Afghanistan – une vision parfaitement désabusée et réaliste de la guerre en Afghanistan menée par les soviétiques de décembre 1979 à février 1989.
Leaving Afghanistan
6 novembre 2019 De Pavel Lungin
Par Aleksandr Lungin, Pavel Lungin
Avec Kirill Pirogov, Yan Tsapnik, Mikhail Kremer
Titre original Bratstvo
La bête de guerre
Kevin Reynolds (1988)
On se souvient que pendant cette période les talibans étaient considérés comme des combattants de la liberté par les États-Unis qui ont favorisé leur développement à partir du Pakistan.
Ce film qui est sorti en 2019, 30 ans après le retrait des troupes soviétiques, mérite incontestablement que l’on s’y intéresse. Il est intéressant par la vision critique qu’il développe, non seulement sur les conditions du retrait, mais aussi sur les drames personnels que les soldats de l’armée rouge ont pu connaître.
Les sorties de conflits ont déjà servi de trame à de multiples films de guerre, tout comme les tentatives de libérations d’otages. Dans la plupart des cas celles-ci se terminent par la libération d’un héros positif, ce n’est pas le cas ici.

Afghanistan ? Nous sommes tous morts, même ceux qui sont restés en vie

 Le film montre de façon extrêmement réaliste le mode de fonctionnement de l’armée rouge pendant cette période.
La préparation du départ du corps expéditionnaire soviétique se fait sur fond de trafics divers permettant aux soldats de rentrer au pays en ayant retiré quelques profits de leur engagement. Mais cela conduit à des actes particulièrement répréhensibles comme la vente aux moudjahidines d’armes soviétiques comme le remarquable lance-grenades automatique AGS 17 qui, tout comme sa nouvelle version, AGS 30, connaît un véritable succès.
Les autochtones semblent s’être adaptés à cette occupation soviétique et encouragent les comportements les plus discutables, y compris les détournements d’argent, de vivres, et d’armement.
Afghanistan-AGS 17
AGS 17 – Flamme
Un pilote, fils de général, se crashe dans les montagnes et tombe aux main d’un groupe de moudjahidines particulièrement actifs, dirigés par un ingénieur formé à Minsk. On trouve d’ailleurs dans le groupe un déserteur de l’armée rouge, converti à l’islam, un phénomène particulièrement important pendant cette période.
Les troupes engagées dans la libération de cet otage sont également très composites. On retrouve des éléments de la 108e division, des Spetnatz, (les forces spéciales de l’armée rouge) et des agents du KGB particulièrement lucides sur la situation du pays. Ils ne sont d’ailleurs pas présentés de façon négative, contrairement au général, ivre de vengeance, qui donnera l’ordre de commettre un crime de guerre.
Les scènes de combat sont remarquablement filmées. Et l’on trouve dans la section engagée dans l’affrontement qui a lieu dans un hameau, un cinéaste qui réalise un documentaire sur l’opération. Quelque part c’est le regard du réalisateur que l’on trouve dans le film.
Le réalisme des prises de vue permettrait d’ailleurs à ce film de servir de support d’instruction pour le combat en zone urbaine.
Dans ce village à flanc de montagne, les espaces ouverts sont rares, propices  aux embuscades, avec des postes de tir nombreux.
Les habitations sont regroupées, séparées par de petites ruelles, et les possibilités de disposer des pièges sont particulièrement nombreuses.  Un simple poulailler devient un piège mortel pour des membres de la section engagée dans le nettoyage du village. Un des rares héros positifs de ce film, un champion de lutte gréco-romaine dans le civil, se retrouve engagé dans une opération de combat particulièrement violente, et doit assumer, sur ordre de son lieutenant un crime de guerre en ouvrant le feu sur un homme prêt à se rendre.
On est évidemment très loin des stéréotypes que l’on peut retrouver dans les productions américaines. Ces soldats de l’armée rouge ne sont finalement pas très différents de ceux des armées occidentales, avec peut-être cette amertume et cette lucidité sur un système qui est en train de s’effondrer. Les allusions à la perestroïka de Gorbatchev sont d’ailleurs nombreuses, tout comme celle envers les États-Unis qui ont permis aux talibans et aux moudjahidines de briser la supériorité aérienne de l’armée rouge.
Le conclusion en août 2021 des interventions en Afghanistan, commencées en 1979, suscite toujours un certain malaise. 10 ans d’intervention soviétique, vingt années d’interventions occidentales, pour voir au final les talibans revenir triomphalement à Kaboul. Aujourd’hui, alors qu’une catastrophe humanitaire majeure est en cours dans ce pays, que la chape de plomb de l’islamisme radical s’abat sur l’Afghanistan, ce film qui relève autant du documentaire que de la fiction montre comment, malgré la supériorité technologique des armées modernes, une guerre de contre guérilla ne peut au final l’emporter sur des insurgés animés par la foi et par un mépris de la mort.