À corps perdu

Voici le texte de présentation de ce film projeté en avant première nationale à Puisserguier le 2 juin dernier. On notera que le montage vidéo réalisé par Paul-Arnaud Boudou donne un texte assez différent. Il y a eu deux présentations successives de ce moyen-métrage et je n’ai pas souhaité reprendre mon texte initial.

Bonsoir à tous,
c’est avec beaucoup de plaisir que je réponds à l’invitation de Emma Debroise, la scénariste et la maîtresse d’œuvre de ce moyen métrage que vous allez voir dans quelques minutes. Revenir à Puisserguier, un village que je n’ai jamais vraiment quitté tant les liens que j’ai pu y nouer il y a 24 ans sont restés forts.

Ce soir j’interviendrai, et c’est une première pour ce qui me concerne ici, comme l’historien que je suis, pour mettre en situation cette histoire de fiction mais qui reste d’une terrible réalité.
Au-delà des événements historiques, et nous sommes bien placés dans notre région pour en parler, il y a leur mémoire. Je citerai bien entendu les mémoires de Puisserguier, cette association qui mène un travail remarquable, mais il y a aussi ces mémoires blessées, celles qui évoquent les convulsions de l’histoire.

Et au fur et à mesure que le temps passe, que les témoins disparaissent, les mémoires reviennent à la surface. On pourrait trouver cela positif, si cela n’était pas trop souvent instrumentalisé. La mémoire d’un témoin, d’une famille, est un précieux vestige. Il s’inscrit dans la formation d’une identité. Mais la mémoire n’est pas l’histoire. Mais celle-ci est un objet d’histoire, et depuis les années 1970, des historiens comme Philippe Joutard à propos des guerres conduites par les protestants des Cévennes contre les dragons du roi Louis XIV, ont ouvert un chantier sur le lien à opérer entre l’histoire et la mémoire.
Cela est d’autant plus important que les mémoires qui sont une somme d’histoires individuelles peuvent se révéler concurrentes et parfois, souvent, conflictuelles.

Dans les programmes d’histoire du second degré, en classe de terminale, depuis plusieurs années, les professeurs traitent de ce chapitre : « l’historien et les mémoires ». Ils ont le choix entre deux épisodes qui sont deux fractures de notre histoire nationale, les mémoires de la seconde guerre mondiale, et cette réalisation s’inscrit parfaitement dans cette démarche, et l’historien et les mémoires de la guerre d’Algérie.

Notre territoire porte témoignage de ces deux mémoires.

Au moment où je préparais cette intervention je recevais le récit d’un de nos voisins, un habitant de Cessenon, âgé de 77 ans, qui au fil de ses pérégrinations sur Internet, a découvert le combat que nous avons mené à Béziers depuis 2014, contre le locataire de l’hôtel de ville qui semble avoir un problème relationnel avec l’histoire.
Jacques, puisque c’est de lui qu’il s’agit, m’a donc confié son texte, 165 pages de souvenirs, ceux d’un appelé en Algérie, entre 1960 et 1962. Dans les mois qui viennent, nous mettrons en œuvre nos compétences pour conserver ce témoignage, et surtout pour le remettre en perspective. En visitant les sites des Clionautes, et notamment Clio-ciné, vous pourrez suivre l’avancée de ce travail.

Avec cette œuvre de fiction, Emma a voulu écrire une histoire, l’histoire d’une femme, dans ce que l’on appelle « la grande histoire » celle des historiens, qui ont traité cette période de tensions extrêmes, celle de la libération et de l’épuration.
Libération du territoire national de l’occupant nazi, mais aussi début de ce qui aurait pu être une guerre civile. D’autres pays, comme la Grèce à partir de 1945, n’y ont pas échappé.
En France, dès la fin de la guerre, les chiffres les plus fantaisistes ont commencé à circuler. Souvent d’ailleurs relayés par les services des troupes américaines présentes dans le pays. Les chiffres de l’épuration de masse ont été relayés par Robert Aron, dans son histoire de l’épuration, qui parle de 40 000 victimes. Dès novembre 1944 on parlait de 100 000 morts. Un journaliste américain parfait de 50 000 morts dans l’rac méditerranéen dès 1944.
La vengeance a été à l’origine de ce que l’on a pu appeler l’épuration extrajudiciaire, et l’on a pu considérer que cette dernière aurait fait, de sources préfectorales près de 10 000 victimes. Le comité d’histoire de la seconde guerre mondiale, dans une enquête menée dans les années 50, département par département, semble avoir arrêté le chiffre autour de 8100 personnes, sur 87 départements.

