Les promesses – Une vision réaliste des enjeux muncipaux, entre volonté de changer les choses et réalité du pouvoir.
Maire d’une ville du 93, Clémence livre avec Yazid, son directeur de cabinet, une bataille acharnée pour sauver le quartier des Bernardins, une cité minée par l’insalubrité et les « marchands de sommeil ». Ce sera son dernier combat, avant de passer la main à la prochaine élection.
Mais quand Clémence est approchée pour devenir ministre, son ambition remet en cause tous ses plans. Clémence peut-elle abandonner sa ville, ses proches, et renoncer à ses promesses ? …
Les promesses – Les Clionautes ont vu pour vous
J’ai pu voir ce film dans une des salles de Béziers, dans le complexe « mon ciné », installé au Polygone, dans ce centre commercial dont l’impact sur le centre-ville a été, dans une certaine mesure, assez destructeur. Il y a un lien évident entre la perception que l’on peut avoir des politiques de la ville et ce film qui traite clairement, de façon certes romancée, mais très réaliste, ce sujet. Les centaines de millions d’euros qui ont été consacrés à la réhabilitation de ce que l’on appelle aujourd’hui pudiquement les quartiers sensibles ont permis, à Béziers comme ailleurs, de nouveaux aménagements, même si les résultats ne semblent pas directement perceptibles.
L’action se situe dans le 93, et montre comment la Maire, incarnée par Isabelle Huppert, et son directeur de cabinet, dont le rôle joué par l’excellent second rôle Réda Kateb, doivent se débattre pour obtenir la réhabilitation de la cité des Bernardins.
Il est difficile de ne pas faire le lien avec la cité de la Devèze à Béziers où le quartier des Biscottes à Lille, avec ses cages d’escalier délabrées, ses parties communes insalubres, mais aussi les marchands de sommeil.
Clémence souhaite mettre un terme, après les deux mandats, à ses fonctions de maire, et passer le relais à sa première adjointe. Le cabinet du Premier ministre l’approche pour un portefeuille, mais il faut jouer entre les arbitrages budgétaires, les considérations politiques, et aussi soyons clairs, les promesses qui ont été faites. La première adjointe semble être désignée tout naturellement par clémence et par son parti, Yazid le directeur de cabinet se verrait bien dans un cabinet ministériel, mais la question se pose de savoir si la cité des bernardins sera éligible au plan de rénovation que le président de la république doit valider.
On aurait pu imaginer, surtout dans le contexte actuel, que la question des cités soit vue sous l’angle « communautaire », sur fond de prosélytisme islamiste, de gangs des cités, et de trafic de drogue. Ce n’est justement pas le cas ici, car cette cité a été, on le découvre peu à peu, éligible à un programme d’accession à la propriété, mais qu’une gestion hasardeuse a peu à peu laissé se dégrader. Toute la question est de savoir si les copropriétaires vont être en mesure de payer des charges dont le montant a explosé, et si la promesse de rénovation sur laquelle Clémence et son directeur de cabinet Yazid se sont engagés, sera tenue.
Il est possible de montrer ce film à des élèves ou des étudiants, car il est dans une certaine mesure assez représentatif d’un certain nombre de problématiques moins spectaculaires que certains documentaires, comme celui paru récemment sur Roubaix. Zone interdite
On ne trouvera pas ici de poupées sans visage ou de commerces halal. Il s’agit évidemment d’un autre sujet, que nous aurions pu évidemment traiter.
Mais la question posée dans ce film n’en est pas moins importante. L’accession à la propriété, l’importance du cadre de vie, la participation des habitants eux-mêmes, tous ces sujets méritent l’intérêt.
Je proposerai quelques questions qui pourraient être posées dans le cadre d’un travail d’enquête sur le cadre de vie et l’habitat urbain.
Comment sont gérées les cités HLM ? Quelle est la fonction exacte des bailleurs sociaux ? Que change l’accès à la propriété facilité pour les habitants ? Quels types d’aménagements réalisés pour faciliter la fluidité des relations sociales ?
Tous ces éléments méritent incontestablement que l’on s’y penche, et que le professeur d’enseignement moral et civique, intervenant direct dans l’éducation à la citoyenneté s’en préoccupe. Et ce film, qui reste une œuvre de fiction, mais qui interpelle sur le sujet, peut incontestablement y contribuer.
Les promesses – Le point de vue des Clionautes
Avant même d’aller voir ce film, force est de constater que cette histoire m’interpelle. Pour avoir accompagné comme journaliste, et ensuite chargé de communication, le travail d’un certain nombre d’élus locaux, entre la banlieue lilloise et le Languedoc, j’ai eu l’occasion de voir les contraintes et les limites qui pouvaient peser sur ces fonctions.
Dans cette période où les maires sont très courtisés par les parrainages qu’ils peuvent apporter pour l’élection présidentielle, on aurait tendance à oublier que l’essentiel de leur activité se déroule pour l’immense majorité d’entre eux à temps plein. Le maire d’une ville, ou même d’un village, est à la fois comptable de l’utilisation des deniers publics dans la cité, acteur de l’aménagement du territoire, garant de l’ordre public, y compris sur le plan sanitaire, en charge du maintien du lien social, et de tant d’autres éléments du quotidien.
