Michael Kohlhaas ou une vision d’un certain Moyen Âge. Seconde oeuvre présentée pour cette quête sensorielle de cette époque médiévale qui a inspiré tant de cinéastes, voici un film pour lequel l’approche n’est pas aisée. C’était déjà le cas pour le Lancelot de Robert Bresson, à croire que je fait exprès ou que cette période a décidément quelque chose de spécial. Il sera temps, lorsque ce dossier arrivera à son terme, de répondre à cette question. En attendant direction les Cévennes du XVIè siècle …

***

Michael Kohlhaas, le temps suspendu selon Arnaud des Pallières

 

Il n’est pas simple d’aborder ce film, adaptation adaptation du roman éponyme de Heinrich von Kleist (1810). Assurément il a tout pour taper sur le système des esprits shootés à l’agitation d’un tweet et peut promettre de passer un long moment pénible devant son écran. Tout aussi assurément cette oeuvre peut nous transporter de plaisir à travers un voyage terrible, si éloigné de la frénésie de nos vies « modernes ».

Juger cette œuvre n’est pas aisé. Tout d’abord, partant du XVIe siècle, la trouver dans un dossier sur le Moyen Âge a de quoi troubler les puristes. J’y reviendrai. S’il dispose de tout le potentiel du chef d’oeuvre, de la claque esthétique et philosophique, Michael Kohlhaas n’en reste pas moins inachevé et profondément imparfait. Arnaud des Pallières semble avoir voulu nous plonger dans une époque lointaine, révolue, un peu à l’instar du travail de Jean-Jacques Annaud dans Le Nom de la Rose. Si l’ensemble est plus cohérent que la majorité des films traitant de l’époque médiévalo-moderne – il suffit de regarder comment un Luc Besson ou un Ridley Scott traitent de ces périodes, si les Cévennes sont incroyables de sauvagerie, si les Guerres de Religion sont là – l’intervention de Denis Lavant est magistrale -, prégnantes à défaut d’être jamais réellement abordées, si les liens d’hommage, de hiérarchie sclérosante sont bien là, Arnaud des Pallières multiplie les lourdeurs.

Certaines séquences sont quasiment illisibles, à l’instar de la vendetta initiale dans un château bien froid. Le rythme souffre, l’ennui guette, l’écriture ne convainc pas toujours, le travail de montage laisse parfois perplexe. Même les décors, splendides, semblent parfois étriqués et écrasés. N’est pas David Lean qui veut, bien entendu, mais tout de même, Lawrence d’Arabie magnifiait le désert là où cette oeuvre laisse entrevoir une beauté incroyable sans jamais véritablement être capable de nous la faire éclater en plein visage.

 

Parfois, malgré tout, le souffle n’est pas loin

 

De l’imperfection naît le plaisir

Pourtant, ça fonctionne. Pourtant, je ne peux pas être aigri ou même véritablement déçu par cette expérience. L’imperfection fondamentale de ce film trouve écho dans le français imparfait du pilier quasi unique, de la clé de voûte de cette cathédrale inachevée, à savoir Mads Mikkelsen. Par tous les dieux, que cet acteur est immense. Un regard, un souffle, une caresse suffisent à remplir l’espace. Dingue de charisme, je l’ai retrouvé là où Nicolas Winding Refn l’avait laissé dans Valhalla Rising. Une performance incroyable pour un acteur clé de ce début du XXIè. Oui, j’ai décidé de faire dans le pompeux.

 

Mads Mikkelsen ou l’art de porter, presque seul, une oeuvre

 

Portés par le génial danois donc et le talent inabouti de Arnaud des Pallières, nous voici aux côté d’un homme enfermé dans ses logiques. Un héros qui, pour deux chevaux et l’honneur est capable de la plus terrible des vendettas. Un homme qui cherche dieu mais, plus encore, une certaine justice. Un enfoiré qui ne pense qu’à lui, laissant sa fille aux bons soins de la providence. Un héros anachronique, obtus, impitoyable, froid, amoureux, fin, humain, salaud, ouvert, cultivé, primitif, révolutionnaire, dévot, capitaliste, matérialiste, spirituel, égoïste. Le tout dans un temps qui s’est arrêté. Ce XVIè est lent car il doit l’être.

Point d’internet ou de portable, point d’interrupteur mais des bougies, du vent, de la brume. Point de voiture mais des pieds et des chevaux. Point de planète à traverser en 24h, mais un espace étriqué où la ville fait figure de bout du monde, où la campagne est un univers sauvage. Un monde qui fut, avec ses codes, ses rites, ses logiques si différentes des nôtres. Un monde du XVIè qui en vérité embrasse encore très largement les logiques médiévales, rendant cette rupture de 1492 largement absurde pour ces êtres traversant les Cévennes. Un Moyen Âge de Jacques Le Goff.

Voilà pourquoi ce film qui peut rebuter a tout pour fasciner. Encore faut-il fait l’effort de quitter nos habitudes et pardonner les défauts de ce qui aurait pu être un chef d’oeuvre. Le temps nous nourri plus qu’il ne nous détruit. Alors oui, il faut aimer la lenteur. J’ai la faiblesse de croire qu’elle aussi immersive et nourricière.

 

Ὁ χρόνος διδάσκει τοὺς ἀνθρώπους

 

À bientôt pour une nouvelle expérience médiévale, en quête de sens et de plaisir de toile.

***

Fiche technique

Les Films d’ici, Looks Filmproduktionen, Arte / 2013 / 2h 02min / Drame, Historique,

Titre original Michael Kohlhaas

Réalisateur : Arnaud des Pallières

Scénariste : Christelle Berthevas et Arnaud des Pallières, d’après le roman de Heinrich von Kleist

Musique : Martin Wheeler et les Witches

Avec Mads Mikkelsen, Delphine Chuillot, Mélusine Mayance, Bruno Ganz, Swann Arlaud, Denis Lavant

 

***

Ce billet est une adaptation de la critique initialement parue sur senscritique.com