Andor, Star Wars comme laboratoire démocratique

La série Andor de Tony Gilroy transcende largement le cadre du divertissement pour se constituer en véritable laboratoire d’analyse politique. Cette œuvre, préquelle de Rogue One, s’inscrit dans une démarche de science-fiction politique qui interroge fondamentalement les mécanismes démocratiques, leurs dérives et leurs résistances. Pour les élèves de HGGSP, elle offre un terrain d’investigation qui me semble totalement pertinent. J’avais déjà exploré le potentiel de la saga avec un précédent article centré sur les épisodes 1 à 3.

Ce nouvel article permet d’actualiser les grandes questions théoriques du programme tout en développant l’esprit critique nécessaire à l’exercice de la citoyenneté.

L’univers Star Wars, et particulièrement Andor, fonctionne comme un miroir déformant de nos sociétés contemporaines. Il permet d’analyser, dans un cadre dépassionné car fictionnel, les mécanismes de l’oppression, de la résistance, et surtout les processus complexes par lesquels les démocraties peuvent basculer vers l’autoritarisme. Cette approche rejoint les préoccupations centrales du programme HGGSP : comprendre les régimes politiques, leurs évolutions, leurs fragilités et leurs transformations.

La série s’inscrit dans une tradition littéraire et cinématographique qui utilise la fiction pour penser le politique, dans la lignée d’Orwell, d’Huxley ou plus récemment de The Handmaid’s Tale qui est d’ailleurs exploitée en LLCERVoir la liste des œuvres retenues ici : Programme Limitatif LLCER Anglais Classe de Terminale 2024-2025 et 2025-2026.

Elle permet aux élèves d’appréhender concrètement des concepts abstraits comme la tyrannie de la majorité, les mécanismes de surveillance ou les dynamiques révolutionnaires, en leur donnant une incarnation narrative accessible et plus profonde que l’on pourrait imaginer.

 

Andor : L’Héritage de la Résistance – Critique des Saisons 1 et 2

 

Une dramaturgie de l’oppression et du réveil des consciences

Tony Gilroy a réussi avec Andor un tour de force narratif rare dans l’univers Star Wars : transformer une saga galactique en méditation politique profonde sur les mécanismes de l’oppression et de la résistance. Les deux saisons, qui nous mènent inexorablement vers les événements de Rogue One, déploient une architecture dramatique d’une richesse remarquable, où chaque personnage incarne une facette différente de la lutte contre l’autoritarisme. C’est d’autant plus jouissif que les produits Disney+ de la franchise sont globalement médiocres, à l’exception notable de The Mandolorian. Obi-Wan Kenobi et Ahsoka font du fan service sans réelle saveur, le reste n’a aucun intérêt. Les films sont … sans réelle ambition autre que celle de surfer sur le succès passé de la franchise. Les séries animées c’est autre chose, mais feront l’objet, un jour, d’une exploration à part entière.

 

 

La première saison établit magistralement les fondements de cette résistance naissante, suivant Cassian Andor depuis ses premiers actes de rébellion instinctive jusqu’à son intégration progressive dans un mouvement plus large. Gilroy y développe une approche quasi-documentaire qui ancre fermement l’action dans une réalité politique tangible, loin des archétypes manichéens traditionnels de la saga.

Métaphore de l’Éveil Révolutionnaire

L’arc de la prison de Narkina 5 (épisodes 8-10) constitue indéniablement le cœur dramatique et idéologique de la première saison. Cassian, condamné à six ans de travaux forcés pour un délit mineur, se retrouve emprisonné sur cette lune pénitentiaire où les détenus assemblent des composants pour un projet mystérieux – probablement l’Étoile de la Mort.

Cette séquence carcérale fonctionne comme une puissante allégorie du système oppressif impérial dans sa dimension la plus pure. La prison-usine, avec ses milliers de détenus répartis en équipes de travail cloisonnées et surveillés par plus des gardiens sans pitiés, représente l’efficacité brutale de la machine industrielle impériale. Le système de punition par électrocution, l’organisation méticuleuse du travail forcé, tout concourt à créer un environnement où l’individu disparaît au profit de la productivité.

Mais c’est précisément dans cet environnement d’oppression totale que Cassian découvre sa véritable nature de leader. Face au chef d’étage Kino institutionnalisé par des années de détention, Cassian développe une rhétorique révolutionnaire convaincante, expliquant que les forces impériales sont à leur point le plus vulnérable. Son analyse tactique de la situation – comprendre que l’information sur l’exécution systématique des prisonniers libérables change tout – révèle un esprit stratégique qui préfigure le héros de Rogue One. C’est très bien emmené.

