Soldat Blanc est le premier article d’une petite série consacrée à la Guerre d’Indochine au cinéma.

L’année 2024 va être marquée par la commémoration des 80 ans du débarquement en Normandie et en Provence. Si l’année 1944 reste dans l’inconscient collectif en France celle de la libération du territoire du joug nazi, l’année 1954 quant à elle demeure marquée par le début de la guerre d’Algérie et la perte de l’Indochine, dans une forme d’indifférence étrange.

Les programmes scolaires offrent à la guerre d’Algérie une place beaucoup plus importante que celle d’Indochine. Il est par ailleurs notable qu’à ce jour peu de choses aient été faites pour commémorer la terrible bataille de Dien-Bien-Phu. Il est clair que cette défaite majeure est nettement moins positive que les débarquements de l’été 1944, et ce d’autant plus que cette guerre n’a jamais été populaire en France. Entre 1945 et 1954 elle se déroulait bien loin de la métropole, dans une France de la IVe République qui essayait surtout de se reconstruire. Alors les tourments de Éliane, Gabrielle, Huguette ou Françoise importaient finalement peu.

D’un point de vue chronologique j’ai décidé de commencer par le film de Érick Zonca, Soldat Blanc, dont l’histoire débute en 1945.

 

Synopsis

Au premier contact, dans le cantonnement de Saigon où ils viennent d’arriver en ce mois de novembre 1945, une amitié naît entre André Cariou et Robert Tual. André, qui souffrait de n’avoir pu participer à la Résistance, s’est engagé sur un coup de tête. Robert qui, lui, a pris le maquis à 14 ans, veut retrouver l’ardeur du combat. On leur a dit qu’ils allaient libérer l’Indochine des Japonais, mais la réalité est tout autre. Quand André comprend qu’il s’agit en fait de combattre les Vietnamiens qui luttent pour leur indépendance, il vacille. Robert, lui, ne se pose pas de question : il se battra contre l’ennemi de la France, quel qu’il soit. Fin 1946, leur bataillon est envoyé au Tonkin. Robert crée alors un commando de forces spéciales. André déserte et rejoint la cause du peuple vietnamien…

Voilà 10 ans sortait sur Canal+ ce film tourné au Cambodge à propos d’une période largement méconnue. En effet, de la guerre d’Indochine on a surtout retenu la bataille de Dien-Bien-Phu. Pourtant la guerre a bien commencé en 1945 et les mémoires des combats qui ont mené au désastre final ont été assez peu mis en avant par le cinéma.

 

Le travail de Éric Zonca, exploitant une idée originale de Georges Campana, est à travers cette fiction de mettre en perspective le destin de deux hommes, André et Robert, qui vont finir par se battre l’un contre l’autre. Cette histoire est tirée de faits réels et notamment du parcours de l’adjudant Vandenberghe, surnommé le « Tigre noir », qui devint la terreur du Vietminh jusqu’à sa mort, en janvier 1952. C’est ici Robert sui sera le « Tigre noir ».

 

André quant à lui cristallise divers destins de soldats français qui passèrent à l’ennemi, souvent par conviction politique, désireux de défendre le communisme et horrifiés à l’idée que la France remplace en Indochine le rôle pris par les Allemands en métropole, celui de l’occupant.

 

Comment l’Histoire broie les illusions

 

Tout au long de cette fiction on découvre ainsi des hommes, jeunes, qui intègrent le corps expéditionnaire dirigé par le général Leclerc, et qui de Saïgon sont envoyés combattre l’offensive des forces indépendantistes menées par Ho Chi Minh.

Ces hommes viennent d’une France où nombreux se sont battus contre l’occupant, avec fierté et gonflés d’un véritable patriotisme, exaltés par des idéaux, par la certitude d’avoir été du bon côté en tant que résistants, en tant que libérateurs. Au cœur de cette fiction se place avec justesse la question de l’honneur d’une armée, de l’honneur de combattants, de l’honneur de causes justes. Le problème est que ce conflit colonial transgresse toutes les règles et la définition même d’une cause juste pose très vite question.

D’une violence extrême alternent ainsi des forces françaises perçues comme forces d’occupation, réprimant le peuple, tandis que le Vietminh utilise tous les moyens, y compris la plus extrême violence, pour justifier sa lutte émancipatriceVoir à ce sujet l’excellente bande dessinée de Marcelino Truong, 40 hommes et 12 fusils, présentée ici : https://clio-cr.clionautes.org/40-hommes-et-12-fusils.html .

