Guerre d’Algérie – histoire – mémoires – Un film de James Blue – 1962.

Vital Philippot qui dirige la structure Zéro de conduite, notre partenaire depuis de nombreuses années, m’a demandé ce vendredi de regarder ce film réalisé en 1962, restauré en 4 K par l’image retrouvée avec la Fondation Blue et la Film Foundation (Martin Scorsese). Il ressortira dans sa version restaurée le 16 mars prochain (la semaine de la date anniversaire des accords d’Evian). Le film a obtenu le Prix de la Critique au festival de Cannes en 1962 (quelques mois donc après les accords d’Evian), c’était la 1ère édition du Prix de la Critique.

Le réalisateur James Blue est surtout connu car il a été un grand documentariste (« Les Oliviers de la justice » est son seul film de fiction). Il a été formé à l’IDHEC en France dans la même promotion que Costa-Gavras (qui soutiendra la sortie du film).

Il est à mon sens possible d’utiliser ce film en classe, à la fois pour traiter le thème trois du programme de spécialité, et notamment l’axe un, histoire et mémoire des conflits, mais également pour le tronc commun, avec la nouvelle place de la France dans le monde qui aborde la crise algérienne.

Guerre d'AlgérieSynopsis 

Jean a quitté l’Algérie depuis longtemps et vit en France. À l’annonce de la mort prochaine de son père, il se rend à son chevet, dans son pays natal. Alors que la guerre d’Algérie change la destinée du pays, il évoque ses souvenirs d’enfance.

Tourné aux tout derniers mois de la guerre d’Algérie dans les plaines de la Mitidja et les rues d’Alger, avec des acteurs non professionnels pour la plupart, ce film témoigne à sa manière de la fin de l’Algérie coloniale.

Ce film est sorti en 1962 et il m’a ramené à mes propres souvenirs d’enfance. Je suis né en Afrique du Nord, en Tunisie plus précisément, et j’ai vécu cette période avec mon regard d’enfant qui avait le même âge que Jean, le personnage central du film. Ce dernier qui vient accompagner les derniers jours de son père, fermier ruiné, se souvient de son enfance, et son personnage a le même âge que moi, au moment des « événements » qui ont mis un terme à l’Algérie coloniale.

Ce film est une fiction, mais il est particulièrement réaliste. Mais cela n’en fait pas pour autant un récit historique ni un film documentaire. Il permet surtout de connaître le ressenti de cette communauté des Européens d’Algérie, de ces petits blancs, durs au travail, pionniers et bâtisseurs, happés par les tourbillons de l’histoire.

On ne trouve ici aucun manichéisme, simplement la vie ordinaire, presque banale, de cette Algérie des années de la fin des années 50 qui n’imagine pas son destin autrement que dans ce lien tissé depuis plus d’un siècle entre les hommes et la terre qui les nourrit.

 

Mais ces dialogues, ces affirmations sur « les Arabes qui ne comprennent que la force », mais aussi les remarques de Michel, celui qui va mourir, et qui rappelle que « c’est en parlant leur langue qu’on les comprend » participent d’un vrai tableau de cette Algérie complexe.

Guerre d’Algérie en bruit de fond

Cette vie n’est pas facile, et Jean qui est revenu au pays, après avoir construit sa vie en France, se souvient des moments heureux, de son copain Saïd, de l’employé de son père, Alfa, des tensions avec M’Barek, le guide spirituel des 20 familles arabes qui vivaient sur la ferme familiale.

L’action se situe entre 1956 et 1958, les attentats à la bombe dans les rues d’Alger ont déjà commencé, les soldats qui patrouillent sont à l’évidence des appelés du contingent, et si, autour de la dépouille de Michel, ceux qui participent à l’enterrement envisagent de partir, cela n’apparaît pas encore comme une évidence. Le choix entre la valise ou le cercueil  la référence à ce film ne vaut pas approbation de ses thèses ni condamnations. Il s’agit simplement d’aborder cette situation des rapatriés dans toute sa complexité. Ne semble pas définitif !

