Fiche film : YAABA
Auteur : OUDRAOGO Idrissa
Pays : France / Burkina faso
Année : 1989
Durée : 90 min
Genre : fiction
Niveaux concernés : Classes de sixième et de cinquième
Synopsis
Bila, un petit villageois, partage les jeux de l’enfance avec son amie de cœur, Nopoko. Il se prend d’affection pour Sana, une vieille femme, ostracisée par les gens du village, qui la traitent de sorcière, et que les enfants harcèlent sans relâche…
Une mise en scène « spatiale » : allers-retours de la brousse au village
A travers les allers-retours de Bila (et accessoirement de son amie Nopoko) entre la brousse et le village, le film Yaaba permet d’appréhender des paysages africains et leurs symboliques.
La brousse tout d’abord caractérise un paysage de savane où l’action de l’homme a peu de prise.
Nous pouvons ainsi insister avec les élèves sur le fait que la brousse n’est pas seulement le lieu où Bila va rencontrer Yaaba, mais celui où il peut échapper aux regards et aux injonctions des adultes, aux punitions de son père : la brousse est l’endroit rêvé pour échapper aux contraintes de sa condition d’enfant.
Ensuite, nous pouvons faire décrire aux élèves ce qui se passe au village. Bila est ici prisonnier de cet espace confiné où il ne peut pas courir (impossible d’échapper à son père), où les faits et gestes de chacun sont épiés par les voisins. Comparer ses comportements dans la brousse (il court, il rit, il est heureux) et au village (impossibilité de courir, obligations domestiques : un espace de contraintes, physiques et morales) permet de mettre à jour l’organisation concentrique d’un village africain et de son terroir.
Par ailleurs, ce constat spatial est érigé dans Yaaba en principe de mise en scène. Tout le film s’articule en effet autour des allers-retours de Bila entre ces deux espaces : celui, quadrillé du village, où le regard et a fortiori la caméra buttent toujours sur un mur, une case, où les mouvements sont entravés par des petites cours privatives, où toute action est immédiatement en butte aux regards (et aux commentaires) des voisins. Celui de la brousse, où le corps peut se déployer, où rien ne vient bloquer la perspective, espace de liberté, lieu idéal de la transgression mais aussi du don (Bila vole du lait, mais c’est pour l’offrir à Yaaba). Dans cet espace, Bila court et ses longues échappées en brousse sont captées le plus souvent de loin, caméra fixe (quasiment pas de travelling dans Yaaba), de même que le long voyage de Yaaba (pour aller chercher le médicament de Nopoko) et sa traversée du fleuve des esprits : la caméra, immobile, filme à distance la vieille femme qui négocie son passage avec les piroguiers.
Enfin, métonymie de la distance, va et vient entre le corps de l’Afrique et les visages, entre monde intérieur et extérieur, ces allers-retours entre la brousse et le village racontent aussi la mise à l’écart d’un monde et d’un cinéma. Ainsi, le film aborde ces territoires intimes où l’émergence d’une identité personnelle est possible. Identité possible soit dans la disparition du monde (le mot revient souvent dans le film et les enfants jouent sans cesse à disparaître), soit dans la révélation du corps (chaire ouverte, adultère révélé, passé des ancêtres révélé, …). Mais toujours dans le choix de l’émancipation.
Regards, territoires intimes et découverte de l’autre
A travers le regard et l’apprentissage d’un enfant, la construction d’une identité passe d’abord dans Yaaba par des instants intimes et personnels. Par la parole à voix basse d’une part, (les enfants chuchotent souvent pour eux-mêmes comme au théâtre) et par des lieux confinés d’autre part (la case où s’enferme une femme, le bosquet où se cache le couple illégitime et où se dissimule Bila, …).
Par ailleurs, une autre formule permet ensuite de vivre pleinement son « soi » avec l’Autre : c’est le regard ou plutôt le partage des regards pour être plus exact. Dans Yaaba, nous dit Jean Rouch : « Idrissa Oudreago va encore plus loin, fidèle à son désir d’utiliser le moins possible les dialogues, mais de tout exprimer, en regards, en larmes ou en sourires (…) Et tout ce conte de ma mère-grand est fait de vent, d’horizon, de pluies soudaines, de nuits étouffantes, avec des murmures adultes ou des fous rires enfantins, et le regard tendre d’une vieille maman. » Jean Rouch, Libération, 23 août 1989..
La fusion des corps et des éléments naturels opèrent donc à travers ces regards échangés sans un mot, au-delà des dialectes, dans cette universalité généreuse qu’est le corps. Le montage cinématographique fourmille ainsi de raccords-regards.
Enfin, cette préoccupation du regard, qui marque le cinéma africain depuis ces origines (et en particulier celui d’Oudreago) trouve son ancrage dans l’histoire coloniale du continent. Orientalistes, explorateurs, ethnologues, photographes et cinéastes : jusqu’aux indépendances, la représentation de l’Afrique a été, de façon quasi-systématique, le monopole des européens. Nul ne s’étonnera donc que l’exercice du regard (sur sa communauté, donc sur soi-même) ait d’emblée été un enjeu majeur du cinéma africain. Ni Que ce regard ait tout naturellement été porté par des personnages d’enfants, propices à des fictions portées par une dynamique de découverte et d’émerveillement. Dans tous les cas, la connaissance du monde passe par le départ, le détachement (fut-il provisoire) de la communauté.