L’évasion qu’il orchestre, sabotant les systèmes électriques et menant la charge contre les gardiens, marque sa transformation définitive. Visuellement, cette évolution se traduit par une modification progressive de sa silhouette : ses vêtements deviennent plus proches d’un véritable uniforme, ses épaules se redressent, son regard se durci, annonçant physiquement le Cassian Andor de Rogue One.

Cette séquence carcérale fonctionne également comme un microcosme de la rébellion naissante : l’arc de Narkina 5 reflète parallèlement l’émergence de la Rébellion elle-même, où des individus isolés et désespérés découvrent qu’unis, ils peuvent défier un système qui semblait invincible. À lui seul cet arc éclabousse de classe toutes les autres séries de l’univers.

 

Une saison 2 au cœur de l’actualité sémantique

 

 

La saison 2 soulève une interrogation sémantique cruciale avec l’usage du terme génocide par Mon Mothma pour qualifier les événements de Ghorman. Cette utilisation mérite un examen attentif. Le massacre de Ghorman, tel que dépeint, constitue indéniablement un crime de guerre d’une violence extrême contre des manifestants pacifiques, mais peut-on qualifier de génocide cette répression brutale d’un mouvement de protestation ?

Le génocide, selon la définition juridique internationale, implique l’intention de détruire tout ou partie d’un groupe national, ethnique, racial ou religieux en tant que tel. Le massacre de Ghorman semble plutôt relever de la répression politique massive, visant à briser un mouvement de résistance plutôt qu’à anéantir un groupe identitaire spécifique. L’usage du terme par Mon Mothma révèle peut-être davantage sa stratégie rhétorique – employer le mot le plus fort possible pour réveiller les consciences – que la nature exacte du crime impérial.

Cette nuance n’atténue en rien l’horreur des faits, mais questionne la précision du vocabulaire utilisé pour nommer l’innommable. Gilroy navigue ici en terrain miné, entre nécessité dramatique et rigueur conceptuelle. Les débats enflammés autour de ce qui se passe en Ukraine, à Gaza, l’usage régulier et loin d’être toujours techniquement pertinent du terme « génocide » trouve ici un écho intéressant.

A contrario, de façon très claire, sur Naboo, le massacre auquel participe Luthen, alors sergent impérial, exploré dans les souvenirs de Kleya, ressemble nettement plus à la définition d’un génocide.

 

L’hommage français : Thierry Godard et l’écho de l’histoire

La présence remarquée d’acteurs français dans la saison 2, notamment Thierry Godard dans le rôle de Lezine, ne peut être fortuite. Godard, inoubliable dans Un Village Français  où il incarnait pendant sept saisons les complexités morales de l’Occupation, apporte à Andor sa stature d’homme du peuple confronté à l’oppression.

 

 

Ce casting français semble constituer un hommage délibéré à la Résistance française, écho historique qui résonne particulièrement dans les séquences de Ghorman. Les parallèles sont frappants : occupation militaire, collaboration de certaines élites locales, émergence de réseaux de résistance, répression brutale des manifestations. L’image de ces habitants de Ghorman marchant ensemble, unis dans leur chant de protestation, évoque irrésistiblement une certaine vision de l’esprit français de résistance.

Cette dimension, assez inattendue je dois dire,  enrichit considérablement la texture narrative d’Andor, ancrant la fiction galactique dans une mémoire collective européenne encore vive. Gilroy puise ainsi dans l’imaginaire de la Résistance pour donner chair et crédibilité à sa rébellion galactique.

L’évolution de Cassian, du petit criminel opportuniste au révolutionnaire conscient, s’inscrit dans une temporalité longue qui permet une maturation crédible du personnage. L’arc de Narkina 5 constitue le pivot central de cette transformation : c’est là que Cassian découvre que sa capacité à analyser, organiser et inspirer peut servir une cause plus grande que sa simple survie. La façon dont il convainc Kino Loy, pourtant institutionnalisé par des années de captivité, révèle un charisme naturel qui n’attendait que les bonnes circonstances pour s’épanouir.

Chaque épisode apporte sa pierre à cet édifice narratif complexe, sans jamais sacrifier la subtilité psychologique à l’efficacité spectaculaire. Les séquences de travail forcé, filmées avec une précision documentaire, rappellent les grands films carcéraux des années 70 ( au hasard Papillon (1973) de Franklin J. Schaffner, Midnight Express (1978) d’Alan Parker ou encore le moins connu mais pourtant très intéressant Brubaker avec Robert Redford sortant au début des années 80) tout en conservant leur spécificité science-fictionnelle.

