est-il bâti autour d’un personnage, d’un thème ou d’une classe sociale ? Le film est-il réellement compatible avec une utilisation pédagogique ? Quels sont les réajustements nécessaires pour cette forme d’utilisation ?

Il va de soi que le débat sur l’historiographie de la Révolution visible à travers des productions cinématographiques pour le spectateur averti doit rester toujours à l’esprit de l’enseignant et se reflétera dans le choix des extraits et de la problématique choisie aussi bien au niveau du collège que du lycée même si au collège il ne sera pas engagé pour lui même.

II De la source historique au support pédagogique.

1) La place des images et le choix du corpus au regard des programmes et des instructions officielles.

La richesse des images qu’offre le cinéma permet au professeur d’Histoire de puiser dans une mine inépuisable d’informations. Il ne doit pas systématiquement considérer le film comme un tout mais utiliser avec profit de courtes séquences. Ainsi, la fonction principale du professeur est alors de trier les informations, de sélectionner les séquences susceptibles d’être intéressantes et d’en analyser les dérives car « Enseigner c’est d’abord faire des choix » LE PELLEC Jacqueline, VIOLETTE Marcos-Alvarez, Enseigner l’Histoire : un métier qui s’apprend, Hachette éducation, 1991, p.101..

Ce travail effectué en fonction des instructions officielles met en valeur des éléments qui seront utilisables comme documents historiques et transposables dans des séquences d’enseignement. Ainsi, des scènes bien choisies sont plus faciles à mémoriser qu’un ouvrage abordant le sujet et elles enrichissent la présentation pédagogique à telle point que Les années lumières et Les années terribles ont été réalisées à des fins pédagogique claires et annoncées lors du bicentenaire de la Révolution française.

De plus, nous pouvons constater que les connaissances que peuvent avoir les élèves sur la Révolution française ou sur d’autres périodes historiques sont la plupart du temps issues du cinéma. Ainsi, ayant consciencieusement relu Furet et Soboul pour préparer son cours sur la période révolutionnaire, l’enseignant découvre que ses élèves sont imprégnés des images de la série télévisée sur Napoléon ou d’images du film d’Enrico sur la Révolution diffusés la veille. Voilà donc deux formes de savoirs différents par leur mode de transmission, auxquels le professeur mais aussi les élèves ont accès. Or dans l’esprit des élèves, ces deux savoirs ne se distinguent pas. Pour cela, il faut confronter et critiquer les documents car le cinéma est nécessairement l’objet d’une représentation.

En accord avec les instructions officielles, le but du professeur est de montrer que ces différents savoirs ne sont pas régis par les mêmes principes de construction. Cependant, il est parfois difficile de montrer aux élèves en quoi les médias sont les vecteurs d’une ou plusieurs Histoires. Le choix du document filmique se fait donc en fonction de la progression établie, des instructions officielles, des connaissances et des capacités des élèves à regarder et à comprendre le document retenu.

Enfin, la place de l’extrait dans la séquence est déterminée par les stratégies pédagogiques et les démarches adoptées qui peuvent être différentes en classe de quatrième ou de seconde. Le personnage du roi sert de trame narrative pour évoquer la période révolutionnaire même après sa mort. Louis XVI d’une manière ou d’une autre apparaîtra donc en filigrane à travers toute la séquence sur la période révolutionnaire.

2) Le film comme illustration

Le premier intérêt du film de fiction pour l’enseignant est d’abord sa fonction d’appât. Ainsi, les films sur la Révolution française sont volontiers utilisés pour illustrer à plusieurs niveaux des évènements, des personnages, des lieux ou des thèmes. A travers ces considérations, le personnage du roi et ses réactions face aux évènements peuvent apparaître comme fil conducteur de l’analyse des séquences.
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Louis XVI au cœur de trois dimensions de la période révolutionnaire

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– Le film comme illustration d’un événement.

L’événement fait parti inhérente du récit et de l’évolution de la dramatique du film. Il est donc primordial de choisir des moments clés et révélateurs pour construire sa séquence. Le choix de ces événements s’effectuer en fonction des repères chronologiques proposés par les programmes.