Dans le personnel politique un maire est sans doute la personnalité la plus proche de ses concitoyens. Et à cet égard, l’évolution de notre société, a conduit les membres du corps social à être sans cesse plus exigeants, – davantage avec les autres qu’avec eux-mêmes – et à se comporter dans la cité comme des usagers, voire des clients, plutôt que des citoyens à part entière. On a d’ailleurs pu constater que la judiciarisation des relations sociales, qui touche également l’école, a pu dissuader, lors des dernières élections municipales, nombre de maires à solliciter un nouveau mandat.
Le synopsis de ce film montre l’investissement d’une maire en prise avec les difficultés de gestion d’une partie de sa ville, entre les attentes des habitants des quartiers sensibles, les manœuvres d’un marchand de sommeil, le rôle de l’État, à la fois très présent et très lointain, les arcanes de la réglementation, bref tout ce qui a pu faire et qui fait encore le quotidien de 36 000 élus des communes de France.
On peut retrouver dans ce film les difficultés que l’on peut avoir à choisir, lorsque les décisions que l’on prend impactent directement sur la vie des gens. Faut-il chercher à se rapprocher du pouvoir, et pourquoi ? Pour disposer de leviers pour changer le quotidien de ses concitoyens ? Pour succomber parfois à son ivresse, et aux privilèges qui peuvent y être associés ?
Il arrive parfois que les hautes conceptions morales que l’on peut avoir en prenant ses fonctions se heurte à la réalité cruelle de l’exercice du pouvoir. Et j’ai pu le voir tout au long des engagements qui ont été les miens, – davantage homme de l’ombre qu’acteur de premier plan -, investi dans le débat public, en subissant la brutalité, mais parfois ivre de l’adrénaline que celle-ci procure.
Les promesses – Il faut aller voir ce film !
Il est possible, et le dossier pédagogique d’approches.net, devrait fournir des pistes, pour que le professeur d’enseignement moral et civique puisse l’exploiter. Car il s’agit, l’enjeu est d’importance, de contribuer à la formation des citoyens. Cette formule sans cesse répétée, dans de multiples publications institutionnelles, jusqu’à déclencher un état de saturation, n’a pourtant jamais été aussi pertinente. Et si l’on croit vraiment à ce qui doit être fait dans ce domaine, ce ne sont pas de multiples injonctions, ni des propositions « d’accompagnement » diffusées au gré de PDF indigestes, qui pourront aider à cela. L’investissement de tous et de chacun, l’engagement dans le débat public, n’est pas forcément très à la mode. Surtout lorsque le débat public se limite à des likes sur les réseaux sociaux venant en support de formules lapidaires qui visent à écraser toute argumentation.
Il faut aller voir ce film !
Pour réhabiliter le débat public, pour que les élèves qui nous sont confiés ne soient pas blasés avant d’avoir vécu, pour que nos collègues aussi, les professeurs, reçoivent un antidote contre ce poison mortel, celui de l’indifférence et du quant-à-soi.
ENTRETIEN AVEC THOMAS KRUITHOF
Dans Les Promesses, vous explorez à nouveau une « mécanique de l’ombre », celle des tractations politiques, au niveau local et national…
De l’espionnage à la politique, j’aime bien, sans doute, montrer la cuisine des choses ! Après l’élection présidentielle de 2017, j’avais envie de m’intéresser au courage politique et il m’a semblé que c’était à l’échelon local qu’on pouvait encore y croire, même si à l’arrivée le film traverse toutes les strates de l’échiquier politique. J’ai rencontré Jean-Baptiste Delafon, le co-créateur de Baron noir, qui lui-même travaillait sur un portrait de maire de banlieue, il avait déjà rassemblé de la documentation, on a continué à rencontrer des maires, des acteurs du secteur associatif, ça s’est enrichi au fur et à mesure… J’ai trouvé qu’il y avait une matière humaine et sociale passionnante et viscérale autour du problème des copropriétés dégradées et des marchands de sommeil.
Ce qu’il y a de commun avec mon premier film, c’est le rapport de l’individu face au système. Dans La Mécanique de l’ombre, c’était plus ouvertement kafkaïen, mais là, au sein de cette cartographie de la vie politique, on perçoit qu’il y a différents échelons de décision, et que les individus doivent se débrouiller avec…
Le maire occupe une place à part dans ce système : il fait la liaison entre
le peuple et l’Etat. Il connait les prénoms et les noms de ses administrés et en même temps, il est exposé à l’état central. Il subit une froideur, un dédain venant d’au-dessus, et une colère, une impatience et une perte de confiance venant d’en dessous. Les gens pensent souvent qu’il a plus de pouvoir qu’il n’en a vraiment.
Critique ciné. Les Promesses, de l’éthique en politique ?