 

Une écriture au service des personnages ordinaires

Au-delà de ces considérations, Andor brille par sa maturité dramatique. La série développe en deux saisons une galerie de personnages d’une complexité psychologique remarquable au regard des autres produits Disney de la série : Luthen Rael et ses sacrifices moraux calculés, Mon Mothma naviguant entre convictions et compromis politiques, ou encore Dedra Meero incarnant un autoritarisme méthodique et implacable.

 

 

L’évolution de Cassian, du petit criminel opportuniste au révolutionnaire conscient, s’inscrit dans une temporalité longue qui permet une maturation crédible du personnage. Même si le début de la saison 2 est assez nettement en dessous, les trois premiers épisodes notamment, les récits apportent chacun une pierre à cet édifice narratif complexe, sans jamais sacrifier la subtilité psychologique à l’efficacité spectaculaire. Le couple de fascistes, les fonctionnaires arrivistes, les politiciens avides, ou dépassés, le simple paysan, les mercenaires pathétiques ; tout respire la normalité de vies fracassées par un destin commun implacable.

 

De la maturité dans Star Wars ?

Andor réussit ainsi le pari audacieux de transformer Star Wars en drama politique adulte sans trahir l’essence de la saga. Les deux saisons constituent ensemble une méditation profonde sur les prix de la liberté et les compromis de la résistance. Si certains choix terminologiques peuvent prêter à discussion, l’ensemble demeure un accomplissement artistique remarquable qui honore autant l’héritage de Lucas que celui des résistances historiques qui ont inspiré sa création.

Cette série est à ce jour l’expression la plus mature et la plus aboutie de l’univers Star Wars à l’écran en dehors des animé, preuve une nouvelle fois que la science-fiction peut porter les enjeux les plus graves de notre époque sans perdre ni sa force dramatique ni sa pertinence politique.

L’occasion était trop belle de reprendre le clavier pour explorer les convulsions de nos démocraties face aux crises, en poursuivant le travail proposé sur la série The Boys : exploiter la Pop Culture pour réfléchir.

 

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L’évolution sémantique de la démocratie : de l’idéal antique aux réalités contemporaines

Le glissement historique du concept démocratique

Le concept de démocratie a subi une mutation profonde depuis son émergence dans l’Athènes du Ve siècle avant J.-C. Étymologiquement, le terme désigne le « pouvoir du peuple » (δῆμος + κράτος), mais cette définition apparemment simple et déclinée à l’envie à toutes les sauces masque une complexité historique considérable que Andor permet d’explorer de manière particulièrement éclairante.

Dans l’Athènes antique, la démocratie était directe mais drastiquement limitée : seuls les citoyens mâles, adultes et libres pouvaient participer aux décisions politiques, excluant les femmes, les esclaves et les métèques qui constituaient pourtant la majorité de la population. Cette limitation trouve un écho troublant dans l’univers Star Wars, où la République galactique, malgré ses prétentions démocratiques, maintient des inégalités structurelles entre les mondes du Noyau et ceux de la Bordure ExtérieurePour de plus amples explications sur l’histoire et la géographie de la Bordure Extérieure, du Noyau, voir : https://www.anakinworld.com/encyclopedie/bordure-exterieure.

Benjamin Constant qui est au programme à travers un Jalon, théorise au XIXè siècle cette évolution en distinguant la « liberté des Anciens » (participation directe à la vie politique) de la « liberté des Modernes » (protection de la sphère privée et représentation politique). Andor illustre magistralement cette tension : les personnages oscillent entre l’aspiration à une liberté négative (échapper à l’oppression impériale) et la nécessité d’une liberté positive (s’engager activement dans la résistance).

La série montre comment le passage de la République à l’Empire galactique reproduit les mécanismes historiques d’érosion démocratique. Comme l’a analysé Tocqueville, lui aussi traité sous forme d’un Jalon, les démocraties portent en elles les germes de leur propre destruction : l’égalisation des conditions peut conduire à l’uniformisation, l’individualisme démocratique peut favoriser l’apathie politique, et l’aspiration à l’ordre peut justifier l’abandon des libertés. L’Empire de Palpatine exploite précisément ces faiblesses démocratiques pour s’imposer avec l’assentiment d’une partie de la population.

