Il s’agit d’un travail autonome sur une séquence du film Métropolis de Fritz Lang, dans le cadre du cours sur l’âge industriel.
L’extrait du film projeté se situe au début du film. Freder, le fils du maître de Métropolis, a rencontré la jeune Maria, institutrice, dont il est tombé immédiatement amoureux. Il décide de la retrouver dans la partie souterraine de la ville, qu’il n’a jamais vue. Il y découvre un monde dont il ne soupçonnait pas l’existence…
Le questionnement
QUESTIONS POSEES AUX ELEVES
- La découverte de la ville souterraine : par quels moyens F. Lang souligne-t-il la déshumanisation dans cette partie de la ville ?
- Comment le réalisateur envisage-t-il la relation entre les hommes et le travail ?
- F. Lang prétend s’être inspiré, pour créer Metropolis, de la ville de New York. A partir des documents page 30, 1, 2 et 4 pages 38-39 de votre livre, justifiez cette comparaison à la fois pour les éléments architecturaux et les rapports sociaux que présente la ville.
- Bilan : quelle vision de la ville F. Lang développe-t-il dans cette œuvre ?
REPONSES
- La déhumanisation des ouvriers est poussée à son extrême. Non seulement, ils n’incarnent plus que des forces élémentaires mais le corps humain est traîté comme un élément du décor. La machine dévore les hommes. Les travailleurs écrasés par le décor sont vus généralement de dos, filmés en plan général. Ils marchent les épaules voûtées, la tête tombant sur la poitrine, les bras collés au corps. Leurs pas réguliers épousent le rythme des machines (allusion au taylorisme). Les costumes gris achèvent de les dépersonnaliser, de les fondre dans la monotonie. Leur masse s’ordonne de façon géométrique (blocs carrés, rectangle), moyen de montrer qu’ils ont perdu toute personnalité.
- L’homme est dépendant du travail et de la machine. Il est soumis à sa cadence, exécute des gestes répétitifs dont la finalité n’est d’ailleurs pas clairement identifiée. La machine est comparée explicitement à Moloch, le dieu carthaginois dévorant les hommes (scène du cauchemar). La technologie a pour Lang réduit l’humanité à l’esclavage. Dans le bureau du père de Freder, on retrouve également cette soumission des hommes au travail : simultanéité des attitudes, tête baissée sur les papiers… Leur dieu est Fredersen auquel ils obéissent aveuglément.
- On retrouve bien la verticalité de Manhattan évoquée par les photographies du livre et par le texte de Céline avec son architecture gigantesque. Les jeux de lumière rappellent également l’éclairage si particulier de Manhattan. L’impression de démesure est donnée par les wagons minuscules du métro aérien que l’on voit passer (allusion à la fin du texte de Céline). L’opposition entre la ville du haut et la ville souterraine est une métaphore évidente du processus de ségrégation socio-spatiale qui s’étend à New York au fur et à mesure de la croissance de la ville.
- La vision de F. Lang de la ville est très proche de celle des expressionnistes. C’est le lieu de la démesure, de l’aliénation des hommes dévorés par le gigantisme. C’est une vision assez pessimiste de la ville qui partage les hommes et non qui les rassemble. En même temps, la ville reste fascinante (plans d’ensemble, avion au milieu de la jungle urbaine…).
—-Document 1
Présentation de l’œuvre (d’après site Internet, Monsieur Cinéma).
METROPOLIS de Fritz Lang (1926)
Nous sommes au XXle siècle. Metropolis est une cité gigantesque, faite de super gratte-ciel au sommet desquels les maîtres vivent dans de somptueux jardins fleuris. Dans les profondeurs ténébreuses de la ville, d’innombrables sous-hommes travaillent et souffrent en silence. Une jeune femme, Maria, prêche la résignation aux travailleurs. La prenant pour modèle, un savant fou, Rotwang, fabrique un robot femelle qui va entraîner au contraire ce peuple d’esclaves à la révolte. Les machines sont détruites et l’ordre rigoureux de Metropolis est un moment ébranlé. Mais Freder Fredersen, le fils du maître de Metropolis, avec l’aide de la vraie Maria dont il est amoureux, va s’interposer, parvenant à réconcilier, devant la cathédrale où le peuple s’est rassemblé, le bras (du travail) et le cerveau (du capital).
