Romain Duris (Xavier) : » J’suis français, espagnol, anglais, danois ! J’suis comme l’Europe, j’suis tout ça, j’suis un vrai bordel… « .
QUESTIONS
L’extrait du film projeté (7′) va du cours d’économie en catalan au coup de téléphone de la mère de Xavier.
– Retrouvez toutes les allusions dans l’image et la bande-son de l’extrait « à la diversité hétéroclite et au désordre ingérable » de la construction européenne. Vous insisterez notamment sur les aspects culturels en général et linguistiques en particulier.
– Montrez également que cet extrait présente «la vision d’une société européenne en construction, d’une véritable identité commune ». Vous vous appuyerez aussi sur les documents 2 et 3.
– Document 3 : En quoi ce film, dans sa représentation de l’espace se singularise-t-il de beaucoup de productions françaises ? Quelle autre scène du film corrobore l’analyse du géographe ?
CORRECTION
– 1) Les allusions
- maintien des particularismes (le catalan, conflit Wallon/Flamand) qui sont étrangers, incompréhensibles aux autres membres de l’U.E, notamment au Français (référence à l’Etat-Nation, construit à partir d’un pouvoir centralisé très fort)
- incompréhension culturelle : la langue comme obstacle à la communication (jeu de mots sur la fac…, utilisation de 4 langues dans l’extrait : français, catalan, espagnol et anglais)
- différence de caractères entre les personnages : jeu sur les stéréotypes présent pendant tout le film :
|n°|Nationalités|Signes distinctifs dans le film|Dans l’extait diffusé|
|1|Française(Xavier)|L’étriqué (la bureaucratie), le convenu, le prévisible, associés à ce qui est français (mère, père, ami du père, ambiance au Ministère). Astérix, les fromages, un peu d’antiaméricanisme, « frog »|observe avec amusement les conflits entre les locataires ; timide : coup de fil de sa copine qui le met mal à l’aise ; attachement maternel avec le coup de fil ; figure de l’amoureux inquiet|
|2|Danoise(Lars)|Jeune homme posé, réfléchi, avec une conscience « écolo » comme tous les peuples du Nord (il se déplace en vélo à Barcelone), polyglotte (outre sa langue maternelle, il parle parfaitement l’Anglais, l’Espagnol, le Français…)|en retrait, observateur, ne prend pas parti dans les conflits ; amoureux d’une Espagnole : personnalité ouverte|
|3|Allemande(Tobias)|Organisé, ordonné, histoire marquée par Hitler.|sens de l’ordre : remarque sur la bouteille de jus de fruits rangée à son emplacement|
|4|Italienne(Alessandro)|« bordélique », désordonné, tête en l’air.|lunettes dans le frigo, fait des traces de pas sur le carrelage, fume sur le canapé ; décontracté : « relax » adressé à Wendy|
|5|Espagnole(Soledad)|Démonstrative, impulsive, se défend d’aimer la corrida, d’être fière, incarne le pays du flamenco, de Dali, des identités régionales (la langue catalane / espagnol castillan)|sens de l’autorité : sa remarque à Alessandro ; tient les cordons de la bourse (réflexion à Lars sur leurs dépenses)|
|6|Belge(Isabelle)|Double culture, francophone (wallons) et germanophone(flamands)|fait référence à sa double culture et à la domination flamande sur les Wallons (sentiment national) ; décidée, sans complexe, débrouillarde : fille au pair|
|7|Anglaise(Wendy & William)|La consommation du thé, l’humour original, farfelu, décalés, excessifs (alcool, phénomène hooligan…)|le thé offert aux co-locataires- sens des responsabilités : répond au téléphone, fait du repassage ; Wendy ne parle pas le français (jeu de mots involontaire), comprend juste quelques mots ou prononce des phrases stéréotypées : « je t’adore mon amor… »|
– 2)«la vision d’une société européenne en construction, d’une véritable identité commune »
- moyens symboliques : le réfrigérateur à la fois métaphore d’une société d’individus et fédération de nations (doc 3), un appartement partagé par 7 peuples (danois, espagnol, italien, français, allemand, britannique, belge), / le téléphone : la traduction pour le téléphone et le fait que les étudiants se comprennent malgré tout : dans l’extrait, ils se parlent en anglais, français, espagnol… L’anglais semble malgré tout être la langue partagée par tous (scène du frigo) notamment pour les aspects matériels. Amusant de constater que c’est le français que l’on utilise pour les sentiments (scène du téléphone entre Xavier et sa copine et les commentaires des co-locataires)… le tee-shirt offert à Xavier à la fin, symbole de l’unité européenne
- le titre même du film (en fait le roman écrit par le personnage principal) et la définition qu’en donne le personnage : « L’auberge espagnole », suggère la diversité mais également la volonté de partager (on y trouve que ce qu’on y apporte)
- la volonté de créer une identité commune dans le respect des différences (culture, mode de vie, langue) : discussion entre étudiants après le cours de la fac…
- le lieu de l’action : Barcelone, ville cosmopolite, « ouverte »…
- la mobilité européenne : Alistair, Martine, Sabine (la petite-amie d’Isabelle), Erin (la danoise avec l’enfant de Lars), William, le médecin français qui travaille à l’hôpital de Barcelone se déplacent très facilement dans cette Europe aux frontières abolies. Xavier lui même participe à un projet d’échange universitaire européen, Erasmus.
