Le Procès du siècle (Denial dans la version originale) de Mick Jackson, sorti dans les salles en 2016, aborde une histoire vraie : le procès en diffamation qu’un historien négationniste britannique, David Irving, a intenté à la fin des années 1990 contre Deborah Lipstadt, une professeure d’université américaine, spécialiste de la Shoah. Le sous-titre de l’édition DVD donne le ton général : « Chacun sait que l’Holocauste a existé. Elle va pourtant devoir le prouver ».
Porté par l’excellent Tom Wilkinson dans le rôle de l’avocat Richard Rampton ainsi que par le convaincant Timothy Spall dans le rôle de l’historien négationniste, le film offre quelques scènes très exploitables en classe. Il est très adapté au programme de spécialité en Terminale (thème 3. Histoire et mémoire).
Que raconte Le procès du siècle ?
La première partie du film (dix premières minutes) commence par une conférence grand public. Deborah Lipstadt, professeur à l’université Emory (Atlanta, Georgie), présente son dernier ouvrage Denying the Holocaust: the growing assault on truth and memory. Alors qu’elle croit maîtriser pleinement l’exercice, elle est interpelée brutalement par un des spectateurs. Le spectateur en question se présente : il s’agit de David Irving accusé dans le livre d’être un historien négationniste. Elle y écrit notamment qu’Irving est « un partisan d’Hitler qui déforme les faits pour en tirer des conclusions douteuses ». Lipstadt ne parvient pas à sauver sa conférence. En sortant, elle apprend qu »Irving la poursuit, elle et son éditeur britannique, pour diffamation devant la Cour de Londres.
La seconde partie (trente minutes suivantes) traite la préparation du procès. Deborah Lipstadt doit se familiariser avec le système judiciaire anglais, dans lequel c’est à l’accusé que revient la charge de la preuve. Elle est épaulée par une équipe de juristes réputée. Les documents personnels de David Irving sont saisis et analysés scrupuleusement. Un voyage à Auschwitz permet aux avocats de mieux saisir les conditions matérielles de l’extermination. Deborah Lipstadt doit par ailleurs lever des fonds pour financer l’affaire et se heurte à quelques difficultés face à la communauté juive anglaise. Enfin, les avocats obtiennent en amont du procès que le verdict soit par un juge professionnel et non par un jury populaire.
La dernière partie (plus d’une heure) est consacrée au procès. Après plusieurs moments où le camp Lipstadt est mis en difficulté, l’avocat Rampton redresse la situation. Il prouve que non seulement les théories de David Irving sont invraisemblables mais qu’elles servent la réhabilitation du nazisme. Les travaux de David Irving ne relèvent pas d’une erreur d’analyse ou d’appréciation mais bien d’une faute professionnelle volontaire. Deborah Lipstadt est innocentée. David Irving doit payer l’ensemble des frais de justice.
En complément, je vous propose cet article où la vraie Madame Lipstadt raconte l’expérience de ce procès et commente le film.
Le principal problème du Procès du siècle : la présentation du métier d’historien
C’est mon grand reproche, le personnage incarné par Rachel Weisz n’est guère convaincant. Il est même exaspérant. Plusieurs moments d’enseignement mettent en évidence des réflexions plus morales et philosophiques qu’historiques. La fameuse conférence initiale ressemble davantage à un spectacle léger avec succession de bons mots qu’à un exposé d’universitaire.
D’une sensibilité à fleur de peau, elle peine à poser un discours scientifique sans s’indigner ou agir sous le coup de l’émotion. Il est précisé que cette historienne était elle-même juive et que la Shoah n’était donc pas un objet d’étude comme un autre. Si ce point est parfaitement compréhensible, j’ai trouvé que le réalisateur avait forcé le trait et que, devant les élèves, cet aspect mériterait un commentaire.
À l’arrivée, ce sont les avocats qui adoptent une approche réellement analytique, rigoureuse et méthodique de l’extermination des juifs. C’est bien leur « enquête » qui fournit les principaux arguments de réponse aux négationnistes. De façon significative, la stratégie des avocats consiste à ne surtout pas appeler à la barre Deborah Lipstadt, et encore moins les survivants des camps. Ils s’en expliquent d’ailleurs; il est hors de question de fournir la moindre occasion à David Irving de tourner en ridicule tel ou tel déporté qui ne se souviendrait pas d’un détail ou confondrait l’emplacement d’une pièce avec une autre. Mais, on le voit, l’historienne est placée sur le même plan. Son avocat lui assure qu’elle a déjà « tout dit » dans son livre. Deborah Lipstadt est un « témoin » comme un autre.
Certes, un historien n’arrive pas systématiquement à se départir de ses affects, de son passé et de son présent, certes, ce ne sont pas des robots qui travaillent dans les fonds d’archives, mais disons qu’ici, j’ai trouvé qu’un pas avait été franchi et que le réalisateur faisait plus le portrait d’une femme juive par ailleurs historienne de profession, plutôt que d’une historienne de la Shoah.