Ainsi, la prise de la bastille (14 juillet 1789), l’abolition des privilèges (4 août 1789), la déclaration des droits de l’homme (26 août 1789), la chute de la monarchie (10 août 1792), la chute de Robespierre (9 thermidor an II), le coup d’état du 18 brumaire 1799, le sacre de Napoléon (décembre 1801) sont autant de dates clés, présentes dans les programmes, que le cinéma peut illustrer.

Le cinéma offre non seulement « un récit synthétique qui permet de présenter les épisodes majeurs » de la Révolution française mais aussi des représentations plus ou moins originales de cette période. Le rôle du professeur est alors double : d’abord, il se doit d’insister sur la signification politique et sociale de chacune des phases retenues, étape indispensable en Quatrième, puis il nuance les visions proposées en confrontant les sources filmiques et les différentes conceptions des réalisateurs, démarche plus appropriée en Seconde. On peut mettre à profit l’étude d’une journée révolutionnaire par le film de fiction afin « de sélectionner quelques grandes idées développées à l’aide d’exemple précis, à forte charge symbolique ». Le suivi d’une journée révolutionnaire à travers le cinéma a l’avantage de rendre compte du rôle concret des différents acteurs de la Révolution, des tensions à l’œuvre et de l’emploi de la violence. Deux exemples sont particulièrement parlants pour évoquer les tournants majeurs de la marche à la Révolution: le 14 juillet 1789 et le 10 août 1792.

Tout d’abord, le 14 juillet 1789 apparaît comme le premier événement révolutionnaire retenu par le cinéma. Pierre Nora l’a clairement identifié comme l’un de nos principaux « lieux de mémoire ». Il renseigne sur la force d’une pression populaire inorganisée et sur la distance du roi face à l’évènement. Toutefois, si beaucoup de films parlent de la prise de la Bastille, peu la montrent, car cela exige d’importants moyens financiers. Ainsi, Renoir dans sa Marseillaise y faisait allusion par le dialogue sans la montrer. La Marie-Antoinette de Jean Delannoy ou les différentes versions de Madame sans gêne présentent le même artifice filmique. La troisième République, en la choisissant pour fête nationale, en fait un symbole : celui de la victoire des idées démocratiques sur l’arbitraire royal, la vidant aussi de sa réalité première pour l’anoblir, la parer des éclatantes couleurs d’un événement heureux, d’une délivrance salutaire. C’est d’ailleurs sous cette forme que, la plupart du temps, le cinéma l’évoque. Toutefois, seuls les films américains peuvent, grâce à leurs énormes moyens, se permettre de faire revivre cette scène de mouvement et de fureur. Un travail auquel ils s’appliquent dans les diverses adaptations de A tale of two cities où l’accent est mis sur l’aspect salvateur de l’événement. En brisant les chaînes du pont-levis de la forteresse ce sont celles de la monarchie qui sont brisées.

Dans la même perspective, la prise de la Bastille dans Les années lumières (voir TP : L’année 1789 à l’écran) constitue, dans le contexte de sa réalisation l’année du bicentenaire, une forme de célébration officielle. En classe, on peut insister sur les scènes de foule et les scènes comportant des personnages identifiés en y comparant le cadrage et l’utilisation de la musique pour démontrer comment ces techniques appuient ce que le réalisateur a voulu montrer.

La prise des tuileries fait parfaitement échos à celle de la bastille et permet de mesurer les acquis des élèves, bien qu’il s’agisse ici d’une insurrection organisée et non d’une émeute. Le 10 Août est souvent traité de manière allusive voire symbolique par le septième art. Ainsi, les nombreuses versions de Madame Sans-Gêne, (voir TP La chute de la royauté vue par le cinéma) retracent cet épisode mais sans jamais le montrer. Là encore, il faut attendre les grosses productions américaines pour voir le peuple de Paris dresser des barricades et s’élancer à l’assaut du palais des tyrans.

