« That’s a secret I’ll never tell… You know you love me. XOXO, Gossip Girl ». Ce générique devenu culte pour toute une génération vous évoque sûrement les intrigues de la jeunesse dorée de Manhattan. Derrière les allées de l’Upper East Side se cache en réalité toute une vision des États-Unis diffusée à des millions de spectateurs dans le monde : celle de l’American way of life où le système capitalisme bat son plein. À travers la mise en scène d’une élite new-yorkaise fantasmée, Gossip Girl fait rayonner à l’échelle internationale un art de vivre, un modèle de réussite et un patrimoine idéalisé renforçant la puissance étasunienne. Presque deux décennies après le lancement de son premier épisode, la série continue de séduire les nouvelles générations sur les plateformes de streaming mais aussi sur les réseaux sociaux faisant le succès de sa longévité. C’est ainsi que Gossip Girl, au-delà d’être une oeuvre culte de la pop culture, s’érige comme un véritable levier de Soft power pour les États-Unis.
Synopsis : Au cours de 6 saisons, diffusées entre 2007 et 2012, Gossip Girl plonge les spectateurs dans le quotidien mouvementé d’un groupe d’adolescents issu de l’élite de Manhattan. Leurs histoires d’amour, trahisons et secrets sont dévoilés sur un blog anonyme dont le propriétaire se cache sous le pseudo « Gossip Girl ». Au coeur de la série se retrouvent Blair Waldorf, reine ambitieuse du lycée, Dan Humphrey, le garçon solitaire de Brooklyn, Serena van der Woodsen, protagoniste mystérieuse rattrapée par son passé, mais aussi Chuck Bass, l’héritier d’un important patrimoine financier. À travers ces protagonistes, Gossip Girl révèle sur petit écran les codes d’un monde où le pouvoir et l’argent sont maîtres, et où l’image publique devient une arme d’influence redoutable.
Représentation flatteuse de l’American way of life et du modèle capitaliste
Gossip Girl c’est tout d’abord la transmission de l’American way of life ainsi que du capitalisme. L’American way of life désigne l’art de vivre à l’américaine qui serait fondé sur la réussite individuelle, la liberté et la prospérité matérielle. Cet art de vivre se retrouve dans Gossip Girl à travers la jeunesse dorée de Manhattan. Ce quartier de New York incarne à lui seul les valeurs défendues par l’American way of life. En effet, l’île de Manhattan abrite le centre financier et culturel de New York, ainsi que les grandes fortunes de la ville. À titre de comparaison, le revenu médian à Manhattan est de 61.439 dollars en 2023 contre 41.171 dollars dans le quartier de Brooklyn ou encore 28.664 dollars dans le BronxData Commons : https://datacommons.org/place/geoId/36061?hl=fr. Le quartier de Manhattan est donc le lieu privilégié pour mettre en scène l’art de vivre défendu par les États-Unis, même si ce quartier ne représente pas fidèlement la diversité socio-spatiale de New York. Les personnages de la série, à l’image de Serena van der Woodsen et Blair Waldorf, incarnent un mode de vie très aisé où la prospérité matérielle est mise en avant en plein coeur de l’Upper East Side, secteur le plus riche de tout Manhattan. Le quotidien des protagonistes prend place dans des appartements de luxe, limousines haut de gamme et au prestigieux lycée privé Constance Billard. L’art de vivre défendu dans Gossip Girl repose aussi sur une consommation de produits de luxe avec des marques comme Chanel ou Hermès qui sont directement mises en avant dans les costumes des personnages. Cela rejoint la thèse de Pierre Bourdieu selon laquelle la consommation définit le statut social des individus avec ici l’incarnation d’une certaine performance sociale et d’un élitismeBOURDIEU, Pierre. La Distinction : critique sociale du jugement. 1979..
La série expose une vision privilégiée de l’American way of life qui s’inscrit parfaitement dans le système capitaliste défendu par les États-Unis. Effectivement, le capitalisme, qui se caractérise par la quête du profit et de la performance économique, est au coeur de Gossip Girl. Il s’agit ici d’un capitalisme ancré dans l’héritage avec des personnages dont la richesse provient de leur patrimoine familial, à la fois immobilier et financier. Cette valeur capitaliste s’illustre physiquement dans la Cinquième Avenue de Manhattan. Il s’agit de l’artère la plus riche de la ville de New York où les plus grandes familles new-yorkaises, à l’image des Vanderbilt et des Astor, ont massivement investi durant le Gilded AgeFifth Avenue. « History », Fifth Avenue : https://fifthavenue.nyc/history. Dans Gossip Girl, la Cinquième Avenue demeure la vitrine du modèle capitaliste américain en étant le théâtre des séances de shopping des protagonistes dans les plus grands magasins de luxe. De plus, certains personnages de la série sont des héritiers directs des grandes familles du Gilded Age, comme Nate Archibald descendant du côté de sa mère des Vanderbilt.