Le parallèle augustéen : maintenir les formes pour mieux transformer le fond

L’une des dimensions les plus fascinantes d’Andor réside dans sa capacité à illustrer les mécanismes par lesquels un régime autoritaire peut s’imposer tout en conservant les apparences démocratiques. Cette stratégie, que l’on peut qualifier d' »augustéenne » en référence à la transformation de la République romaine en Empire, constitue un processus historique récurrent que la série dépeint avec une précision saisissante.

Auguste (Octave) n’a jamais aboli formellement la République romaine. Il a conservé le Sénat, les magistratures traditionnelles et les formes républicaines, tout en concentrant progressivement tous les pouvoirs réels entre ses mains. Cette stratégie présente plusieurs avantages : elle évite les résistances frontales, elle maintient une légitimité historique et elle permet une transition en douceur vers l’autoritarisme.

L’Empire galactique procède exactement de la même manière. Dans Andor, nous voyons un Sénat impérial qui continue de siéger, des sénateurs qui ont encore un bureau, qui arpentent les couloirs et les rues de Coruscant. Les débats ont encore lieu, des formes démocratiques persistent, du moins en apparence. Mais ces institutions sont progressivement vidées de leur substance. Les sénateurs deviennent de simples figurants d’un spectacle démocratique, leurs débats n’ont plus d’impact réel sur les décisions politiques, et leur légitimité s’érode au profit d’un pouvoir exécutif hypertrophié.

Cette stratégie de maintien d’un vernissage républicain répond à plusieurs impératifs politiques. D’abord, elle permet de rassurer les populations attachées aux formes traditionnelles de gouvernement. Ensuite, elle facilite la collaboration des élites politiques existantes, qui conservent leurs positions tout en perdant leur pouvoir réel. Enfin, elle offre une façade de respectabilité démocratique face aux critiques internes et externes.

Andor montre également comment cette stratégie génère ses propres contradictions. Le maintien des formes démocratiques crée des espaces de résistance : le Sénat devient un lieu de contestation, les institutions traditionnelles sont détournées au profit de l’opposition, et la rhétorique démocratique elle-même peut être retournée contre le pouvoir autoritaire. C’est précisément ce processus que la série explore à travers les personnages de Mon Mothma et de Bail Organa exploitant à dessein les tensions au sein du Sénat impérial.

La rhétorique de l’ordre et de la sécurité

L’Empire galactique, comme tous les régimes autoritaires historiques, justifie sa domination par la nécessité de maintenir l’ordre et d’assurer la sécurité. Cette rhétorique, parfaitement analysée par Carl Schmitt dans sa théorie de l’état d’exceptionVoir par exemple cette analyse de Marie Goupy, constitue l’un des mécanismes les plus efficaces de légitimation autoritaire.

Dans Andor, cette rhétorique sécuritaire imprègne tous les discours officiels. L’Empire se présente comme le garant de la paix galactique face au terrorisme rebelle, comme le protecteur des citoyens contre le chaos et l’anarchie. Cette argumentation trouve un écho percutant dans les débats contemporains sur l’équilibre entre sécurité et liberté, particulièrement après les attentats du 11 septembre 2001 et dans le contexte de la lutte antiterroriste et de la mise en place, par exemple, du Patriot Act aux USA le 26 octobre 2001 par l’administration Bush.

La série illustre comment cette rhétorique sécuritaire permet de justifier des mesures d’exception qui deviennent progressivement la norme. L’état d’urgence permanent, la surveillance généralisée, la restriction des libertés civiles sont présentés comme des mesures temporaires et nécessaires, mais ils s’institutionnalisent et deviennent des caractéristiques permanentes du régime. Orson Krennic incarne à lui seul ces problématiques, accompagné du dévoué mais aussi torturé major Partagaz.

 

Les mécanismes de la résistance démocratique dans Andor

L’émergence de la conscience politique : de l’individuel au collectif

L’éveil politique par l’injustice personnelle

La trajectoire de Cassian Andor constitue une parfaite illustration des mécanismes psychologiques et sociologiques de la politisation. Au début de la série, Cassian incarne l’individu apolitique par excellence : préoccupé uniquement par sa survie personnelle, cynique vis-à-vis des grands idéaux, réfractaire à tout engagement collectif. Cette position reflète ce que Tocqueville identifie comme l’individualisme démocratique, cette tendance des citoyens à se replier sur leur sphère privée en délaissant les affaires publiques.