En France, le seul film qui, à ce jour, ait tenté de nous faire comprendre cet épisode décisif, est La Marseillaise de Jean Renoir. Ce film est d’autant plus original qu’il met en avant un aspect de la personnalité de Louis XVI peu connu et loin des clichés habituels. Après avoir suivi la longue marche des Marseillais et assisté à leur arrivée triomphante au faubourg Saint-Antoine, le spectateur est transporté aux tuileries au moment où parvient à Paris le désastreux manifeste du duc de Brunswick. C’est l’occasion pour Renoir de nous présenter un Louis XVI digne, malheureux, pathétique, dépassé par les évènements face à une Marie Antoinette hautaine, agressive et méprisante. Cette vision inhabituelle, qui lui fut reprochée, a été expliqué par la suite : « en me documentant, j’en suis arrivé à la conclusion que Louis XVI était un personnage, d’abord d’une très grande bonté, et ensuite d’une très grande distinction. J’entends par là, qu’il n’était pas vulgaire. J’ai même l’impression que cet homme se savait victime de la destinée et savait qu’il n’y avait pas à lutter. Ce personnage royal est flanqué d’une femme qui est une espèce de caquetière agressive, car malgré sa naissance, Marie-Antoinette étaitunefemme extrêmementvulgaire.Toutcequej’aiapprisd’ellemedéplaît. Elle n’avait aucun goût. Tandis que Louis XVI avait du goût. Et aussi de la lucidité. J’ai l’impression que Louis XVI savait que c’était la fin… » In Cahiers du Cinéma, n°196, décembre, 1967..

Cette conception explique la façon dont Renoir a reconstitué ces journées : la désapprobation de Louis XVI devant les excès du manifeste, l’intervention de la reine pour sa publication, une scène très vive entre elle et le procureur syndic de la Seine, Roederer, l’ascendant de celui-ci sur le roi. Avec application, Renoir retrace les principaux épisodes de cette journée : l’inspection des gentilshommes qui l’acclament, celle des canonniers qui le conspuent, le départ de la famille vers l’assemblée avec ces « mots historiques » (-marchons ! -les feuilles tombent de bonne heure cette année), le combat enfin où l’on retrouve le bataillon des marseillais. Les années lumières où Louis XVI, incarné par un Jean-François Balmer attachant, imitent la représentation du roi pathétique mais lucide du film de Renoir. La musique de fin de cette première partie démarre sur la prise des tuilerie avec pour préambule une phrase du roi envers son fils Charles réfugiés à l’assemblée : « tu vois Charles à partir de maintenant il n’y a plus de roi en France ».

Dans cette optique, la question fondamentale à se poser avec les élèves est celle du sens de ces journées et pour cela il est souhaitable d’aller au delà de l’événement et de le mettre en perspective par la construction d’un tableau et d’une frise chronologique.

– Le film comme illustration d’un personnage ou d’un groupe de personnages.

Il est indispensable de proposer les portraits de quelques-uns des principaux acteurs de la Révolution, symboles éloquents de la période étudiée. En effet, les notices biographiques et les portraits, peuvent être utilisés à tous moment pendant l’étude du chapitre et répondent à l’exigence du programme de présenter aux élèves les principaux acteurs de la Révolution.

Quelques grands personnages peuvent ainsi être évoquées : Louis XVI et Marie Antoinette, Danton et Robespierre, Barras et Bonaparte. L’objectif est de savoir construire une biographie et de mémoriser des moments clés de la Révolution concernés par ces acteurs. La disparition du roi de la scène politique déchaîne les passions et renforce les conflits pour le pouvoir.

L’époque de la terreur révèle le duel inévitable Danton-Robespierre (voir TP sur les acteurs de la Révolution française : Le duel Danton /Robespierre à l’écran). Alors que Robespierre quoique présent dans de nombreux films, n’a suscité aucune œuvre « biographique », Danton polarise sur sa robuste personne l’intérêt des cinéastes de divers pays. Cependant très souvent lorsque Danton hante la pellicule, Robespierre n’est jamais très loin. La tradition veut que la mort de Danton symbolise la mort d’une certaine idée de la liberté. Le cinéma a ainsi toujours représenté Danton comme un personnage haut en couleur, dont l’éloquence et la vitalité sont les atouts premiers de la séduction qu’il exerce sur ses compagnons. Même sa vénalité est justifiée par son intense besoin de profiter de la vie. A cette figure extravertie s’oppose l’image rigoriste d’un Robespierre replié sur lui même et sur son idéologie, dont la vie n’est alimentée que par les froides résolutions révolutionnaires.

