Downton abbey – La série qui se regarde avec gourmandise
Traiter un tel sujet, lorsque l’on est un rédacteur régulier de Clio ciné, le site cinéma des Clionautes, suppose un certain goût du risque.
Cette série a ses inconditionnels, et malheur à celui qui égratignerait par la plume ces personnages qui, au fil des six saisons, se sont peu à peu imposés dans quelques chaumières. On se permettra pourtant, dans cette chronique, dans la perception que l’on peut avoir de cette famille aristocratique du Yorskire, entre 1910 et 1926, de faire quelques traits d’humour. Mais malheureusement, et quelques éructations sur les réseaux sociaux l’ont malheureusement prouvé dernièrement, si l’on peut rire de tout, c’est assurément pas avec n’importe qui. Tristes sires et doctes cuistres s’abstenir !
Car il faut bien le dire, les séries télévisées suscitent leur lot de fanatiques. Malheur à celui qui ferait preuve de dérision, qui aurait surtout l’outrecuidance de traiter sur le mode « pas sérieux » ce qui est devenu, chez quelques chercheurs de rencontre, un sujet d’étude majeur, méritant assurément que l’on en parle avec respect et componction. On ne plaisante pas avec la recherche, Monsieur !
On se gardera donc d’aborder dans cette chronique le slip brésilien Hommage fraternel à Ludovic Chavassus, promoteur inconditionnel de cet accessoire de lingerie intime de Lady Mary, parce que quand même, on n’a pas le droit de plaisanter avec ces choses-là ! Même lorsqu’elle l’enlève pour un diplomate ottoman au cœur fragile !
Je dois l’avouer, je n’ai pas pour l’Angleterre, les îles britanniques en général, beaucoup d’affinités. Tropisme de méditerranéen sans doute, mais cette capacité à dissimuler ses émotions ne m’a jamais séduit. Je reconnais par contre aux réalisateurs britanniques une capacité à réaliser des films en costume tout à fait étonnante. Si l’on veut faire savant, on utilisera l’expression anglaise de costume drama, ce qui donne tout de même un air branché du plus bel effet. La francophonie n’y trouvera certainement pas son compte, et l’on s’exposera à être traité de franchouillard, de beauf, tout juste bon à regarder la série, bien française celle-là, hélas, des Marseillais.
Nos doctes contradicteurs pourraient quand même se rendre compte, sans aller chercher dans cette série en costume, des références qui ne s’y trouvent pas, que les scénaristes utilisent des ressorts tout à fait classiques dans leur construction du récit.
Downton Abbey – Comme un goût de bonbon anglais
Pour autant, cela ne disqualifie en aucun cas, la qualité d’écriture des différents épisodes. L’originalité de la série réside dans les deux histoires parallèles, celle des gens des étages, les gens de la haute, que le majordome, Charles Carson, appelle avec un tremblement de respect dans la voix : « la famille ». Avec une certaine trivialité provocatrice je dirais les gens de la haute, qui soit dit en passant ne semblent pas fichus de s’habiller tout seuls. Visiblement, résider dans les upstairs, surtout dans les premières saisons, rend inapte à s’occuper de soi. Quand on est chasseur, autant avoir tous les défauts assumés, on est quand même capable de charger son fusil soi-même. La scène de la chasse à la grouse (La perdrix tout simplement), laisse rêveur. Mais il est vrai que lorsque Nicolas Sarkozy a reçu Kadhafi, 2000 volatiles ont été lâchés dans la chasse présidentielle, mais le dictateur libyen n’a pu en prélever que trois. Il faut d’ailleurs reconnaître qu’en matière de tir ces aristocrates bon teint ne semblent pas très doués.
Ces fonctions élémentaires, comme nourrir et vêtir les maîtres, sont assurées par une armée de domestiques, soumis à une hiérarchie particulièrement stricte, entre les femmes de ménage que l’on ne voit jamais, les filles de cuisine, forcément un peu nunuches, la redoutable cuisinière Madame Patmore, des valets de chambre et des valets de pied, des femmes de chambre, en conflit permanent, le tout dirigé par la gouvernante, Elsie Hughes et l’inoxydable majordome, présent dans le domaine depuis un demi-siècle.
Ensuite, soyons clair, les personnages évoluent, des passerelles existent entre ces deux étages, puisque l’une des filles de la famille, la benjamine, lady Sybille, arrive à s’enticher d’un chauffeur socialiste, irlandais de surcroît. Dans le contexte du tout début du XXe siècle, marqué par la montée en puissance du nationalisme irlandais, la situation n’est pas vraiment facile à gérer.
Le couple pivot, le Comte de Grantham et la Comtesse, reçoit périodiquement des chocs de modernité. Le démon est déjà dans la place puisque Cora Crawley, l’épouse de Robert, le Comtede Grantham, vient d’outre-Atlantique. Mais progressivement, même si Violet Crawley, la comtesse douairière, tout aussi inoxydable d’ailleurs et aussi gardienne de la tradition que le majordome, veille au respect des convenances et aux traditions, la modernité fait irruption dans les salons occupés par la famille.
On serait d’ailleurs irrespectueux en disant que la modernité fait aussi irruption dans les alcôves, avec quelques égarements ancillaires du comte de Grantham, que l’on aurait bien aimé voir se poursuivre, car il faut dire que la femme de chambre n’était pas dénuée d’intérêt.
