Restrepo, une vision de la guerre au début du XXIe siècle. Dans quelques mois, à la fin de l’été, les dernières troupes occidentales quitteront l’Afghanistan, théâtre tragique de nombreuses guerres depuis de trop nombreuses décennies. Tragique ? Pourtant, C’est pas le pied, la guerre ? La question, un poil provocante, est le titre d’un documentaire passé sur France 2, à une heure tardive, monté à partir des images de soldats français en Afghanistan.

Quel lien avec Restrepo ? L’Afghanistan, bien entendu. Pays sublime d’un théâtre d’opération lointain, oublié, dont finalement on a peu de chose à foutre. Vous imaginez, un documentaire en prime time sur une guerre qui ne dit pas son nom, au Mali par exemple, qu’on ne comprend pas et qui empeste ? Une guerre où on tue ? Pour de vrai ? Difficile pour qui désire survivre dans un environnement médiatique ultra concurrentiel où il vaut mieux miser sur des réflexions plus légères, voir point de réflexion du tout, pour résister à Netflix et consorts.

En matière de guerre Hollywood est capable des oeuvres les plus nauséabondes à l’image des Green berets de John Wayne.

Mais Hollywood est aussi capable de regarder la réalité en face, bien avant que cette idée puisse nous effleurer, nous, Français. Combien d’oeuvres françaises traitent-elles de manière critique la Guerre d’Algérie aujourd’hui, au regard de la qualité et de la masse des productions US sur le Vietnam ? Je me propose donc de faire découvrir quelques oeuvres marquantes sur ce pays marqué par le sceau d’Arès. Et, quitte à explorer ces terres, je ne vais pas me priver de sortir des sentiers battus et proposant quelques films confidentiels, pas nécessairement occidentaux. Ce dossier s’étalera sur plusieurs mois. Qui sait ce que l’actualité nous réserve pour la fin de l’été. Les Talibans sont d’ores et déjà beaucoup plus fringants qu’au début des années 2000, alors que le courroux de Washington les écrasait sous des pluies de bombes, à Tora Bora, en décembre 2001.

 

« La guerre est un caméléon » (C.V.Clausewitz)

Il est légitime de se poser des questions sur la guerre, sur ses justifications, son essence, à l’image de Carl Von Clausewitz qui a fait son apparition dans les programmes de HGGSP. En réalité rares sont les oeuvres qui plongent dans ses entrailles. La guerre, bien qu’elle soit protéiforme, reste liée à un imaginaire collectif parfois limité : il faut montrer du spectaculaire, des actions héroïques, des explosions. Mais, aussi, certains cinéastes s’aventurent dans un cheminement plus complexe de ce phénomène, résistants aux sirènes les plus aisées. C’est le cas de Restrepo.

Phénomène complexe, la guerre est ici jetée en pleine face au spectateur. Pas de musique pour accompagner le pathos, pas d’acte de bravoure, pas d’intrigue entre sergents opposés dans une section. On l’oublie souvent mais la guerre ce sont, la plupart du temps, des types normaux, placés au milieu du chaos. Guerre juste ? On en a cure. Ces hommes ordinaires sont là et ils se battent. Ils attendent, brûlent leurs excréments, chopent la gastro. Ils ont peur. Ils rêvent au retour. Ils tentent de comprendre un peuple millénaire qui se bat depuis 40 ans, qui n’a jamais été réellement conquis. Parfois il y a ces respirations, ces aides aux populations et puis, aussi, les bavures. Il y a cet ennemi qu’on ne voit pas, qui se mêle à la population. Il y a l’adrénaline d’avoir vaincu un adversaire qui a tué votre pote ; l’effroi de constater qu’on a tué des enfants.

 

La vallée de Korengal, porte des enfers ?

Restrepo c’est un soldat mort au combat. Restrepo c’est un poste avancé. Restrepo, c’est une famille. Restrepo, c’est la guerre sous toutes ces formes, telles que nous la vivons en ce début de XXIe siècle et, sans doute, telle qu’elle est depuis bien longtemps. On peut maudire cette activité politique, mais il serait illusoire de se voiler la vérité : l’être humain semble s’être toujours battu. Tim Hetherington et Sebastian Junger semblent nous interpeller :

« Hey, que croyiez vous ? Désolé, le monde est beau à l’image de ces montagnes afghanes, mais il est aussi terrible, à l’image de ces montagnes afghanes »

La guerre, c’est moche. Ceci ne doit pas nous empêcher de regarder ces hommes qui sont là parce que des décideurs les ont envoyés. Ces derniers sont, dans nos pays démocratiques, des politiques que le peuple a élus. Qu’on soit d’accord ou pas avec les finalités de ce conflit, ces soldats méritent le respect. Leur quotidien, les interviews sur leur vécu, leur ressenti, leurs questions sans réponses sont autant de moment à méditer.

 

« Mieux vaut ne pas dormir plutôt que de rêver et de revoir ces images »

Ce film-documentaire nous plonge au cœur des turpitudes de ce monde et nous laisse nous débrouiller avec. Peut-on comprendre, filmer, retranscrire la pire expérience de nos sociétés humaines ? Il ne défend rien, n’est pas racoleur ou patriotique. Ceux qui le disent n’ont rien compris ou sont campés sur des positions politiques et idéologiques. On a le droit d’avoir des idées. On a aussi le droit de réfléchir et d’accepter les faits : la guerre est toujours là et l’occulter ne sert à rien. Restrepo ne juge pas, Restrepo pose un sujet pour que nous puissions nous en emparer et y réfléchir.

Cette oeuvre, injustement méconnue, est un coup de poing qui nous interpelle : et nous, au milieu de ce merdier, que ferions-nous ? On se battrait ? On ne ferait pas de bavure ? On fuirait ? On se vengerait ? Et si on aimait ça ? On refuserait de porter les armes, sans aucun doute, pour les plus vertueux ?

Celui qui apporte une réponse définitive est un superbe menteur.

Cette œuvre s’intègre très bien dans une réflexion des programmes de Terminale en HGGSP, pour le tronc commun (Thème 4 Le monde, l’Europe et la France depuis les années 1990, entre coopération et conflits) mais aussi pour le thème 2 de HGGSP consacré à la guerre.

 

Une première version de cette critique est initialement parue en 2013 sur Sencritique.com

 

Suite de dossier …. bientôt !