Dans la grande coproduction réalisée à Paris en 1982 sous les auspices du gouvernement français, par le cinéaste polonais Andrezj Wajda, Danton est présenté comme le partisan d’une révolution modérée qui mettrait fin aux conséquences sanglantes de la terreur. Le film situe l’action au plus fort de la crise, entre novembre 1793 et avril 1794, au moment où la terreur apparaît comme la seule solution pour galvaniser les énergies face aux périls de la nation. Il ne se perd pas en reconstitutions somptueuses, mais cherche au contraire l’affrontement verbal d’une tragédie shakespearienne entre deux hommes. Mais la défaite de Danton, c’est aussi l’Histoire d’un procès politique, où l’accusé ne peut se défendre ni s’expliquer, où la condamnation est décidée d’avance. Victime de l’intolérance, Danton devait être opposé à un personnage incarnant l’idée de despotisme. C’est la fonction que Robespierre a souvent remplie quand il était question de présenter la Révolution, car la complexité de sa personnalité a longtemps dérouté cinéastes et historiens.

En tout cas, il est indéniable que sa bonne compréhension des évènements et son rôle privilégié dans la Révolution font de lui un personnage déterminant de cette période. La confrontation de ces hommes hauts en couleur permet à l’élève de mettre en avant les tendances politiques de l’époque.

Bien plus qu’au traditionnel portrait physique, on s’attache aussi aux origines sociales, à la formation reçue, à l’appartenance à une génération que l’on situe avec précision. Par exemple, les élèves peuvent remarquer que les lectures de Robespierre dans Les années lumières (Le contrat social de Rousseau) sont héritées des philosophes du siècle précédent. Cela assure un continuum avec les chapitres étudiés auparavant. Pour optimiser ce travail, il convient de préparer la réflexion des élèves en leur faisant rédiger de courtes biographies sur ces personnages avant de visionner les extraits. Elles sont utiles pour comprendre les choix des réalisateurs : les acteurs sont ils bien choisis et sont ils représentatifs ?

Le film se manifeste alors comme une aide précieuse à la mémorisation de grands personnages. Toutefois, il est important de souligner que cette mémorisation n’est pas une fin en soi, mais un point de départ pour la découverte d’un personnage voir d’un groupe de personnages. Il est aisé de sélectionner dans notre corpus des scènes qui mettent en relief un groupe d’individus comme le clergé (haut ou bas), la noblesse, ou le tiers-état (bourgeoisie ou paysannerie). 1788 et La Marseillaise semblent adéquat pour dresser un portrait du monde paysan lors de la rédaction des cahiers de doléances, comme les deux Marie Antoinette offrent une vision pertinente des fastes de la cour (voir TP : Dansez marquises !).

Autre groupe capital, les sans-culottes font ressortir, au-delà de l’activité des « grands hommes », l’action décisive du peuple comme acteur collectif dans le processus révolutionnaire. Le même travail peut être réalisé autour de l’apparition des femmes dans la sphère politique.

– D’un document patrimonial

La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen à travers l’étude de quelques articles significatifs, attire l’attention des intellectuels. Ainsi, pour Michelet, la déclaration est le « vraie génie de la révolution » car elle connaît un retentissement universel.

A travers, la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, le propos d’Enrico apparaît comme « une profonde médiation, par la mise en scène cinématographique, sur l’essence du pouvoir et sur ses mutations historiques ». Ainsi dans les années Lumières, la séquence des droits de l’homme s’articule autour d’une voix aérienne qui descend sur le peuple et redresse les humilités, relève les têtes et donne enfin sens à tous les écrits philosophiques sur la dignité humaine.

