Anthropocène, l’implacable enquête débute au nord de Bilbao, sur la plage Tunel Boca, formée de matériau d’origine humaine, des technofossiles, roches noires issues des hauts fourneaux de la région. C’est le prétexte pour évoquer l’anthropocène au travers de marqueurs géologiques de ce type.
Paul Crutzen définit l’anthropocène en tant que chimiste, ce qui interpelle les géologues. Il faudrait en prouver la marque dans les strates de la Terre. Jan Zalasiewivz, paléobiologiste, propose un groupe de travail.
Douze équipes réparties sur différents sites du globe afin d’être représentatif et voir si les changements sont synchrones.
L’exemple de la mer Baltique est convoquée: elle est fermée et charrie les résidus de nombreuses activités humaines. Des carottes de 60 cm sont prélevées pour estimer les 200 dernières années. Un outil puissant qu’est le calendrier géologique pour appréhender ce temps extrêmement long: nous sommes dans l’ère Cénozoïque, la période quaternaire et l’époque Holocène débutée il y a environ 11000 ans et où l’homme a pu émerger. Il faut se baser sur ce qui s’est passé avec les dinosaures, la météorite a eu un impact global et synchrone et on le décèle avec l’iridium qui permet de définir une limite géologique temporelle.
Il faut donc un marqueur comparable qui doit être d’ampleur planétaire.
Les carottes baltiques révèlent la présence de nutriments, les engrais chimiques (nitrates) gagnent les mers et les rivières et développent les algues.
On peut aussi s’atteler à chercher un marqueur d’un organisme vivant comme à San Francisco, dans la baie. Les carottes montrent des traces du commerce mondial : l’organisme vivant, le foraminifère, fort invasif, vient du Japon et transite avec les porte-conteneurs. ces foraminifères ont remplacé, en trois ans, les espèces originelles. D’autres espèces comme les palourdes sont arrivées de l’extérieur. Il y a modification de la chaine alimentaire. On interroge notre capacité à dérégler les écosystèmes. Cela peut-il être un marqueur ?
Dans le golfe du Mexique, il y a eu prélèvement d’une carotte dans un organisme vivant, le corail. La présence de baryum, qui a augmenté récemment, s’expliquerait par l’activité d’extraction pétrolière du secteur. Est rappelée la consommation intense en pétrole.
Au Japon, à Beppu, la ville des enfers aux multiples geysers, les carottes révèlent ici des microplastiques. Le premier plastique date de 1856 mais c’est après-guerre que l’explosion quantitative se fait. 80 % des déchets plastiques se retrouvent dans la nature ensuite. Ces microplastiques ont intégré le cycle de l’eau, la chaine alimentaire et même le sang humain.
Au Canada, les carottes du lac Crawford montrent des particules fines, sphériques carbonées, qui ne se décomposent pas. A nouveau, il y a augmentation à partir des années 1950.
L’Antarctique, à l’opposé de l’activité humaine, révèle aussi ces particules.
L’explication de la « grande accélération » tient à la standardisation, la publicité, la hausse du pouvoir d’achat, la consommation de masse qui se met en marche. En superposant des graphiques d’ordre socioéconomique et des graphiques biophysiques, on constate sans appel que l’inflexion se fait en 1950. La nature n’est pas si forte en adaptation qu’on le pensait à cette époque.
Le terme « anthropocène » gène car il inclut l’humanité tout entière alors que la cause n’est le fait qu’une petite partie de la population mondiale (Europe et Amérique du Nord).
Des sites sont non étudiés en Afrique, Russie, Amérique du Sud…il y a donc scepticisme à définir chez les géologues car il y a un certain parti pris politique.
En Chine, on est au lac Sihailongwan, éloigné des influences humaines, pas si loin de Xi’an, au centre du pays. On y trouve le plutonium, un plutonium qui n’est pas originaire d’essais nucléaires locaux et donc il s’agit d’un dépôt mondial. C’est la signature humaine liée aux tests des bombes avant que ceux-ci ne deviennent souterrains.
Même si tout corrobore, il faut un site « étalon » chez les géologues, c’est l’usage : le vainqueur est le site du lac Crawford au Canada même si c’est l’esprit global du projet qui est gagnant pour prouver que les humains ont modifié la planète. Mais l’instance majeure qu’est la commission internationale de stratigraphie n’a pas statué en la faveur de l’adoption de ce terme qui définit un temps trop court à leurs yeux et non achevé de fait. Ainsi, au printemps 2024, le groupe de travail a décidé de s’affranchir de cette tutelle pour poursuivre et essayer de faire reconnaître ce terme.
On lira en complément l’ouvrage « Géographie de l’anthropocène » paru chez Armand Colin.
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