- la solidarité et la complémentarité des co-locataires : / la solidarité européenne s’exprime fortement au moment où tous se rassemblent pour épargner à Wendy l’arrivée inopportune de son petit ami Alistair.
- la culture : la musique (passage où Xavier & Isabelle se découvrent des goûts communs) / la cuisine (passage où Xavier découvre une parenté entre gratin dauphinois et tortillas) / la B.O du film : musique anglosaxonne (Radiohead) / musique latine (fin du film)
– 3) Sur le document 3
Barcelone n’est pas un simple décor, la ville joue un rôle dans l’intrigue et le déroulement du film, qui est finalement le récit d’un quadruple apprentissage :
- apprentissage de l’identité européenne
- apprentissage de la vie amoureuse et sexuelle (conseils d’Isabelle la lesbienne à Xavier, le sublime américain de Wendy…, la rupture amoureuse entre Martine et Xavier)
- apprentissage social : la mutation du personnage de Xavier en pleine construction
- apprentissage d’une ville : trouver ses repères (rues, cafés, monuments historiques), sa place (réaction de rejet des enfants dans un quartier mal famé jusqu’à l’amitié de Xavier avec le barman à la fin du film) dans une ville. Passer de l’espace perçu à l’espace vécu. La scène au début du film où Xavier découvre avec appréhension Barcelone à la sortie de l’aéroport corrobore cette analyse.
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DOCUMENTS
Document 1 : Le sujet du film, inspiré d’une histoire personnelle
Source : site internet consacré au cinéma : http://www.allocine.fr
Cédric Klapisch avait rendu visite à sa jeune soeur lorsqu’elle était étudiante Erasmus à Barcelone où elle vivait avec d’autres jeunes de nationalité différente. Le réalisateur avait alors trouvé que cela ressemblait à une auberge espagnole. Il ajoute : « Tout ce côté discontinu, dépareillé et polyphonique, c’est avant tout une source de comédie. Le partage d’un appartement avec des gens qui parlent des langues différentes, c’est forcément amusant mais ce ne sont pas que les langues qui se mélangent (…) C’est une matière scénaristique extraordinaire! C’est à la fois une source de comédie, de réflexion et de questionnement sur l’Europe et plus globalement sur la différence. »
Document 2 : L’intrigue générale du film
« De l’harmonie et du chaos », Pierre Louis Cereja, source : http://www.alsapresse.com/jdj/02/06/19/dossier/
Le scénario de L’auberge espagnole s’appuie sur le programme Erasmus, une invention politique et institutionnelle qui permet de faire des études universitaires dans d’autres pays d’Europe et qui débouche, ici, sur un moment de vie extraordinaire… Étudiant français moyen, plutôt bourgeois et tout à fait normal puisqu’il a des problèmes à régler vis-à-vis de sa famille, de son identité, de sa vie sexuelle et de sa copine qu’il laisse à Paris, Xavier part à Barcelone pour faire un DEA d’économie… Arrivé dans la capitale catalane, il galère un peu pour trouver à se loger, rencontre un couple de Français qui l’héberge un temps avant de trouver à partager un grand appartement avec sept autres étudiants, tous de nationalités différentes… En se référant au dictionnaire, l’auberge espagnole est un lieu où l’on ne trouve que ce que chacun apporte… De fait, l’appartement que partagent Xavier, Helmut l’Allemand, Alessandro l’Italien, Soledad l’Andalouse, Wendy l’Anglaise ou Isabelle la Belge, est une tour de Babel drolatique et foisonnante… comme il sied dans la patrie du Gaudi de la Sagrada Familia. Alors, comme il est loin de chez lui, parti en voyage au long cours, Xavier va sortir de sa coquille, de son cocon, de ses préjugés. Si, comme il le dit, sa vie est un bordel, Xavier va être obligé de faire des choix, trouver ce qui lui importe vraiment dans la vie…L’auberge espagnole prend des allures de film d’apprentissage où, dans la confrontation de l’harmonie et du chaos, un jeune homme apprend à s’accommoder d’une existence discontinue, instable et prend le chemin dont il a vraiment envie pour ne pas décevoir le petit gamin blond qu’il était et qui rêvait de devenir écrivain.