L’éveil politique de Cassian ne procède pas d’une révélation idéologique abstraite, mais d’une expérience concrète de l’injustice. L’épisode de Ferrix, où il assiste à la brutalité arbitraire des forces impériales, constitue le catalyseur de sa transformation. Cette dimension empirique de la politisation illustre pleinement l’importance de l’expérience personnelle dans la formation des convictions politiques.

La série montre avec une finesse comment cette prise de conscience individuelle s’articule progressivement avec une compréhension plus large des enjeux systémiques. Cassian passe de la révolte personnelle contre l’injustice subie à la compréhension des mécanismes structurels de l’oppression, comme si l’on passait d’une approche naïve à une conscience critique des rapports de domination.

La construction d’une conscience collective

La transformation de Cassian s’accompagne d’un apprentissage de l’action collective. La série dépeint minutieusement les difficultés de cette transition : méfiance initiale envers les autres, difficultés à faire confiance, résistance à la discipline collective.

Andor illustre également le rôle crucial de l’éducation politique dans ce processus. Les personnages apprennent progressivement les codes de l’action collective, les stratégies de résistance, les principes de la clandestinité.

La série montre enfin comment la conscience collective se construit à travers l’action commune. Ce n’est pas la théorie qui précède la pratique, mais l’inverse : c’est en agissant ensemble que les personnages développent une vision partagée de leurs objectifs et de leurs moyens, même si le personnage de Saw Gerrera (le génial Forest Whitaker) montre aussi la difficulté de travailler à une cause commune.

L’arc de Ghorman : révolution française et tradition insurrectionnelle

Les mécanismes de l’embrasement populaire

L’arc narratif de Ghorman dans la saison 2 d’Andor offre une analyse percutante des mécanismes de l’embrasement révolutionnaire. Cette séquence présente des similitudes frappantes avec les « journées révolutionnaires » de l’histoire française, particulièrement les événements de juillet 1789 ou de février 1848.

L’incident déclencheur à Ghorman reproduit le schéma classique de l’étincelle révolutionnaire : un événement en apparence mineur (la répression d’une manifestation pacifique) provoque une réaction en chaîne qui dépasse largement ses causes initiales. Cette dynamique correspond à ce que Michel Vovelle nomme « l’effet Bastille » : un événement symbolique cristallise des tensions latentes et déclenche un processus révolutionnaire.

La série analyse fort justement la propagation de l’émotion collective. L’indignation initiale se propage de proche en proche, créant une dynamique d’amplification que Gustave Le Bon a théorisée dans sa Psychologie des foules. Mais contrairement à Le Bon, qui voyait dans les foules une régression irrationnelle, Andor montre comment l’émotion collective peut être le vecteur d’une prise de conscience politique légitime.

La transformation de la protestation en insurrection suit également des mécanismes historiquement identifiables. La radicalisation progressive des revendications, l’émergence de leaders charismatiques, la polarisation entre modérés et radicaux : tous ces éléments rappellent les analyses classiques des processus révolutionnaires, de Tocqueville à Charles Tilly, ce qui peut être exploité avec des élèves de HGGSP.

 

La typologie des acteurs révolutionnaires

Andor propose une galerie de personnages qui correspondent aux grandes figures de la sociologie révolutionnaire. On y retrouve des individus capables de mobiliser les ressources et de structurer l’action collective. Luthen Rael incarne parfaitement cette figure du révolutionnaire professionnel qui sacrifie sa vie personnelle à la cause commune.

La série dépeint également la masse populaire révolutionnaire avec une nuance bienvenue. Loin des clichés sur la populace incontrôlée, elle montre des citoyens ordinaires capables de s’organiser, de prendre des décisions collectives et de maintenir une discipline révolutionnaire.

Les hésitants constituent une troisième catégorie particulièrement bien analysée dans la série. Mon Mothma incarne cette bourgeoisie modérée qui aspire au changement tout en redoutant les excès révolutionnaires. Son parcours illustre les dilemmes de ce que Tocqueville appelait les classes moyennes face aux bouleversements politiques : comment concilier l’aspiration à la liberté avec le souci de l’ordre ?

La dimension internationale de la révolution

Andor montre également comment un mouvement révolutionnaire local peut prendre une dimension galactique. La révolution de Ghorman inspire d’autres soulèvements, créant une dynamique d’internationalisation révolutionnaire qui rappelle clairement « les printemps des peuples » du XIXe siècle ou les révolutions colorées contemporaines.

Cette dimension transnationale soulève des questions théoriques importantes sur l’exportation des modèles démocratiques. Comment une révolution locale peut-elle inspirer d’autres contextes sans tomber dans l’impérialisme démocratique ? Andor explore cette tension en montrant les difficultés de coordination entre des mouvements aux spécificités locales très différentes.