Les élèves apprécient de repérer les scènes qui sont autant de tableaux et de vérifier si l’article lu à haute voix lui correspond bien. L’article 11 de La déclaration : « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme, tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté, dans les cas déterminés par la loi » est évoquée à travers une scène représentant l’imprimerie de Camille Desmoulins de façon assez réaliste.

Le sacre de Napoléon le 2 décembre 1804 et sa représentation par David, peintre officiel de l’empereur, est aussi inscrit dans les programmes comme document patrimonial.

Il permet de montrer de façon pertinente tous les enjeux de l’événement. Le téléfilm de France 2 avec Christian Clavier dans le rôle de Napoléon peut dans cette optique être utilisé de manière cohérente. En effet, de la préparation du sacre jusqu’à sa commémoration à travers la peinture de David, il se manifeste telle « une poupée gigogne » dans la production télévisée (voir TP : Le sacre de Napoléon à l’écran).

– D’un thème d’études

Nous pouvons essentiellement privilégier cette approche en classe de seconde. Le film est interprété comme un point de vue subjectif sur une période historique. Il introduit et favorise les compléments d’analyse, les nuances ou les divergences qui enrichiront les représentations. La dimension critique vient alors nourrir le discours de l’enseignant et les acquis de ses élèves. Ainsi l’étude des différents lieux de l’exercice de la démocratie : églises pour la rédaction des cahiers de doléances (voir TP : La société française à la veille de la Révolution française : 1788), salle des menus plaisirs pour la réunion des Etats généraux, assemblée ou clubs organisant les débats politiques, permettent de spatialiser les expériences politiques de la période.

3) Le film comme discours historique : une méthode d’analyse pour l’enseignement.

Le film se manifeste comme un document historique à part entière. De ce fait, il doit être soumis à l’analyse critique du professeur à plusieurs niveaux. En effet, comme tout autre document, l’image doit être identifiée : composition, source, support, technique. De même les particularités de l’extrait doivent être observées : critique externe avec le rapport à l’époque de réalisation du film et critique interne avec le rapport à l’époque où se déroule le film.

Il faut initier l’élève au regard critique sur un document trop souvent reçu comme argent comptant. La présence des universitaires sur les plateaux de tournage tend à crédibiliser l’utilisation pédagogique des films. On peut citer dans ce domaine des films tel que 1788.

Certains films aident à comprendre le passé en offrant une reconstitution crédible d’un événement ou d’une situation, même si elle n’est pas fidèle à la réalité. Ils restituent une atmosphère historique difficile à rendre par écrit comme un mouvement social, la vie d’un quartier ou les conditions d’existence particulières d’un groupe. Ces films peuvent donc être largement mis à profit devant une classe en prenant soin de les restituer dans leur contexte de production.

L’éducation du regard et l’éveil critique par la confrontation des images filmiques avec d’autres documents d’origine et de nature variées doit plus que jamais être au centre des préoccupations du professeur. Les programmes de lycée indiquent qu’« il s’agit de poursuivre ce qui a été entrepris au collège, accès au document historique, lecture et analyse de documents écrits ou figurés, confrontation de documents présentant une approche différente d’un même événement ». En effet, l’image filmique ne prend de sens qu’au contact d’autres sources d’informations : textes, gravures, tableaux.

On peut évoquer ici la scène des Années lumières d’Enrico qui reprend jusqu’au vent qui s’engouffre dans les rideaux du croquis de David sur Le serment du jeu de paume.

Conclusion

Certains films ont pour ambition de relater des évènements historiques, d’autres recréent une époque : l’enseignant doit avoir en mémoire que l’image n’est jamais la reproduction ou la photocopie d’un réel, mais une représentation codée qu’il faut apprendre à lire car « l’image est langage ». C’est pourquoi la confrontation de différents films s’avère toujours pertinente à n’importe quel niveau.

III De l’utilité du film en classe.

La place d’un film relève d’une évaluation complexe, les éléments de cet assemblage réflexif sont ancrés dans la discipline au niveau épistémologique mais aussi didactique et pédagogique. Le professeur d’Histoire doit ainsi tenir compte de tous ces paramètres pour mettre en place une situation d’apprentissage cohérente.