Document 3 : L’analyse du film par un géographe,
« Érasme, l’Europe et moi », Jacques Lévy Professeur de géographie à l’Université de Reims et à l’Institut d’études politiques de Paris, 5 mars 2003, revue Espaces-Temps 5 mars 2003).
Ce film est fondé sur une double métaphore, poussée jusqu’à l’allégorie : la diversité de l’Europe comme expression de celle de l’individu, la construction européenne comme image de la construction de la personnalité.
Passant un an à Barcelone dans le cadre d’échanges « Erasmus », un étudiant français découvre, en partageant un appartement avec des étudiants venus de plusieurs pays européens, l’importance de l’altérité dans la création d’une identité forte. Cette thématique est d’autant plus claire qu’elle est assénée de façon répétée et manifeste par une voix off à laquelle l’image ne fait parfois qu’offrir un contrepoint. La naïveté apparente du propos est renforcée par l’usage de techniques rendues possibles par le choix de la vidéo (HD), telle que l’incrustation de plusieurs images ou d’autres astuces qui donnent parfois à ce long-métrage une tonalité de clip. Ces différents éléments ont fait classer par certains critiques ce film comme un peu « facile », trop transparent pour offrir les multiples plans de lecture qu’on attend d’une œuvre d’auteur.
Il s’agit en effet d’un film « populaire » dans le sens où, d’une part, la lecture en est toujours aisée et où, d’autre part, il présente un message cognitif et éthique (autrement dit non esthétique) tout à fait explicite. Ce film voudrait appartenir (et je pense qu’il y parvient) à une famille typiquement nord-américaine du film liberal (c’est-à-dire, dans ce sens, progressiste), un genre auquel Frank Capra a donné toute sa force dans les années 1930-1940 et qu’on tente de retrouver de temps en temps aujourd’hui (voir par exemple le film américain de Stephen Frears, Unexpected Hero, Héros malgré lui).
Simple à découvrir, ce film n’en montre pas moins une significative complexité et la candeur des images et du texte se situe le plus souvent au « premier degré et demi », ayant ainsi pour effet de prendre, en douceur, le spectateur à contrepied. Ainsi se retrouve-t-on parfois à la limite du documentaire – comme lorsqu’on nous explique que la Catalogne n’est pas simplement l’Espagne – et à cet égard on entrevoit certaines potentialités du recours aux moyens de la fiction pour produire et diffuser de la connaissance : Klapisch s’y était essayé avec succès dans Riens du tout.
À propos de l’Europe, le spectateur s’aperçoit peu à peu que, à partir du cliché de la diversité hétéroclite et du désordre ingérable, il est poussé vers une autre vision, celle d’une véritable identité commune, fondée sur la gestion intégrée des différences accueillies (et ce, malgré la tentation « atlantique » qui habite l’étudiante anglaise : un Américain intellectuellement limité mais sexuellement éblouissant). La métaphore du réfrigérateur de l’appartement commun, à la fois société d’individus et fédération de nations, est ici emblématique. Ce qui réunit ces étudiants, c’est une certaine manière de s’approprier le nouveau, qui n’est pas inventé mais découvert, car il était déjà là. Celui-ci est, au moins autant que par les personnes, constitué par Barcelone elle-même, ville européenne où l’on se déplace à pied ou en métro, constellation d’espaces publics – rues, places, cafés, plages – qui opèrent comme des sas bienveillants pour accéder à l’altérité des langues, des pratiques, des sociétés. En ce sens, ce film n’est pas « français » car il ne transforme pas le référent en décor : il le traite en contexte, c’est-à-dire en un élément actif – dans ce récit, en personnage, le principal du film, à égalité avec le « héros » officiel. Et ce personnage, comme dans certains films de Wim Wenders (Der amerikanische Freund, Lisbonne Story, par exemple) ou de Theo Angelopoulos (Paysage dans le brouillard, Le pas suspendu de la cigogne,…) est constitué par l’espace extérieur, « objectif », qui s’impose à l’acteur en même temps qu’il constitue un enjeu de ses actions.