C’est la découverte, la nuit, de New York (notamment de Manhattan) et du « taylorisme », américain qui donna à Fritz Lang l’idée des décors monumentaux et de la ville souterraine de METROPOLIS. Thea Von Harbou, son épouse et scénariste, s’inspira en outre de romans de Jules Verne et Claude Farrère, de « L’Ève future » de Villers de l’Isle Adam, ainsi que de films fantastiques tels que LE GOLEM (Paul Wegener, 1920) ou AELITA (Jacob Protazanov, 1924).
METROPOLIS fut le plus coûteux des films allemands de la grande époque de l’expressionnisme. Les frais de production s’élevèrent à plus de cinq millions de marks. Le tournage dura neuf mois pleins, nécessitant la présence de quelque 36 000 figurants, parmi lesquels 750 enfants, 100 noirs, 25 chinois et, pour la fameuse scène d’évocation de la tour de Babel, d’un millier de « têtes chauves » qu’il fallut recruter parmi une foule de chômeurs, aucun professionnel n’acceptant de se laisser raser !
Document 2 : les caractéristiques du cinéma expressionniste
Par Gilles Sabatier
F. Lang a toujours refusé que l’on classe Metropolis dans la catégorie des films expressionnistes. Cependant, ce courant artistique né dans la peinture et le théâtre allemands au début des années 1910 l’a fortement marqué pour la réalisation de son film. Le cinéma expressionniste allemand est un cinéma d’avant-garde, en rupture avec les règles du cinéma narratif imposé dès les années 1910 par Hollywood. Pour les réalisateurs expressionnistes, le cinéma ne doit pas être, en effet, un simple loisir mais doit avoir une fonction spirituelle. Pour cela, le réalisateur ne doit pas hésiter à exprimer son point de vue (alors qu’il doit s’effacer derrière l’histoire dans le cinéma hollywoodien). Pour l’expressionnisme, l’art doit libérer l’homme des contraintes sociales, l’amener à réfléchir sur sa condition (tandis qu’il doit « juste » divertir le spectateur à Hollywood). Les acteurs doivent surjouer, exprimer des sentiments extérieurs. Ils sont ainsi transformés en pantins chargés de jouer des émotions humaines (la haine, la passion, la folie, la colère…). Tout réalisme dans les décors est rejeté : contre-plaqué, carton-pâte, maquettes…
L’expressionnisme, en Allemagne, a été un mouvement bref (de 1918 à 1926 environ), très marginal et très critiqué aussi mais son influence immédiate (exemple : Metropolis) ou plus lointaine, comme sur les films de science-fiction actuels, a été considérable.
Dans le cinéma expressionniste, le thème de la ville a très vite été privilégié pour 4 raisons essentielles :
– D’abord parce que les cinéastes expressionnistes refusaient les films en décor naturel, la nature étant pour eux aléatoire et incontrôlable.
– La ville présente une abondance de lieux de passage : foires, ponts, corridors, escaliers…. Or, pour les expressionnistes, c’est précisément dans ces lieux de rencontres, de passages que se joue l’action. Ils considèrent en effet que c’est dans ces endroits que le surnaturel peut surgir de la vie quotidienne, que les forces surhumaines agissent.
– La ville est l’espace par excellence des contrastes au niveau de la lumière. La lumière est utilisée comme un facteur dramatique : elle permet de symboliser les multiples facettes de l’âme humaine.
– La ville est un espace perméable qui intègre l’état psychologique des personnages. Le film précurseur de cette association entre espace urbain et psychologie du personnage reste Le Cabinet du docteur Caligari de Robert Wiene tourné en 1918. La ville épouse en fait la vision de fous et au premier rang celle du docteur Caligari. Les habitations tordues, l’absence de lignes droites, les ombres peintes sur le sol, les formes de losange sont autant de reflets des déséquilibres mentaux des personnages.