Tiraillé par ses doutes, écoeuré, André décide de déserter, horrifié à l’idée de servir une cause qu’il ne soutient plus. Il devient alors instructeur auprès du Vietminh, essayant de retourner des soldats français, participant activement à l’effort de propagande communiste. De son côté Robert s’enfonce au fil des combats dans une lutte sans merci contre cet ennemi insaisissable et impitoyable, devenant plus terrible encore que ce dernier, obtenant des résultats au prix de son âme.

 

Du réalisme dans une fiction de guerre

 

Les scènes de combat sont très nerveuses est globalement réussies. Le film repose sur le duel psychologique entre deux hommes, deux amis qui vont petit à petit s’éloigner l’un de l’autre de façon définitive. Cette façon d’aborder la guerre, de montrer comment les combats, la violence, broient les hommes, est globalement réussie. Le « Soldat Blanc », joué par Émile Berling, propose un André Cariou globalement convaincant, même s’il peut parfois avoir tendance à surjouer. De son côté Abraham Belaga propose un Robert Tual plus convaincant, petit à petit dévoré de l’intérieur par la guerre.

Si le propos humain est intéressant, c’est la dimension politique qui permet de mettre en perspective une réalité longtemps occultée de cette guerre lointaine. Ce que d’aucuns appelleraient le lavage de cerveau des communistes déjà abordés par ailleurs par Marcelino Truong est bien traité.

 

Il n’en reste pas moins que la reconstitution souffre aussi de quelques défauts.

En effet on ne peut être que surpris par certains dialogues, et notamment ceux du colonel Damien, joué par Kool Shen, tout droit sorti d’échanges d’une banlieue actuelle. Il ne s’agit pas de stigmatiser qui que ce soit, mais on a du mal à imaginer langage coutumier de jeunes adolescents ou adultes actuelles, dans le mode « wesh wesh » https://www.europe1.fr/culture/wesh-un-mot-dargot-francais-multi-usage-venu-de-larabe-algerien-4030290, dans la bouche d’officiers français au cœur de la guerre d’Indochine au début des années 1950. Ceci ne sonne pas du tout vrai et, par moments, gage véritablement le plaisir.

 

Soldat blanc : une transmission de mémoire nécessaire

 

Malgré ces limites cette œuvre permet de découvrir de transmettre des faits méconnus, pour peu d’y consacrer presque 2h30. La guerre d’Indochine n’a pas été binaire, manichéenne, et les ressorts de cette complexité sont abordés par le travail de Érick Zonca. Les moyens alloués à la production permettent de proposer une reconstitution tout à fait satisfaisante, en dehors de certains dialogues comme évoqué. Les décors sont magnifiques, les figurants permettent de faire vivre cette Indochine aujourd’hui disparue.

La période traitée court sur les cinq premières années du conflit. La naissance d’une nouvelle forme de guerre pour l’armée française, un corps expéditionnaire qui doit s’adapter à un ennemi qui se renforce chaque jour davantage, un adversaire redoutable, utilisant absolument tous les moyens pour parvenir à ses fins.

 

Les règles disparaissent, il n’y a rien de chevaleresque pour une force qui avait été commandée par le héros de la libération de Paris. Difficile mène vers un enfer qui trouvera sa conclusion dans la cuvette de Dien-Bien-Phu. En attendant la période couverte permet de redécouvrir le premier grand désastre de l’armée française, La tragédie de la RC4 et Cao Bang. La Haut-Commandement français, ancré dans ses certitudes, laisse le Vietminh confiné au rôle d’adversaire redoutable sur le terrain, expert en guérilla, mais incapable de mener une opération de grande envergure. Entre les 1er et 7 octobre 1950 Giap, à la tête des troupes communistes, encercle les troupes françaises et le général Carpentier assiste impuissant à l’écrasement de ses hommes (environs 4800 morts et disparus).

 

 

Le désastre appelle le sursaut et le Général de Lattre de Tassigny, nommé haut commissaire et commandant en chef, aura la charge pour l’année 1951 de redresser la situation. La suite de ce dossier nous mènera nécessairement vers Dien Bien Phu … l’occasion aussi de retrouver les analyses lumineuses de Pierre Journoud ou encore Michel Grintchenko.

***

Fiche technique

Breakout films, Canal Plus / 2014 / 2h 26min / Drame, Historique, Guerre

Titre original Soldat blanc

Réalisateur : Érick Zonca

Scénariste : Georges Campana, Olivier Lorelle et Erick Zonca

Avec Émile Berling, Abraham Belaga, Mike N’Guyen, Kool Shen, Clément Roussier