Du côté de l’individu, on trouve d’abord un dichotomie entre l’étriqué, le convenu, le prévisible, associés à ce qui est uniquement français (mère, père, ami du père, ambiance au Ministère, « ménage à trois »), et l’ouvert, le désordonné, le créatif, renvoyant à l’expérience individuelle et sociétale barcelonaise. On rencontre aussi une valorisation du voyage comme observation participante, qui va au-delà de l’idéologie du Guide du routard, notamment sur un point : l’injonction à comparer ce qu’on découvre à ce qu’on connaît sur la base de critères plus généraux que ceux liés soit au lieu connu, soit au lieu découvert. Ainsi de la scène où Barcelone et Paris sont confrontés sur le thème de la « saleté » et du « tiers-monde ». Les stéréotypes sur les « peuples » (Allemand organisé, Italien « bordélique »,…) ne sont pas frontalement contestés mais décalés : ils deviennent un socle, pour ne pas dire un patrimoine sur lequel, à partir duquel, autre chose se fabrique. Ici le rôle du frère de l’étudiante britannique est décisif : par la brutalité de son classement des individus dans des cases ethniques, il permet au spectateur de différencier identité statique et identité en mouvement. On retrouve alors la trajectoire de l’européanité, et ce n’est pas le moindre mérite de ce film de réussir de constants allers-retours entre les deux plans de l’allégorie.
Film diffusant une image positive de la société européenne en émergence et de l’auto-construction de soi, L’auberge espagnole a sans doute eu le défaut de présenter une vision du monde plutôt optimiste sous ces deux aspects, ce qui on le sait, est antinomique avec la posture eschatologique de l’intellectuel, posture qui ne peut être abandonnée sans risquer de perdre son capital politique lui assurant une légitimité auprès de classes populaires dont nul ne peut ignorer qu’elles sont projetées par les porteurs de capital économique dans une misère toujours plus profonde. Concrètement, l’itinéraire de l’étudiant français, promis à devenir un économiste besogneux, prêt à tout pour obtenir un emploi stable, qui décide in fine de devenir écrivain, exprime la conviction d’un possible accès non aristocratique à la culture et à la création. Plus qu’à certains critiques, ce « film d’apprentissage » aura sans doute parlé, si l’on en croit son succès populaire, à ces cohortes d’étudiants de première génération qui entrent à l’Université pour avoir une formation débouchant sur un job sûr et, parfois, découvrent quelque chose d’autre. Des « classes moyennes » qui ne feraient plus, seulement, preuve de « bonne volonté » ? Où va-t-on ?
À propos de l’Europe, le spectateur s’aperçoit peu à peu que, à partir du cliché de la diversité hétéroclite et du désordre ingérable, il est poussé vers une autre vision, celle d’une véritable identité commune, fondée sur la gestion intégrée des différences accueillies (et ce, malgré la tentation « atlantique » qui habite l’étudiante anglaise : un Américain intellectuellement limité mais sexuellement éblouissant). La métaphore du réfrigérateur de l’appartement commun, à la fois société d’individus et fédération de nations, est ici emblématique. Ce qui réunit ces étudiants, c’est une certaine manière de s’approprier le nouveau, qui n’est pas inventé mais découvert, car il était déjà là. Celui-ci est, au moins autant que par les personnes, constitué par Barcelone elle-même, ville européenne où l’on se déplace à pied ou en métro, constellation d’espaces publics – rues, places, cafés, plages – qui opèrent comme des sas bienveillants pour accéder à l’altérité des langues, des pratiques, des sociétés. En ce sens, ce film n’est pas « français » car il ne transforme pas le référent en décor : il le traite en contexte, c’est-à-dire en un élément actif – dans ce récit, en personnage, le principal du film, à égalité avec le « héros » officiel.