Lancelot du Lac ou Le Moyen Âge au cinéma. Bienvenue dans ce second dossier Clio-Ciné. Après une exploration de la Bataille de l’Atlantique et de quelques unes de ses adaptations cinématographiques, j’ai décidé de franchir quelques siècles pour m’intéresser au Moyen Âge. Cette période a été largement utilisée par nombre de réalisateurs depuis la création du cinéma et multiples sont les dossiers qui ont été consacrés à cette question.
Jeanne d’Arc de Georges Méliès, 1900, un des premiers films sur le Moyen Âge
Il ne s’agit donc pas ici d’explorer tous les films traitant de cette période mais, au détour de quelques uns, de porter un regard sur une atmosphère, une ambiance. Comment filmer et représenter le Moyen Âge ? Comment emporter le spectateur dans ces temps trop souvent présentés comme simplement sombres et violents, au-delà des clichés, en se frayant un passage dans nos entrailles, en titillant nos sens, en arrachant quelques hérissements de poils.
C’est donc un dossier consacré à la quête sensorielle du Moyen Âge et non une recherche du meilleur film traitant de cette période. Un chemin singulier s’il en est mais, après tout, qu’est-ce qu’une salle de cinéma si ce n’est un antre destiné à éveiller nos sens.
Pour entamer ce petit voyage j’ai décidé de commencer par la mise en perspective de mythes et d’épopées chevaleresques à travers quelques œuvres qui m’ont marqué.
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Lancelot du Lac : la radicalité selon Robert Bresson
Pour commencer ce dossier la légende arthurienne s’est imposée assez logiquement à moi et je me suis dit qu’il serait intéressant de comparer deux oeuvres françaises, assez proches dans le temps, mais très différentes quant à leur lecture de cette période. Deux films très sensoriels, radicaux dans leurs choix, dans leur représentation de cette période. Voici pour entamer ce chemin un film de Robert Bresson, Lancelot du Lac.
J’ai découvert Robert Bresson sur le tard. Je suis assurément un invétéré inculte et je ne suis pas un fan absolu de la Nouvelle Vague même si je puis en apprécier certaines oeuvres. Preuve suprême de mauvais goût, je préfère très largement passer du temps devant Mad Max : Fury Road de George Miller ou 300 de Zack Snyder. Ceci dit, au-delà de mes nombreux défauts, j’ai une certaine curiosité et je me suis donc laissé tenter par ce Bresson, cinéaste adulé par nombre de réalisateurs et de critiques. Ce Lancelot fut donc un dépucelage et, fou que je suis, j’ai renouvelé l’expérience avec son Jeanne d’Arc quelques temps plus tard. Je vais être franc, j’ai nettement préféré la seconde expérience.
Je suis modeste, c’est simplement que j’ai tout compris, moi
Revenons-en à cette relecture médiévale, à cette quête sensorielle. Il est intéressant de lire et d’écouter le réalisateur pour comprendre son travail. Je joins donc un petit lien sympathique qui en dit beaucoup sur le projet. Cannes, 1974, conférence de presse d’un intellectuel incompris ….
Gérard Blain a tout compris, lui : ce Lancelot est un film qui s’écoute religieusement. À la limite, je pourrais presque m’arrêter là. Bon, puisque vous insistez car vous semblez poursuivre la lecture, si tant est que ces mots forment en ce moment du sens dans votre esprit, je ne vais pas vous laisser en plan.
Robert Bresson a une conception totalement radicale du cinéma ; les autres films sur le thème du Graal sont mauvais, pour rester poli, car les acteurs jouent la comédie, ce qui revient à filmer du théâtre, et tous les réalisateurs se fourvoient dans des reconstitutions ridicules à grand coup de costumes idiots. En plus ces cinéastes osent tout montrer là où Robert Bresson qui a une vision profonde, lui, pense qu’il vaut mieux suggérer et livrer des impressions. On mesure d’ailleurs le désintérêt du cinéaste pour le réalisme des costumes dans le choix des armures de la fin de la période par exemple, symboles éthérées d’une Moyen Âge aux représentations figées dans le temps.
Une armure qui ne fait pas un bruit de casserole, ce n’est pas une armure !
Du concept, encore du concept, toujours du concept
L’approche intellectuelle, conceptuelle, est très claire. Tout est millimétré, calibré. Mais par tous les astres, j’ai la faiblesse de croire qu’un film ce sont aussi des acteurs, un minimum de comédie. Ici, rien. Cadrages, travail sur le son, ambiances découpées, plans ultra fouillés, mais acteurs, rien. Le gros souci de cet exercice renvoie directement à la logique du cinéaste. Il ne veut pas faire de pornographie, c’est à dire tout montrer, et il n’aime pas les acteurs jouant la comédie. Ainsi se déroule cette histoire visuellement vite chiante et pénible. Les plans sont tronqués à dessein, le montage est parfois ultra rythmé pour suggérer le mouvement, la violence ou que sais-je, l’ambiance sonore est diablement intéressante mais le non jeu perpétuel des acteurs, leur apparence d’automates récitant un texte vire à la purge. Or nous sommes en quête d’être embarqués, quasi viscéralement.
Là où un Only God Forgive de Nicolas Winding Refn (quelque chose me dit qu’on pourrait bien le retrouver …), Lancelot du Lac pêche.
Ce film du réalisateur de Drive n’est pas vraiment aisé c’est le moins qu’on puisse dire, mais il réussit à nous happer par son ambiance visuelle et sonore, alors que Robert Bresson voit ici son travail torpillé par le travers d’un non jeu, de visages souvent monolithiques et proches d’une dépression collective. Certains gros plans sont parfaits, tels ces yeux de chevaux qui regardent la furie guerrière, d’autres posent nettement plus question à mes yeux (vive les pieds en sortie de bain).
La folie des hommes dans le regard de l’animal
Alors, un exercice convaincant ?
Ce Moyen Âge là est donc un exercice de style qui est loin de m’avoir vraiment convaincu. Intéressant sur le fond quant aux questions sur l’amour et le guerrier, vraiment novateur à défaut d’être génial quant à la façon d’aborder le tournoi, ce Lancelot est à mon goût trop conceptualisé ou ritualisé. Autant une scène de nuit suggère admirablement la lumière que représente Guenièvre pour ce pauvre Lancelot, autant certaines séquences de dialogues sont pénibles, parfois grotesques quant à ce non jeu jusqu’au-boutiste.
Un film à écouter donc, ce qui n’est tout de même pas banal, à décortiquer quant à son écriture, à son travail de plan, mais un moment visuellement parfois trop abstrait, qui jamais n’a réussi à m’envoûter. En ce sens ce film a été, à mes yeux, cohérent : il a échoué dans sa quête du Graal, la perfection cinématographique, mais est parvenu à imprimer un sentiment étrange, une ambiance singulière. Une approche conceptuelle, une pure expérience qui va en appeler une autre dans le prochain numéro de ce dossier.
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Fiche technique
Mara film, MARA-Films, Laser Productions, ORTF, Gerico Sound / 1974 / 1h 20min / Drame, Historique,
Titre original Lancelot du Lac
Réalisateur : Robert Bresson
Scénariste : Robert Bresson
Musique : Philippe Sarde
Avec Luc Simon, Laura Duke Condominas, Humbert Balsan