Rien à foutre

Le travail a pu occuper depuis au moins trois ans les candidats au concours d’enseignement, sur la période 1830–1930, et a priori on peut considérer qu’il n’y a pas de rapport avec ce film qui raconte les conditions d’exercice du métier d’hôtesse de l’air dans une compagnie low cost. Effectivement, dire que la situation des travailleurs a changé relève de la plus parfaite banalité. Et pourtant, c’est avec un regard d’historien et de géographe que j’ai eu envie de regarder ce film. Si l’on prend le rapport au travail, en tant qu’il désigne une activité apportant une rémunération, dans une situation de sujétion à l’égard d’un donneur d’ordre, d’un employeur, et dans une certaine mesure d’un usager–client, force est de constater que cette histoire, qui peut sembler banale, peut interpeller.

Le titre du film résume à lui tout seul ce que l’on peut de plus en plus souvent observer dans le monde du travail, y compris, et j’assume parfaitement de le dire, dans le monde enseignant.

Rien à foutre – Parabole sur le « nouveau travail »

En effet car au final l’épanouissement dans le travail, de par les mutations qu’il connaît aujourd’hui, semble de plus en plus s’éloigner, en tout cas dans de nombreux métiers. Et on peut comprendre que cette activité qui « sert à payer les factures », ne suscite pas l’enthousiasme.

Le monde des compagnies aériennes a forcément changé depuis le développement des compagnies à bas coût. Nous sommes loin de ces pilotes prestigieux qui traversent avec l’air pressé la zone d’embarquement, de ces hôtesses stylées et attentives qui apportent aux passagers une considération de VIP.

 

La compagnie fictive dans laquelle travaille Cassandre concentre à elle toute seule tous les aspects les plus répulsifs de ce type de business. Les hôtesses de l’air, chef de cabine compris, sont là pour faire du chiffre, vendre des boissons, du duty-free, faire le ménage dans l’avion après le vol, et à l’escale s’éclater en discothèque, pour terminer légèrement alcoolisées.

Effectivement ces hôtesses de l’air sont également soumises à des contrôles permanents. La solidarité entre collègues n’existe pas vraiment, par contre les appréciations assassines sont monnaie courante. « Tu n’as pas rasé tes jambes ! Je pourrais faire un rapport… »

Chaque hôtesse doit vendre un certain montant en cabine pour atteindre les objectifs fixés par la compagnie et le bien être des passagers n’est pas la priorité. Tout est prétexte à supplément – Payé au prix fort bien évidemment.

Rien à foutre – Des autres !

Ce quotidien nomade, sans attache, entrecoupé par quelques coups d’escale, équivalent aérien du coup d’un soir, peut certainement séduire. En trois jours, de Milan à Liverpool, de Madrid à Ibiza, une destination rendue célèbre récemment, on peut éventuellement découvrir des horizons nouveaux, si l’on n’est pas trop fatigué par cet état de pression permanente que le contrôle de la hiérarchie fait subir à ses salariés.

Car tout est prétexte à évaluation. Lorsque Cassandre devient chef de cabine, elle se voit reprocher d’évaluer trop généreusement ses subordonnés. Quatre-étoiles c’est beaucoup trop, lui reproche son superviseur. Ce dernier se limite à une voix au téléphone, une Visio sur un écran portable, mais les mots sont durs. La jeune femme se voit reprocher d’avoir offert, en la payant elle-même, une consommation alcoolisée à une passagère angoissée. Dans ce contexte, on découvre l’horizon familial de cette jeune femme qui a perdu sa mère, et qui doit gérer des situations que sa position nomade rend forcément extrêmement compliquées.

C’est donc à une réflexion sur « ce nouveau travail », que nous invite le film. Le thème de l’ubérisation de l’économie n’est pas nouveau. Il soumet le travailleur à une pression constante mais s’il est indépendant, il a encore une forme de libre arbitre. Ce n’est même plus le cas dans cette situation. Les contrats sont léonins, souvent basés sur un droit social inexistant, et au passage on trouve une scène très forte lorsque des syndicalistes subissent l’indifférence de ces salariées soumises et au final contraintes.

Rien à foutre – Les profs itou !

Alors me dira-t-on, pourquoi aborder ce sujet dans les colonnes de Clio ciné ? Un professeur qui aurait encore une forme de conscience sociale Il en existe tout plein chez les Clionautes – et sans doute ailleurs pourrait aborder ces nouvelles formes du travail en enseignement moral et civique. On pourrait même en géographie évoquer les hubs aériens et dans le cas de l’île de Lanzarote, l’aménagement de l’espace que cela génère, avec ses paysages de lotissements à proximité de l’aéroport.

Et puis, pourquoi ne pas rêver ? Se mettre à imaginer que ce film pourrait agir comme un électrochoc en amenant à réfléchir sur des situations que nous commençons à voir depuis des années dans notre métier d’enseignants. Des contractuels de plus en plus nombreux, de plus en plus précaires, de plus en plus indifférents aussi à toute forme d’action collective Cela concerne aussi les titulaires – tant que les concours existent tant l’évaluation par la hiérarchie locale peut se révéler délétère. Cela figure en toutes lettres dans les projets de certains candidats à la présidentielle aujourd’hui.

Car au final, l’uniforme en moins, et pour l’instant encore, heureusement, sans exigence de maquillage impeccable, c’est tout de même des situations de ce type que les jeunes générations d’enseignants peuvent rencontrer. ( Titulaires ou contractuels).

Le titre de ce film montre le détachement quasiment absolu à l’égard de l’autre, l‘indifférence, le refus de l’action collective, la superficialité des relations, résume en une formule choc des situations qui vont très au-delà de celle des compagnies aériennes à bas coût.

Rien à foutre en effet, en langage éducation nationale cela peut se traduire à la fois en « pas de vagues », mais aussi en « tout pour ma gueule ». 

Le film est incontestablement décapant, ma critique l’est aussi. Je ne pouvais faire à moins !

Rien à foutre

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Louis-Marie Barnier, Chloé Calame et Jean Vandewattyne

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