Le principal apport du Procès du siècle : la lutte contre le négationnisme
Au tout début du film, lors d’un cours devant ses étudiants, Deborah Lipstadt énumère les quatre ressorts principaux du négationnisme :
- Les nazis n’ont jamais eu de projet systématique d’extermination.
- Le nombre de victimes est très inférieur aux chiffres indiqués.
- Les chambres à gaz n’ont pas existé.
- La Shoah et ses drames ont servi d’instrument aux Juifs et à Israël pour obtenir des compensations financières.
On aurait pu penser que ces affirmations seraient les quatre colonnes que le film détruirait. À l’usage, c’est le troisième, à savoir l’existence des chambres à gaz, qui a monopolisé l’attention du réalisateur. Pour l’enseignant, cette centralité accordée aux chambres à gaz n’est pas un problème. Au contraire. C’est ce point, je peux en témoigner, qui donne matière aux questions des élèves. Le fait qu’un ancien candidat à la présidentielle de notre pays, Jean-Marie Le Pen ait qualifié les chambres à gaz de « détail » à plusieurs reprises depuis 1987, explique la réitération de ce type d’interrogation qui, heureusement, me semble refluer depuis dix ans.
Dans la mesure où les élèves ont bien étudié la progression de l’antisémitisme dans l’Allemagne des années 1930, avec les lois de Nuremberg et la Nuit de Cristal, ils interrogent peu la réalité du projet de la Solution finale, exposé à Wannsee en 1942. En tout cas, je ne l’ai jamais vu dans mes classes. De même, il n’y a pas de querelles de chiffres sur le nombre de victimes. Et c’est d’ailleurs problématique sur un autre plan. Le nombre est une virtualité pour les élèves ; il y a une réelle difficulté aujourd’hui à bien mesurer ce qu’il représente.
J’en arrive au dernier ressort de la liste de Deborah Lipstadt sur le « complot d’Israël ». On peut s’attendre à des questions d’élèves sur ce point. Il faudra donc que l’enseignant soit prêt à y répondre car la discussion dérivera rapidement vers le conflit israélo-palestinien. J’ai déjà eu ce type de situation. En spécialité, si le cours sur le Moyen-Orient a déjà été traité, le professeur aura déjà posé des jalons de réponse conséquents.
Comment prouver l’existence des chambres à gaz ?
Dans les premières minutes du film, Deborah Lipstadt balaie d’un revers de main l’existence de photos de Juifs dans des chambres à gaz. Si c’est factuellement exact, il sera opportun de préciser qu’il existe quand même quelques clichés rares pris par des Sonderkommandos qui montrent des détenus avant le gazage ou bien des scènes de crémation. Par ailleurs, le film l’évoque par la suite, nous disposons des dessins de David Olère, déporté à Auschwitz-Birkenau. Le Mémorial de la Shoah a lancé récemment une campagne de dons pour acquérir ses œuvres. Le film évoque les photographies aériennes prises par les Alliés qui permettent de recouper les témoignages sur les installations des camps. Oui, les Allemands ont cherché à cacher leurs crimes, oui nos sources ne sont pas aussi nombreuses que la masse de victimes pourrait le laisser croire, mais nous ne sommes nullement démunis.
Le film s’efforce enfin de démontrer que les lieux désignés comme des chambres à gaz étaient bien des lieux d’extermination. Il distille plusieurs arguments qui ne manqueront pas de convaincre les élèves. Je n’en dit pas plus pour préserver l’intérêt de voir le film.
Quel usage pédagogique ?
On peut bien évidemment isoler certaines parties, je pense à la scène initiale du cours avec la définition du négationnisme, ou encore la scène très réussie de la confrontation au tribunal sur le prétendu usage de la chambre à gaz comme abri antiaérien. Le film comportant de nombreuses longueurs, ce choix du séquençage est parfaitement justifié.
Dans la mesure où l’on peut traiter beaucoup de thématiques du chapitre 3 de Spécialité, je préconise pour ma part un visionnage intégral avec un questionnaire en appui. Ledit questionnaire est présenté sur le site Clio-Lycée et permet d’ouvrir la discussion avec les élèves. C’est l’un des points forts de ce programme d’HGGSP d’avoir un peu de temps pour ce genre d’exercice.
Bien entendu, ce film n’est certainement pas l’un des grands classiques sur le Shoah mais je trouve qu’il permet, au-delà de ses défauts, de très bien aborder l’objet de travail conclusif. Il est par ailleurs moins éprouvant émotionnellement à regarder que d’autres.
Un grand merci à Aurélie Freliez (Clio-Lycée) qui m’a fait découvrir ce film !