 

Surveillance et contrôle : la démocratie à l’épreuve de la sécurité

L’ISB comme archétype du pouvoir panoptique

Le paradigme foucaldien de la surveillance

L’Imperial Security Bureau (ISB) d’Andor constitue une illustration des théories sur la surveillance et le contrôle social. Cette organisation incarne le passage d’un pouvoir souverain (qui punit après les faits) à un pouvoir disciplinaire (qui prévient par la surveillance continue).

L’architecture du contrôle déployée par l’ISB rappelle le panopticon de Bentham analysé par FoucaultVoir « Les métamorphoses panoptiques : de Foucault à Bentham » : un système de surveillance qui fonctionne non pas par sa réalité effective, mais par sa possibilité permanente. Les citoyens de l’Empire modifient leur comportement parce qu’ils peuvent être surveillés à tout moment, même s’ils ne le sont pas effectivement. Cette intériorisation de la contrainte constitue la forme la plus efficace de contrôle social.

Analysée ainsi la série illustre comment cette surveillance généralisée transforme les rapports sociaux. La méfiance devient la norme, l’autocensure se développe, les liens sociaux se distendent. Le crédit social chinois n’est pas très loin.

 

La normalisation des comportements

Andor permet également de creuser la question du processus de normalisation. L’Empire ne se contente pas de réprimer les comportements déviants, il produit des normes comportementales et façonne les subjectivités. Les citoyens impériaux intériorisent progressivement les attentes du régime et s’autocensurent.

Cette normalisation passe par de multiples canaux : l’éducation, les médias, la bureaucratie, les rituels sociaux. La série montre comment l’Empire utilise tous ces leviers pour produire des sujets dociles et prévisibles.

 

Les technologies de contrôle

La dimension technologique de la surveillance occupe une place importante dans Andor. Les technologies impériales (droïdes de surveillance, systèmes de communication, bases de données) préfigurent nos inquiétudes contemporaines sur la surveillance numérique. La série démontre s’il en était besoin que la neutralité de la technologie est un mirage. Celui qui code dispose du pouvoir, et la technologie peut être mise au service de l’oppression comme de la libération, à l’image du jouissif K-2SO.

 

Résistance et contre-surveillance

Les stratégies de contournement

Face à la surveillance impériale, les résistants développent des stratégies de contournement qui font écho aux pratiques contemporaines de protection de la vie privée. L’utilisation de codes, le cryptage des communications, la compartimentalisation de l’information : toutes ces pratiques illustrent la créativité démocratique face à l’oppression technologique.

Andor montre que la résistance à la surveillance n’est pas seulement technique, elle est aussi culturelle et sociale. Les réseaux de solidarité, les codes implicites, les signaux discrets constituent autant de moyens de préserver des espaces de liberté dans un environnement hostile.

 

La culture du secret et ses dilemmes

La série explore également les dilemmes de la clandestinité démocratique. Comment concilier les exigences de sécurité avec les principes de transparence démocratique ? Comment maintenir la cohésion d’un mouvement dans le secret ? Ces questions, centrales dans Andor, renvoient aux débats contemporains sur l’équilibre entre sécurité nationale et transparence démocratique.

Le personnage de Luthen incarne parfaitement ces contradictions. Pour protéger la résistance, il adopte des méthodes qui s’éloignent des valeurs démocratiques qu’il défend.

 

Andor et les problématiques du programme HGGSP

Articulation avec l’Axe 1 : « Penser la démocratie »

Démocratie directe vs démocratie représentative

Andor offre une illustration concrète des débats théoriques entre démocratie directe et démocratie représentative qui structurent l’Axe 1 du programme HGGSP. La série montre les limites de la représentation politique à travers l’inefficacité croissante du Sénat impérial, vidé de sa substance par la concentration du pouvoir exécutif.

Cette critique de la démocratie représentative trouve son contrepoint dans l’émergence de formes de démocratie directe au sein de la résistance. Les conseils populaires sur Ferrix, les assemblées rebelles sur Aldhani, les processus de décision collective dans les cellules de résistance illustrent les potentialités et les limites de la participation directe.

La comparaison avec l’Athènes antique s’avère particulièrement fructueuse. Comme dans la cité grecque, la démocratie directe dans Andor reste limitée à un cercle restreint de « citoyens » (les résistants actifs), excluant de facto une large partie de la population. Cette limitation soulève des questions importantes sur l’inclusivité démocratique et les conditions de la participation politique.