La fascination pour cet art de vivre et ces valeurs découle de leur rareté en demeurant des modes de vie fermés aux classes moyennes et populaires qui restent dominantes. C’est ce caractère inaccessible et exclusif qui entretient un mythe et un désir autour de l’American way of life.
Construction d’un patrimoine new-yorkais idéalisé au service de la puissance étasunienne
Gossip Girl renforce le Soft power américain en diffusant sur les télévisions du monde entier le patrimoine des États-Unis, et plus spécifiquement de la ville de New York. Dans un premier temps, c’est un patrimoine immatériel qui est défendu par la série. En effet, Gossip Girl met en avant une façon de vivre autour de l’élite new-yorkaise dont la vie est animée par les brunchs, bals de charité et événements mondains en tout genre. Ces éléments mis en avant dans la série participent à la diffusion de multiples valeurs comme le succès, l’esthétique et le matérialisme. Ce dernier, qui se définit comme un attachement aux biens et à la possession physique, est une composante significative du système capitaliste étasunien sur lequel repose le modèle économique du pays.
Au-delà, Gossip Girl met en lumière le patrimoine matériel de New York en valorisant ses monuments les plus emblématiques, érigés au rang de symboles de la puissance des États-Unis dans le monde. Il s’agit ici de faire du patrimoine une ressource économique stratégique et attractive pour en tirer un certain profit. C’est notamment le MET (Metropolitan Museum of Art) qui bénéficie de ce rayonnement international en partie grâce à la série. Le MET dispose d’une grande attractivité en étant le lieu officiel de la célèbre cérémonie annuelle du Met Gala, bal de charité où se bousculent les célébrités du monde entier. Grâce à Gossip Girl, ce sont les marches, situées à l’entrée du MET, qui sont devenues un réel monument new-yorkais pour les fans de la série. En effet, c’est sur ces marches que Blair et ses amies se donnent rendez-vous durant les pauses entre les cours. D’autres symboles de New York comme le pont de Brooklyn ou encore l’Empire State Building sont présents dans les plans servant de transition entre deux scènes de la série. Ces décors participent à un processus de disneylandisation de certains lieux, soumis à forte présence de touristes liés à la série, où le paysage est alors transformé pour correspondre aux attentes du public. C’est par exemple le cas de la gare de Grand Central Terminal. Elle est le lieu de tournage de la première scène, devenue culte, de Gossip Girl où Serena fait son grand retour à Manhattan en traversant la gare à pieds. Depuis la série, le hall principal de Grand Central est devenu le lieu privilégié par les fans de la série pour reproduire la scène de l’arrivée de Serena et prendre leurs photos souvenir.
Gossip Girl construit un imaginaire idéalisé autour de New York. La ville devient un lieu fantasmé qui attire les fans de la série désireux de marcher sur les traces de Blair et Serena. Le secteur du tourisme profite donc du succès de la série qui suscite un intérêt particulier pour la Big Apple chez les spectateurs. D’autres oeuvres de pop culture, comme Sex and the city ou encore Breakfast at Tiffany, participent à la cristallisation d’un imaginaire similaire de New York.
Scène culte du retour de Serena à Grand Central au premier épisode de la saison 1
Scénarisation des inégalités au service d’un American Dream sans limite
La série confronte de façon volontaire les héritiers de l’Upper East Side, comme Chuck, Blair et Serena, à des protagonistes qualifiés d’ « outsiders », à l’image de Dan et Jenny. Les uns vivent dans de luxueux penthouses sur la Cinquième avenue et les autres dans un ancien garage transformé en lieu de vie familial dans un quartier aisé de Brooklyn. S’opposent et se complètent alors le symbole de réussite illustré par Manhattan et l’authenticité défendue par Brooklyn. Cette mise en scène des inégalités sociales est présentée comme un élément dramatique sujet à la discorde, mais aussi et surtout comme une promesse d’intégration dans l’élite de l’Upper East Side.