1) Prendre place dans une problématique.

Le problème didactique renvoie aux choix des thèmes et des concepts retenus pour l’étude de la Révolution française. Il s’agit d’après les programmes de sélectionner « des jalons importants dans l’élaboration de la civilisation contemporaine et des ruptures majeures » BO HS numéro 6 du 31 août 2000. . Trois objectifs sont assignés au professeur : « faire percevoir la rupture fondamentale représentée par cette période », « évoquer les grands repères chronologiques, les moments forts et les acteurs de cette période », « dégager un bilan des bouleversements provoqués, en particulier dans les domaines politiques et sociaux » Idem .

Il est important de préciser ces problématiques au préalable car elles ne sont pas explicites dans le visionnage des films. Dans ce cadre, l’enseignant se doit de formuler de manière claire la problématique aux élèves. Celle-ci peut poser les questions suivantes : en quoi la période révolutionnaire est elle une rupture fondamentale ? Comment la France parvient elle à réaliser un fragile équilibre politique et social. En accord avec les programmes, le processus pourrait, dans la classe de seconde, s’énoncer sur trois axes d’observation : La France entre perturbation et stabilité à la veille de la Révolution, l’ambiguïté de la fondation d’une France nouvelle entre 1789 et 1799, l’héritage des valeurs de la Révolution française de 1799 à 1851.

2) Démarche d’apprentissage ou démarche pédagogique ?

En premier lieu, cette démarche pédagogique s’inscrit dans un contexte institutionnel : classe de quatrième et classe de seconde, textes officiels et programmes d’accompagnements du collège et du lycée. Elle se réfère à des choix de méthodes qui peuvent être variées. Il n’y pas, en effet, de mode unique d’intégration d’un film dans une pratique scolaire.

L’enseignant doit retenir en second lieu, que le film permet de recourir aux représentations et à l’imaginaire de l’élève : « reposant sur l’image mais aussi sur une bande sonore, le film est un déclencheur privilégié d’images mentales » BERNARD Danièle, FARGES Patrick, WALLET Jacques, Le film dans le cours d’Histoire/ géographie, le monde des images, les images du monde, Armand Colin, Paris, 1985 . Or, l’imaginaire a un rôle important dans le processus d’apprentissage. Son objectif n’est pas dès lors d’accroître la quantité de connaissance mais d’en assurer l’assimilation. Il devient ainsi un moyen d’intriguer les élèves et peut leur servir de motivant pour consulter d’autres documents, pour approfondir des recherches au CDI ou sur Internet, ou pour s’approprier le thème étudié en prenant l’initiative de préparer un exposé.

3) Intégrer le film dans la séquence.

L’utilisation de l’image filmée en classe ne doit pas se compromettre dans une transmission passive de la connaissance. Le professeur doit initier au langage filmique préalable à toute projection, pour les aider à repérer les effets produits par les diverses techniques cinématographiques. A coté de l’approche classique du contenu, l’étude d’un film de fiction nécessite une juste analyse des formes qui s’appuie sur l’étude de tableaux dans les chapitres précédents : l’Europe moderne au XVII et XVIIIème siècles à travers l’art baroque et classique en Quatrième, Humanisme et Renaissance avec l’analyse de La tour de Babel de Bruegel en Seconde. Elle suppose un minimum d’apprentissage du vocabulaire et de la forme cinématographique, d’où la mise en place avant le premier extrait de quelques jalons techniques. Il convient d’abord de différencier les étapes de fabrications d’un film avec un départ écrit, le synopsis et le scénario préalables au tournage et au montage. A chaque étape le réalisateur opère des choix spécifiques en fonction de son message. La vision d’un extrait permet ensuite de déterminer ce qu’est une séquence de film : une unité de temps, d’action et de lieu. A partir du choix de l’une d’entre elles, le professeur explique les différents types de plans : plan large, plan d’ensemble, plan moyen, américain, gros plan. Les mouvements de caméra se répartissent entre plan fixe, panoramique et travelling. Quant aux axes de la caméra, on retient généralement, la plongée et la contre plongée. Toute cette technique a une signification. Ainsi, le comte de Parilly est filmé la plupart du temps en contre plongée dans 1788, ce qui symbolise la domination qu’il exerce sur les paysans. L’élève, confronté à ce découpage de l’extrait s’étonne souvent de l’importance de chaque détail qui résulte d’un choix conscient du réalisateur.