 

La pensée de Benjamin Constant actualisée

Les réflexions de Benjamin Constant sur la liberté des Anciens et des Modernes trouvent dans Andor une actualisation saisissante. La série illustre parfaitement la tension entre liberté négative (protection contre l’arbitraire) et liberté positive (participation à la chose publique) qui structure la pensée constantienne.

Les personnages d’Andor oscillent constamment entre ces deux conceptions de la liberté. Cassian incarne initialement l’aspiration à la liberté négative : échapper aux contraintes, préserver son autonomie personnelle, éviter l’engagement politique. Sa transformation révolutionnaire correspond au passage vers la liberté positive : accepter les contraintes de l’action collective pour participer à la construction d’un ordre politique alternatif.

Cette évolution permet d’illustrer concrètement la critique constantienne du repli individualiste. Pour Constant, la liberté moderne ne peut se réduire à la protection de la sphère privée ; elle doit s’articuler avec une participation active à la vie publique, sous peine de voir cette sphère privée elle-même menacée par l’arbitraire.

 

L’héritage athénien revisité

Andor permet également de revisiter l’héritage athénien sous un angle critique. La démocratie athénienne, malgré ses limites, reposait sur l’idée d’une participation directe des citoyens aux décisions collectives. Cette dimension participative se retrouve dans les scènes d’assemblée populaire de la série, où les décisions sont prises après débat collectif.

Mais la série montre aussi les obstacles contemporains à cette participation directe : la complexité des enjeux, l’urgence des décisions, la nécessité du secret. Ces contraintes expliquent pourquoi la résistance dans Andor adopte finalement une structure plus proche de la démocratie représentative, avec des porte-paroles et des délégués.

 

Articulation avec l’Axe 2 : « Avancées et reculs des démocraties »

Tocqueville et les dangers de la démocratie

Andor illustre magistralement les inquiétudes tocquevilliennes sur les dérives potentielles de la démocratie. L’effondrement de la République galactique reproduit plusieurs des mécanismes analysés par Tocqueville dans De la démocratie en Amérique et L’Ancien Régime et la Révolution.

L’uniformisation sociale constitue l’une de ces dérives. L’Empire impose une culture standardisée qui efface les particularismes locaux et régionaux. Cette homogénéisation culturelle, que Tocqueville redoutait dans les démocraties modernes, facilite le contrôle politique en supprimant les foyers de résistance identitaire.

L’individualisme démocratique représente un autre danger tocquevillien parfaitement illustré dans la série. L’atomisation sociale, le repli sur la sphère privée, la désaffection vis-à-vis des affaires publiques facilitent l’établissement de l’autoritarisme. Les citoyens, préoccupés par leurs intérêts immédiats, négligent la défense de leurs libertés politiques.

La tyrannie de la majorité trouve également son illustration dans l’adhésion d’une partie de la population aux politiques impériales. L’Empire exploite les préjugés populaires, les peurs collectives et les ressentiments sociaux pour construire une majorité favorable à ses politiques répressives.

 

Le despotisme démocratique

Tocqueville développe dans De la démocratie en Amérique le concept de « despotisme démocratique », forme inédite de tyrannie adaptée aux sociétés égalitaires. Ce despotisme ne procède pas par la terreur brutale, mais par l’infantilisation progressive des citoyens et la multiplication des réglementations bienveillantes.

Andor illustre parfaitement cette analyse. L’Empire ne gouverne pas uniquement par la répression ouverte, mais aussi par une tutelle administrative omniprésente. Les citoyens sont progressivement déresponsabilisés, pris en charge par une bureaucratie étouffante qui prétend assurer leur bien-être en échange de leur liberté.

Cette forme de domination s’avère particulièrement insidieuse car elle ne suscite pas de résistance immédiate. Les citoyens acceptent volontiers d’abandonner leurs prérogatives politiques en échange de la sécurité et du confort. Cette acceptation passive constitue l’un des obstacles majeurs à la résistance démocratique.

 

Les cycles démocratiques

Andor s’inscrit dans une réflexion plus large sur les cycles démocratiques, cette alternance entre périodes de liberté et d’oppression que Tocqueville observe dans l’histoire. La série montre comment une démocratie peut basculer vers l’autoritarisme, mais aussi comment les germes de la résistance démocratique peuvent survivre et renaître.