Cette romantisation des inégalités sociales dans Gossip Girl sert le schéma de l’American Dream. Celui-ci se caractérise par l’utopie répandue selon laquelle la détermination et le travail permettraient à n’importe quel Américain d’obtenir une vie prospère financièrement et humainement. La série joue donc sur ce mythe d’ascension sociale avec les personnages de Dan et Jenny Humphrey, enfants d’un musicien d’un groupe de rock vivant dans un garage à Brooklyn. Ces deux protagonistes bénéficient d’une trajectoire ascendante avec Dan qui devient un écrivain reconnu après des études à Yale et Jenny qui perce dans le monde très fermé de la mode. Il s’agit ici de défendre le mythe d’un American Dream ancré dans une méritocratie en réalité illusoire, avec des ascensions sociales qui demeurent rares et souvent fragiles. À noter que la méritocratie n’est pas totale dans le cas de Jenny et Dan dont le père, Rufus Humphrey, intègre la haute sphère de l’Upper East Side en épousant Lily Rhodes, la mère de Serena à la tête d’une fortune familial de plusieurs milliards de dollars. Ce transfert de classe sociale incarné par la fratrie Humphrey permet de pointer du doigt les limites de l’utopie du rêve américain. Effectivement, même dans l’histoire de Gossip Girl, cette ascension sociale n’est rendue possible que par un processus d’adaptation et d’intériorisation des codes des classes aisées fréquentées au lycée privé Constance Billard. L’American Dream, dans les faits, ne passe pas par une transformation du système au profit des plus méritants, mais par une intégration forcée dans l’élite. Cela rejoint les théories sociologiques de l’aliénation sociale où les individus n’ayant pas été éduqués à certains codes sont contraints d’aller contre leur nature afin de se soumettre aux normes en vigueur dans certaines sphères sociales pour pouvoir les imiter et ainsi les intégrer.
Derrière les protagonistes de Gossip Girl, des personnages secondaires issus de la classe moyenne offrent une autre vision sociologique de l’American Dream. C’est le cas notamment d’Ivy Dickens, serveuse de restaurant qui se fait passer pour une héritière de la famille Rhodes, ou encore Vanessa Abrams, artiste travaillant dans une galerie d’art et un café pour subvenir à ses besoins dans les quartiers populaires de Brooklyn. Ces personnages qui ont grandi loins des bonnes familles et de l’élite sociale doivent entrer en confrontation avec la réalité de la société new-yorkaise. Vanessa incarne une figure critique des grandes valeurs défendues par le rêve américain, comme le matérialisme et le système capitaliste. Dans un premier temps, Vanessa refuse d’intérioriser les codes des classes aisées de New York en ne prenant pas place dans la compétition sociale permanente qui rythme le quotidien de la jeunesse dorée de Manhattan. Néanmoins, au fil des épisodes, elle finit par se fondre dans le système qu’elle dénonçait pourtant, démontrant que l’ascension sociale passe par la nécessité de mettre de côté une partie de nos valeurs premières. Ivy incarne une ascension sociale reposant sur le mensonge et l’art d’usurper un rôle qui n’est pas le sien, bien loin de l’utopie de la méritocratie promue par l’American Dream. Ce personnage illustre l’importance accordée à l’apparence et au paraître dans la société américaine. À elles deux, elles incarnent d’une certaine manière les limites du modèle du rêve américain où l’authenticité et l’esprit critique doivent être restreints pour intégrer les codes du système.
Enfin, certains personnages de la série incarnent des versions fantasmées de la petite classe moyenne new-yorkaise : Dorota Kishlovsky et Vanya, qui deviendra son mari. Dorota est la femme de maison de la famille Waldorf et Vanya est le portier de l’immeuble luxueux où vivent Lily et Rufus. Le couple est issu de l’immigration de l’Europe de l’Est vers les États-Unis, considérés comme un Eldorado pour bénéficier d’une vie meilleure. En effet, Dorota est originaire de Pologne et Vanya provient de Russie. Cette idéalisation des États-Unis comme terre d’accueil et de réussite provient de l’histoire américaine où New York, avec Ellis Island, fut la porte d’entrée de 12 millions de personnes entre 1892 et 1954Musée de l’histoire de l’immigration. « Portraits d’Ellis Island », exposition Augustus Frederick Sherman, Musée de l’histoire de l’immigration : https://www.histoire-immigration.fr/portraits-d-ellis-island-1905-1920-augustus-fredericksherman#:~:text=De. Dorata est un personnage secondaire qui a cependant un impact majeur sur la série car elle incarne une figure maternelle qui conseille Blair au fil des saisons. Ces deux personnages incarnent une certaine fidélité à l’élite facilitant et accompagnant l’ascension des protagonistes de la série. Ici, Dorota et Vanya permettent de rappeler que la réalisation des rêves des uns repose sur le travail de l’ombre des autres.