CONCLUSION
Avec Yaaba, Oudreago invente un cinéma de l’épure : peu de dialogues, une intrigue et une matière fictionnelle réduites au strict minimum pour un film au classicisme parfait où chaque mouvement de caméra semble réduit à sa pure nécessité, épousant le rythme de son personnage principal, le petit Bila, de ses jeux et de ses rencontres. Il y a, dans cette insistance à faire surgir la fiction du paysage (au sens large), mais plus généralement dans la sérénité des rapports qu’il entretient avec le temps et l’espace, comme la marque de fabrique du cinéma africain.
Preuve que l’apprentissage du regard (celui de Bila) dont il est question dans le film ne peut s’effectuer que depuis un Ailleurs, et que sa distance morale (sur les pratiques des villageois, leurs préjugés) ne s’acquiert que par une prise de distance symbolique et/ou géographique.
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FICHE ELEVE
| – |LA BROUSSE|LE VILLAGE|
|Paysages et outils|-|-|
|Comportements des personnages|-|-|
|Regards et techniques|-|-|
|Espace et représentation|-|-|
Correction :
| – |LA BROUSSE|LE VILLAGE|
|Paysages et outils|La savane, les champs et ses outils (la daba), le cimetière à la périphérie du village, les grands espaces|Les cases d’habitations en toit de chaume et le grenier en murs de pisé où l’on conserve les grains|
|Comportements des personnages|Bila court, rit, il est heureuxLe corps peut se déployer où rien ne vient bloquer la perspective, espace de liberté, lieu idéal de la transgression mais aussi du don|Bila ne peut pas courir, les faits et gestes de chacun sont épiés par les voisins ; obligations domestiques|
|Regards et techniques|Echapper aux regards ; Les longues échappées en brousse sont captées le plus souvent de loin, caméra fixe (quasiment pas de travelling)|Le regard butte toujours sur un mur, une case où les mouvements sont entravés par les petites cours privatives, où toute action est en butte aux regards (et au commentaire) des voisins.|
|Espace et représentation|Echapper aux contraintes, liberté, lieu de transgression|Espace confiné et quadrillé, lieu de contraintes|
Un film d’apprentissage à travers le regard d’un enfant :
– Souligner l’évolution du personnage de Bila :
– L’apprentissage de Bila passe par deux pôles indissociables lesquels ?
- ses discussions avec Yaaba
- la rupture avec le clan
– Aller vers Yaaba
Aller vers Yaaba, quitter le groupe pour passer du temps avec elle, telle est la volonté du jeune Bila
– Rompre avec le clan
Se mettre ne porte à faux par rapport aux autres garçons du village, encourir la colère de ses parents sont autant d’actes de résistance, à l’échelle d’un petit garçon.
Portraits d’Afrique : dresser le portrait des personnages principaux du film :
– Bila : c’est le seul personnage du film, avec son amie Nopoko (qui le suit partout, ou presque), qui circule sans cesse entre le village et la brousse, échappant ainsi aux engueulades de son père, mais aussi aux travaux domestiques que lui impose sa mère (porter du bois, aller chercher de l’eau). Nopoko semble être sa seule amie de son âge. Bila est un enfant solitaire, et la seule scène où il partage les jeux des autres enfants du village se solde par une bagarre (il prend la défense de Yaaba, qu’un garçon du village a blessée au visage avec une pierre), s’oppose la liberté que lui octroie l’espace, vierge et illimité, de la brousse, où il peut à loisir discuter avec Yaaba ou se baigner avec Nopoko. Toujours un peu contraint dans l’espace clos du village (où il est la proie de tous les regards, donc de toutes les dénonciations, et où on père peut le punir à loisir), il devient dans la brousse un électron libre.
– Nopoko : plus craintive que Bila et dans un premier temps effrayée par Yaaba, Nopoko se laisse convaincre et finit par le suivre jusqu’à la case de Yaaba, dans un mouvement où entre une bonne part d’amour propre. On apprend dès le début du film que sa mère est orpheline (sa mère est morte). La relation qui se noue entre Yaaba et Nopoko est juste effleurée dans le film.
– Yaaba : la grand-mère : Crainte et détestée de tous les villageois, la vieille Sana est l’objet de tous les commérages, celle qui assume à son corps défendant tous les maux du village (de l’incendie du grenier à la maladie de la petite Nopoko). A son corps perclus de rhumatismes, dont les membres flétries gardent les marques d’une vie que l’on devine misérable, s’oppose la beauté hiératique de son visage, et d’un regard où tous les sentiments du monde (compréhension, tristesse, douleur, inquiétude) se lisent à nu.
– Kougri, le père : c’est un pur produit de la communauté, dont il épouse automatiquement les préjugés et opinions et dont il entend faire respecter la Loi à la lettre. Ses relations avec Bila sont simples : pas de discussion, ni de dialogue possible, Bila n’a pas son mot à dire. Quand il va voir Yaaba malgré l’interdiction de son père, celui-ci le punit, durement, sans pitié.
– Poko, la mère : sévère et peu affectueuse envers son fils, mais capable de pitié, lorsqu’elle estime que la réprimande est disproportionnée par rapport à la faute.
La mère est aussi l’incarnation de la femme africaine. Sa marge de manœuvre avec le père n’est pas aussi grande qu’on pourrait le croire : son mari la répudie, elle et ses enfants au début du film. Elle doit se cacher et avoir recours à la ruse pour donner son médicament à Nopoko à la fin du film.