Bien sûr, pour respecter la logique de concentration des élèves, aucune séquence de film ne doit dépasser dix minutes. Au-delà, le cours est menacé par la dispersion des élèves et par l’arrêt impromptu de la séance par la sonnerie.

C’est en fonction de tous les paramètres exposés dans le schéma suivant que le professeur peut élaborer sa séquence d’apprentissage.
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La place du film dans la séquence d’enseignement.

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Conclusion

Incontestablement, l’initiation à la lecture de l’image ne relève pas d’un simple apprentissage technique. Elle renvoie pleinement à une formation méthodologique, à une éducation non seulement de l’œil mais aussi de l’oreille. Elle apparaît au cœur des sciences sociales et plus particulièrement d’un projet d’éducation civique par le développement de l’esprit critique. L’éducation du regard des élèves, par rapport au cinéma et à la télévision est donc un enjeu essentiel de la mise à distance de l’objet observé.

Cette démarche progressive permet alors d’apporter à l’élève un perfectionnement régulier en matière d’attitude car il passe d’un statut de spectateur passif à une position d’acteur dynamique grâce à l’apprentissage du geste.

Bibliographie

Sur la Révolution française

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Sur les rapports cinéma et Histoire

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DELAGE Christian, article « Cinéma et Histoire, un état des lieux », revue M’Scope, CRDP Versailles, n°7, mai 1994.

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GUIBERT P., OMS M., “l’Histoire de France au cinéma” in Cinémaction H. S., Ed. Corlet, 1993.

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LAGNY M., « De l’Histoire au cinéma » in Méthode historique et Histoire au cinéma, Ed. Colin, 1992.

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Sur la Révolution française à l’écran

DALLET S., La Révolution française et le cinéma, Lhermier, éditions des quatre-vents, Paris, 1988.

ICART R., La Révolution française à l’écran, Milan, 1988.

LEFEVRE R., Cinéma et Révolution, Edilig, 1988.

Sur l’analyse filmique

AUMONT J., MARIE M., l’analyse des films, Nathan, 1988.

AUMONT J., BERGALA, MARIE M., VERNET, Esthétique des films, Nathan, 1983.

Sur l’enseignement

BERNARD Danièle, FARGES Patrick, WALLET Jacques, Le film dans le cours d’Histoire/ géographie, le monde des images, les images du monde, Armand Colin, Paris, 1985

LABATUT Ludovic, De l’utilisation du film de fiction en Histoire dans une classe de seconde : la période révolutionnaire, mémoire pédagogique, Perpignan, 2001-2002.

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MARIE Vincent et CHEREL Ronan, Echec au roi, mémoire pédagogique de l’élève acteur à l’élève spectateur, Rennes, 2002-2003.

Filmographie

Danton d’Andrzej Wajda, 1982, (couleur, 2h16 min).

La marseillaise de Jean Renoir, 1936, (noir et blanc, 130 min).

Les années lumières et Les années terribles de Robert Enrico et de Richard T. Heffon, 1989 première et deuxième époque, (couleur, 5h24 min).

1788 téléfilm de Maurice Faivelic, 1978, (couleur, 1h37 min).

Marie Antoinette de W.S. Van Dyke, 1956, (noir et blanc).

Marie Antoinette De Jean Delonnoy, 1964, (noir et blanc).

La nuit de Varennes d’Ettore Scola, 1981, (couleur, 2h30 min).

Madame sans gêne de Christian Jaque, 1961, (couleur, 97 minutes).

A tale of two cities de Jack Conway, 1935, (noir et blanc).

Napoléon d’Abel Gance, 1927, (noir et blanc).

Napoléon, téléfilm de Simmenau, France 2, 2002, (couleur, 4 épisodes)

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