Cette perspective cyclique permet de relativiser les échecs démocratiques sans pour autant les excuser. Elle montre que l’histoire n’est pas linéaire, qu’elle procède par avancées et reculs, et que chaque génération doit reconquérir ses libertés. Cette leçon s’avère particulièrement précieuse pour des élèves qui peuvent parfois considérer la démocratie comme acquise définitivement.

 

Propositions pédagogiques concrètes

Séquences d’analyse comparative

Séquence 1 : « République romaine et République galactique – Les mécanismes de transition autoritaire »

Objectifs pédagogiques :

  • Comprendre les mécanismes historiques de passage de la république à l’empire
  • Analyser les stratégies de légitimation autoritaire
  • Développer l’esprit critique face aux discours politiques

Documents d’étude :

Document 1 : Extraits du Res Gestae Divi Augusti d’Auguste « J’ai trouvé Rome de brique, je la laisse de marbre. J’ai restauré la République et rendu au peuple romain sa dignité… »

Document 2 : Discours de Palpatine au Sénat (Episode III – La Revanche des Sith) « Afin d’assurer la sécurité et la stabilité continue, la République sera réorganisée en Premier Empire Galactique… »

Document 3 : Extraits d’Andor – Scènes du Sénat impérial et débats politiques

Document 4 : Analyse de Carl Schmitt sur l’état d’exception « Est souverain celui qui décide de la situation exceptionnelle… »

 

Problématique : Comment les pouvoirs autoritaires maintiennent-ils une façade démocratique pour légitimer leur domination ?

Démarche pédagogique :

  1. Phase d’observation : analyse comparée des documents, identification des stratégies rhétoriques communes
  2. Phase de contextualisation : mise en perspective historique des transitions républiques-empires
  3. Phase de conceptualisation : élaboration des concepts de « vernissage démocratique » et d' »état d’exception »
  4. Phase d’actualisation : transposition aux enjeux démocratiques contemporains

 

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Séquence 2 : « Ghorman et les journées révolutionnaires françaises – Anatomie de l’embrasement populaire »

Objectifs pédagogiques :

  • Analyser les mécanismes de l’embrasement révolutionnaire
  • Comprendre le rôle de l’émotion collective dans l’action politique
  • Identifier les acteurs et les dynamiques des mouvements révolutionnaires

 

Documents d’étude :

Document 1 : récit de la prise de la Bastille par Sylvain Bailly « Le peuple de Paris, armé de sa seule colère légitime, a renversé en une journée le symbole de l’arbitraire royal… »

Document 2 : épisodes 4-6 de la saison 2 d’Andor – L’incident de Ghorman et ses conséquences

Document 3 : témoignage sur les journées de février 1848

Document 4 : analyse de Charles Tilly sur les « répertoires d’action collective »

 

Problématique : Quels sont les mécanismes psychologiques et sociologiques de l’embrasement révolutionnaire ?

 

Démarche pédagogique :

  1. Analyse comparée des événements déclencheurs
  2. Étude de la propagation de l’émotion collective
  3. Identification des acteurs révolutionnaires
  4. Réflexion sur la légitimité de la violence révolutionnaire

 

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Étude de cas approfondie

L’évolution de Cassian Andor : de l’apolitisme à l’engagement – Une grille d’analyse tocquevillienne

Objectif : Comprendre les mécanismes de la politisation individuelle à travers l’analyse tocquevillienne de l’individualisme démocratique.

Phase 1 : L’individualisme initial

Analyse des premières scènes de Cassian : repli sur soi, cynisme politique, priorité à la survie personnelle

Mise en parallèle avec l’analyse tocquevillienne de l’individualisme démocratique

Question directrice : En quoi Cassian incarne-t-il les dangers de l’individualisme démocratique analysés par Tocqueville ?

Phase 2 : Le catalyseur de Ferrix

Étude de l’épisode déclencheur : injustice personnelle et prise de conscience politique

Analyse du passage de l’individuel au collectif

Question directrice : Comment l’expérience de l’injustice peut-elle transformer un individu apolitique en citoyen engagé ?

Phase 3 : L’apprentissage de l’action collective

Évolution du personnage tout au long de la série

Difficultés et résistances à l’engagement collectif

Question directrice : Quels sont les obstacles psychologiques et sociaux à l’engagement démocratique ?

Phase 4 : Actualisation contemporaine

Transposition aux enjeux de l’engagement citoyen aujourd’hui

Question directrice : Comment lutter contre l’individualisme démocratique dans nos sociétés contemporaines ?

 

Andor distraie assurément, mais permet aussi de nourrir des réflexions pertinentes. Pourquoi s’en priver ?