Le crabe royal, une espèce invasive en Norvège ? Dénommé ainsi en raison de la couleur bleue que prend la neige lorsqu’elle est souillée par son sang, le crabe royal est une espèce qui était inconnue en Norvège il y a trente ans.
Régal pour les papilles mais menace pour les écosystèmes à cause de sa reproduction galopante et son appétit vorace, cet animal est normalement originaire du Kamtchatka.
Le crabe royal a été introduit par les scientifiques soviétiques dans les années 1960 pour apporter des protéines à la population mais comme il n’a jamais eu de prédateur naturel, il a pu sereinement proliférer et avancer vers l’Ouest et les côtes norvégiennes qui contiennent traditionnellement du flétan et du cabillaud.
Avec cet exemple, le reportage montre bien les liens entre économie et écologie dans notre contexte de dérèglement climatique global.
Le modèle économique voit des pêcheurs faisant des belles prises avec la contrainte de rejeter les prises trop petites dans un souci de préservation de l’espèce et de satisfaction d’une clientèle préférant la chair des gros sujets. Les usines sont sur place et s’occupent d’accrocher des QR code sur les crustacés pour assurer leur traçabilité et d’organiser leur transport : en bus jusqu’à Oslo puis en avion à l’international, les animaux voyagent vivants car une congélation amènerait à ne garder que les seules pattes comestibles, générant ainsi une perte de 40 % du produit.
Les petits villages de pêcheurs de quelques centaines d’habitants ne survivraient pas sans ces usines. Et cela amène des touristes à tel point que des « safari crab » sont organisés : à 160 euros les 3 heures, la virée comprend la pêche, la préparation et la dégustation des prises qui, elles aussi, sont régies par des quotas spécifiques aux touristes.
Les bénéfices collatéraux pour la population sont mesurables : des emplois de guides émergent à destination de touristes à qui on explique que, si la pêche était l’activité originelle, la raréfaction du poisson a amené la crise et a fait disparaitre une partie de la population jusqu’à ce que l’arrivée providentielle de ce crabe qui a les fasse revenir.
Mais la prolifération rapide des crabes royaux interpelle les biologistes et océanographes qui les tracent afin d’étudier leurs déplacements. La mobilité est forte : les crustacés migrent vers les profondeurs qui sont plus fraiches au rythme de 500 m/jour et ont parfois parcouru jusqu’à 150 kms. Leur énorme appétit leur permet d’engloutir jusqu’à 15 bébés oursins en 24 heures. C’est pour cela que le gouvernement, fort de ces études scientifiques, l’a classé en liste noire des espèces dangereuses. Malgré tout, le changement climatique qui réchauffe les océans ne l’amènera peut-être pas à poursuivre sa migration plus au Sud et à gagner le fjord d’Oslo.
Le crabe royal, une espèce invasive en Norvège est une belle illustration de l’adaptation économique rapide à une nouvelle donne naturelle mais qui n’émeut que peu les touristes justement solidaires du bénéfice économique local malgré la perturbation écologique inquiétante à l’origine de cette manne.