Au fur et à mesure que le récit avance, dans cette ville d’Alger où l’on entend parfois des coups de feu ou le bruit des hélicoptères militaires devient habituel, on voit se dessiner, à partir des flash-backs du personnage principal sur son enfance, l’histoire de cette terre ensemencée par la sueur de ces « colons » et aussi celle de leurs ouvriers agricoles.

Guerre d'Algérie Alfa, ancien combattant de la seconde guerre mondiale avec Michel raconte à Jean ces injustices quotidiennes et l’accumulation des ressentiments, ceux qui ont contribué à rendre impossible la construction d’un avenir commun. Comment imaginer alors que l’on puisse construire un pays ensemble. C’est l’histoire d’une déchirure en marge des grandes convulsions de la décolonisation que James Blue met en scène dans ce décor réel qui a été celui de mon enfance. À quelques années près c’est également celui de Jean Pelegri, le romancier et poète, auteur du roman éponyme qui a été repris comme trame de ce film.

On y trouve ce double déchirement, celui de cette famille de fermiers de la Mitidjah qui vivait dans un bonheur tranquille au milieu de ces terres, malgré les longues journées et les difficultés du quotidien. La confrontation existait quelquefois avec les familles installées sur l’exploitation et les journaliers. Le paternalisme était à la base de ces rapports sociaux, mais il n’empêchait pas la considération et l’estime.

Cette famille, ruinée par de « mauvaises affaires » se retrouve installée en ville, mais Michel, jusque sur son lit de mort pense à ces vendanges, à ces vignes qu’il a pu planter, aux soins exigeants à apporter à un vignoble et à des arbres fruitiers. Et dans cet appartement, reproduction modeste d’un immeuble haussmannien, aux petites pièces meublées de bric et de broc, cette famille déjà déclassée socialement voit son monde peu à peu disparaître.

Ce monde a été en partie le mien, de l’autre côté de la frontière orientale de l’Algérie. Le problème n’étaient pas fondamentalement différents dans cet univers assez surprenant où l’on trouvait à la fois le métissage et d’invisibles barrières. De 1956 à 1967 la Tunisie indépendante a pu voir cohabiter des Européens, majoritairement italiens du Sud, des maltais, des juifs tunisiens avec une majorité population arabo-berbère. Dans ce film réalisé en 1962 on retrouve des scènes de rues qui ne sont pas fondamentalement différentes des terrains de jeux de mon enfance, entre la kasbah et le quartier européen, entre la paroisse Saint-Joseph et la Zitouna de Tunis.

Ce film dont l’inspiration était probablement militante en 1962 permet de nuancer, d’expliquer, comment après plusieurs décennies certaines blessures restent encore ouvertes. Et en même temps, lorsque l’on voit les représentations dans lesquelles s’inscrit ce groupe familial on se rend compte que cela vaut mieux que les discours revanchards des nostalgiques de l’Algérie française comme ceux qui ont dédouané les dirigeants de l’Algérie dépendante de leurs responsabilités dans l’État actuel de ce pays.

https://www.jeanpierrelledo.com/breve-biographie-de-jean-pelegri/

JEAN PÉLÉGRI Les Oliviers de la justice Collection Blanche, Gallimard
Parution : 13-10-1959
N’APPARTIENT PLUS AU CATALOGUE DE L’ÉDITEUR DEPUIS 1996

La présentation à la sortie du livre 
Ce récit se situe à Alger dans les années 1954-1955. Un homme voit mourir son père. En contrepoint de cette agonie, il évoque les souvenirs de son enfance : la ferme paternelle, et les figures de ceux qu’il a connus et aimés. Parmi ceux-ci les musulmans occupent une place de premier plan, et c’est, en fait, la fraternité franco-arabe que célèbre l’auteur.
La gravité simple du ton, son émotion contenue, la noblesse constante de l’expression disent de quelle nécessité intérieure procèdent ces souvenirs. De la fraternité franco-musulmane.
l’auteur nous propose quelques images simples et fortes qu’on souhaiterait voir se répandre dans les circonstances présentes.