C’est plutôt dans le garage, avec le chauffeur, que la frontière de classe est abolie, puisque lady Sybille finit par convoler en justes noces avec le mécanicien irlandais. Celui-ci joue d’ailleurs un rôle plutôt intéressant socialement, car il est sans doute le personnage qui fait le pont entre les deux mondes. S’il finit par se couler dans le moule de cettefamille de la high society, au point de devenir, après son prédécesseur malheureux, Mathieu Crawley, le fils de famille, celui que Robert aurait rêvé d’avoir. On appréciera le clin d’œil, lorsque les sentiments des deux personnages évoluent, jusqu’à une véritable affection.
Il s’agit donc d’une galerie de portraits en réalité, avec des interactions entre des personnages qui finissent par s’apprécier, se retrouver, jusqu’à se connaître bibliquement, avec tout de même un mariage au bout, parce qu’on ne doit pas plaisanter avec ça.
Il faut reconnaître que le scénariste a trouvé un malin plaisir à accabler John Bates, compagnon d’armes du Comte pendant la guerre des Boers, devenu valet de chambre et cette pauvre Anna, successivement femme de condamné, visiteuse de prison, victime d’un viol, suspectée de meurtre, et même parturiente à risque avant de finir par accoucher dans la chambre de sa maîtresse. Il y a des victimes du sort, nous en connaissons quelques-unes dans la vie réelle.
Évidemment ce drame historique, – ne pas hésiter à utiliser, dans le cadre d’une docte pédanterie, le terme de périod drama -, fait apparaître en filigrane les grandes convulsions de l’histoire. La guerre tout d’abord, celle des boers, comme la première guerre mondiale. Et une partie des personnages se retrouve dans l’enfer des tranchées, aussi bien Matthew, dont la mort prématurée a conduit certaines Clionautes à porter le deuil, que Thomas Barrow, valet de pied devenu aide majordome, passé maître dans l’art de la manipulation, et qui a d’ailleurs du mal à assumer son homosexualité. On fait tout de même référence à Lord Byron, à plusieurs reprises dans les troisièmes et quatrièmes saisons, ce n’est pas forcément un hasard.
Toutes les recettes s’y retrouvent, y compris le regard sur le handicap, celui de Matthew, qui se rétablit miraculeusement, malgré une erreur de diagnostic du médecin de famille, ce qui conduit à un rebondissement lors de l’accouchement de lady Sybille.
Le fil conducteur dans les interactions des trois filles de la famille est représenté par lady Edith, que les habilleuses et les maquilleurs arrivent à rendre beaucoup moins attrayante que ses deux sœurs. C’est d’ailleurs la difficulté à la « caser », c’est-à-dire à lui trouver un mari présentable, qui constitue la préoccupation essentielle du comte et de la comtesse de Grantham.
Downton Abbey – Il faut caser Lady Edith !
Le travail des femmes de la haute société, avec lady Edith, qui devient propriétaire d’un magazine, sa sœur Mary, gardienne des traditions, du moins dans les apparences, cf faiblesse pour un diplomate ottoman est évidemment abordé tandis que sa mère, comme sa grand-mère, se consacrent aux bonnes œuvres, comme la gestion de l’hôpital du comté.
J’ai relevé le défi qui m’a été lancé, celui de regarder cette série dans son intégralité, et j’y ai trouvé, il faut le dire, du plaisir. On peut choisir de s’identifier à tel ou tel personnage, et celui de Tom, le chauffeur socialiste irlandais, a peut-être ma préférence. Mais j’aime bien aussi Carson le majordome, homme de principes et de fidélité, que la gouvernante, Mme Hughes, traite de vieux ronchon. On pourra également apprécier le personnage de Lady Rose qui va bousculer tous les tabous sociaux en étant successivement amoureuse d’un jazzmen noir et d’un juif.
Il ne faudrait pas spoiler la série, elle est toujours diffusée sur Netflix, et il faut envisager de quoi occuper les périodes de confinement, et nous en resterons là pour ce qui concerne cette chronique.
Une série historique, est-ce de l’histoire ? Certainement pas, et affirmer le contraire relèverait de la cuistrerie. D’aucuns semblent s’y complaire. Cette série constitue-t-elle un tableau de l’Angleterre post-victorienne qui rentre dans la modernité ? Pas davantage. Il est d’autres sujets, d’autres sources historiques, d’autres problématiques de recherche, que celle-ci.
Rome – John Milius, William J. MacDonald, Bruno Heller, HBO – 2005-2007 – 2 Saisons
Une création, notamment cinématographique, est surtout le reflet de l’époque qui l’a vue naître. Et dans cette période du début du XXIe siècle, entre 2010 et 2015, il fallait sans doute donner à rêver, pour absorber le choc d’une modernité aussi brutale que celle à laquelle sont confrontés les personnages de la série. Et petit clin d’oeil involontaire et prémonitoire dans cette période « covidienne » on peut même mourir de la grippe espagnole dans la série.
Avertissement
Cet article n’a pas d’autre vocation que de constituer un clin d’œil avec humour. Inutile donc de m’intenter un procès en sexisme, cruauté animale, à cause des scènes de chasse, posture antisociale pour les domestiques, et autres scories du politiquement correct, que l’on appelle, pour faire branché, même si cela ne veut rien dire, Wokisme.
Downton Abbey – Bientôt la suite