L’image publique, les médias et les réseaux sociaux comme leviers de puissance
Le blog éponyme de la série se fait la métaphore d’une surveillance permanente des individus à une époque où les réseaux sociaux commençaient à peine leur développement à la fin des années 2000. Gossip Girl met en scène la société de l’exposition où chacun peut voir et être vu à son tour. En effet, les personnages voient les détails de leur vie privée exposés sur le blog : relations amoureuses, disputes amicales ou encore problèmes familiaux. Ce paradoxe social contemporain où les individus souhaitent eux-mêmes être vus et pouvoir voir rejoint la thèse de Michel Foucault du panoptique avec les individus en charge de surveiller les autres qui sont eux-mêmes surveillésFOUCAULT, Michel. Surveiller et punir. 1975. Si Gossip Girl est un succès c’est en partie grâce aux protagonistes affichés sur le blog mais aussi et surtout grâce aux abonnés du blog qui rêveraient d’être eux aussi exposés sur le site afin d’en tirer une certaine notoriété. En cela, la série repose sur l’anticipation de l’apogée de l’ère d’Instragram et SnapChat où les faits et gestes des individus sont publiés sous forme de story et fascinent les followers.
Gossip Girl amène à réfléchir sur le poids des médias et des réseaux sociaux dans la construction d’une image publique. Les différents protagonistes soignent leur apparence et vont jusqu’à en faire une marque de fabrique, Blair en est l’archétype avec ses mythiques serre-têtes et répliques phares. Apparaître sur le blog de Gossip Girl, populaire dans tout Manhattan, amène une certaine forme de célébrité aux yeux des abonnés du blog. L’image publique devient donc ici un réel vecteur de puissance soumis aux critiques du public. Cette image publique se construit alors sous forme d’investissement personnel pouvant se transformer en outil de pouvoir.
Au-delà de la série, cette exposition dans l’espace publique est un enjeu particulier dans la société étasunienne où l’idée même de célébrité fascine. Aux États-Unis, le succès est bien souvent accompagné d’une exposition volontaire ou non de la vie privée des célébrités par les médias, et maintenant les réseaux sociaux. Dans ce pays, contrairement à la France, le droit à la vie privée n’est pas soumis à une protection constitutionnelle explicite. Dans ce sens, le droit à l’image n’est pas défendu et les individus se trouvant dans un lieu public peuvent se voir photographiés ou filmés par n’importe qui sans besoin de leur consentement.
Impact et postérité de Gossip Girl dans le temps long
Si Gossip Girl est considérée comme série culte des années 2000 c’est grâce à son succès qui n’a cessé de perdurer au fil des saisons. En 2007, le tout premier épisode de Gossip Girl réunit, le jour de sa sortie, 3,50 millions de spectateurs et ce nombre n’a cessé de croître au fur et à mesure des épisodes. Ce succès s’est également accompagné de bénéficies économiques, liés à la vente des saisons de la série sous forme de DVD, qui s’élèvent à plus de 32 millions de dollars aux États-Unis.
Le succès de Gossip Girl perdure dans le temps en partie grâce au rachat de la série par de grandes plateformes de streaming comme HBO et Netflix. En 2024, Gossip Girl entre dans le top 10 des programmes les plus streamés aux États-Unis. Un reboot de la série a été lancé en 2021 par HBO autour d’une nouvelle génération de l’Upper East Side. Ce dernier a réuni plus de 555 000 spectateurs à la sortie du premier épisode aux États-Unis. Du côté de Netflix, un projet d’une nouvelle série en lien avec la franchise Gossip Girl serait en préparation.
Bande annonce du Reboot de HBO sur Gossip Girl
Dimension pédagogique
Dans un premier temps, Gossip Girl permet d’illustrer plusieurs thématiques du programme de la spécialité HGGSP. Tout d’abord, la série invite les spectateurs à poser une réflexion sur le thème de la puissance (programme de Première). Gossip Girl se fait l’objet du Soft power américain, la capacité à imposer sa volonté auprès d’autres acteurs sans utiliser de moyens coercitifs. La série diffuse à échelle globale les valeurs défendues par les États-Unis et consolide l’imaginaire de l’American Dream. Aussi, Gossip Girl invite à réfléchir sur le thème du patrimoine (programme de Terminale) avec des décors valorisant le patrimoine matériel de la ville de New York. Cela permet également d’illustrer les notions de disneylandisation et de patrimoine idéalisé. Enfin, la série met en scène les thèmes intrinsèquement liés des médias (programme de Première) et de la connaissance (programme de Terminale) à travers le blog de Gossip Girl qui représente sans doute le personnage principal de la série.
Dans un second temps, cette oeuvre de pop culture sert d’exemple concret à des notions centrales du programme de géographie pour les classes du lycée. En effet, Gossip Girl met directement en scène les inégalités socio-spatiales qui se retrouvent au sein d’une même ville, ici entre le quartier huppé de Manhattan et le quartier plus authentique de Brooklyn.
Enfin, Gossip Girl peut être l’objet d’un sujet de grand oral pour la spécialité HGGSP mais aussi pour un sujet croisé entre la spécialité HGGSP et SES. Une étude conjointe de l’œuvre autour de notions géopolitiques et sociologiques permet d’analyser les enjeux actuels des réseaux sociaux et des questions liées à l’image publique.