Ikea, le seigneur des forêts abattrait un arbre toutes les 2 secondes…mais, pour chaque arbre abattu, en replanterait deux d’après ses dires.

La fameuse entreprise suédoise, surnommée l’ogre dans ce reportage de Marianne Kerfriden et Xavier Deleu, semble effectivement avoir un insatiable appétit.

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Le reportage intéressera les historiens qui pourront retracer le cheminement du visionnaire fondateur, Ingvar Kamprad. Créant Ikea à 17 ans, il fit de la société une structure de vente par correspondance à ses débuts avant de rapidement bifurquer vers le modèle de la grande surface, d’abord en banlieue de Stockholm, puis un peu partout en Europe et dans le Monde. Avec du libre-service et du prêt à monter qui permet de réduire les coûts de stockage en raison des paquets plats, la réussite est totale et invente la « fast furniture ». Seulement à ce petit jeu de la recherche de l’optimisation toujours plus poussée et des prix toujours plus bas, les fournisseurs nationaux ont commencé à déserter et c’est la que la géographie entre en scène.

Ikea s’est d’abord tourné vers la Pologne qui fournit à l’entreprise 20 % de son bois (contre 7 % en Suède). Historiquement, la main d’œuvre y est bon marché et une belle offre d’arbres ayant entre 85 et 95 ans y existe.

Le problème central intéresse la temporalité et les quantités : on coupe tout et trop vite ! Les coupes rases sont catastrophiques et nuisent aux écosystèmes (le lichen disparaissant avec les arbres manque aux rennes, les ours ne peuvent plus trouver de refuge) tout en redéfinissant les paysages (la taïga originelle de la Suède cède sa place à des plantations uniquement composées de pins, les prairies brésiliennes deviennent également des zones de plantations de cette essence unique et non locale pour le coup) non sans violence (les passages des véhicules érodent prématurément les sols et le labourage pour évacuer les troncs se fait carrément sur le lit des rivières au lieu d’aller chercher une route).

Le droit et la morale s’invitent dans le débat puisque, pour reprendre l’exemple de la Pologne, le code forestier prévoit normalement d’épargner les plus gros diamètres qui, hélas, sont abattus tout de même au grand dam des habitants locaux qui préfèreraient une zone protégée pour ce vaste territoire des Carpates.

Le portrait n’est guère plus reluisant en Roumanie, un autre fournisseur de la marque, où à la violence envers les arbres s’ajoute celle envers les hommes comme en témoigne un militant tombé dans une embuscade et qui s’est vu roué de coups.

L’entreprise n’est pourtant pas inquiétée : elle refuse les interviews, est impliquée dans des affaires de transport et d’abattages illégaux en Ukraine et en Russie mais se défausse sur ses sous-traitants pour échapper aux procès.

En parallèle, elle s’engage dans un greenwashing savamment entretenu. Comme d’autres entreprises, Ikea est membre du FSC (Forest Stewardship Council), une instance chargée de délivrer des certificats de durabilité mais dont les certificateurs sont payés…par les entreprises concernées !

Dernier territoire évoqué : la Nouvelle Zélande où Ikea s’est installé avec l’idée louable de planter des arbres pour payer son tribut à la neutralité carbone. Au départ protégés, les terrains concernés ont été privatisés puis exploités ne remplissant ainsi pas le rôle qui leur ont été attribués. Et dans une zone fortement exposée aux cyclones, la fragilité du pin n’est pas un atout : autant de dégâts potentiels pour les navires et de déviations de cours de rivières en raison de barrages non voulus d’arbres ayant été charriés après arrachage.

Des réflexions importantes sont à mener et décisions politiques sont à prendre à toute les échelles : nationale déjà puisque l’industrie suédoise conçoit comme durable sa stratégie de plantations mono-essence en se targuant de n’exploiter que 1 % de son bois ; européenne ensuite puisqu’il n’y a pas de politique européenne commune sur l’exploitation du bois aboutissant ainsi à un désaccord permanent entre les pro-industrie et les défenseurs de la forêt ; mondiale bien sûr avec la simple interrogation de ce modèle de société (couper trop vite des arbres qui mettent près de 100 ans pour arriver à pleine maturité pour finalement construire des meubles qui, au gré des modes, finiront brulés au bout de 15 ou 20 ans.

En complément, on pourra lire l’article de notre rédacteur Christophe Meunier sur la mise en scène du catalogue Ikea.