Il faut évidemment situer cela dans le contexte de vengeance, à partir de 1943, notamment et l’occupation de la zone sud, le développement des maquis, y compris dans notre territoire, et la constitution de la milice de Darnand, dont les membres ont pu être pourchassés à la libération, et parfois exécutés après un jugement sommaire. Il faut voir ce film très dérangeant de Louis Malle, Lacombe Lucien, paru en 1974.

Il faut noter également que des meurtres ont pu être commis, sous couvert d’action de résistance, ce qui a conduit d’ailleurs leurs auteurs devant la justice et parfois des pelotons d’exécution.
La question qui est abordée dans le film est celle des femmes tondues à la libération.
Le phénomène s’est déroulé dès la fin 1943, et ces actes étaient commis de façon spontanée, surtout avant juin 1944, et le début du repli allemand, contre les femmes qui se prostituaient, ou qui simplement entretenaient des liaisons sentimentales avec des soldats des troupes d’occupations.
Dans certains cas l’organisation de ces tontes a pu être organisée de façon entre guillemets « légale », par décision du commissaire de la république de Montpellier par exemple, lors d’une réunion des forces françaises de l’intérieur.
On propose : « les femmes ont couché avec des Allemands seront conduites au service de la prostitution ; elles seront tondues et mises en carte après avoir subi un examen vénérien. »
Je rappelle qu’avant guerre, jusqu’à la loi Marthe Richard de 1947, les femmes qui faisaient commerce de leur corps étaient mise en carte et soumises à des contrôles sanitaires, lorsqu’elles étaient en maison closes.
L’assimilation de ces femmes qui pour la plupart avaient commis la faute d’aimer un homme au-delà de l’uniforme qu’il portait, à des prostituées, explique pourquoi la tonte des cheveux a été pratiquée.
Cela s’inscrivait dans une mesure de prophylaxie contre les maladies vénériennes, mais aussi comme une démarche spécifique contre le corps des femmes, leur faute étant considérée comme plus grave que celle des hommes.
On retrouve d’ailleurs cela dans une tradition très ancienne, parce que la femme transmet la vie, elle n’est pas considérée par la communauté comme propriétaire à part entière de son corps. L’offrir à l’occupant relève de la trahison.
Au Moyen Âge la femme adultère est exposée et promenée dans les rues de la ville, et forcément considéré comme perdue.
Dans le code napoléonien la femme est adultère quel que soit le lieu où l’acte a été commis. L’homme n’est adultère que lorsqu’il commet cet acte au domicile conjugal.

Cette répression spécifique exercée à l’encontre des femmes est une sorte de catharsis collective, d’exorcisme, souvent commis par la communauté même qui avait bien dû, pour continuer à vivre côtoyer l’occupant. Collaborer en quelque sorte, y compris de la plus anodine des façons.

Au rendez-vous allemand
Paul Eluard 1944
1944
Comprenne qui voudra
Moi mon remords ce fut
La malheureuse qui resta
Sur le pavé
La victime raisonnable
À la robe déchirée
Au regard d’enfant perdue
Découronnée défigurée
Celle qui ressemble aux morts
Qui sont morts pour être aimés
Une fille faite pour un bouquet
Et couverte
Du noir crachat des ténèbres
Une fille galante
Comme une aurore de premier mai
La plus aimable bête
Souillée et qui n’a pas compris
Qu’elle est souillée
Une bête prise au piège
Des amateurs de beauté
Et ma mère la femme
Voudrait bien dorloter
Cette image idéale
De son malheur sur terre.

A propos de l'auteur

Bruno Modica

Président des Clionautes du 9 février 2013 au 31 décembre 2019. En charge de la stratégie et du développement.  

À corps perdu

Le 2 juin, à 18 heures à la maison du peuple de Puisserguier les Clionautes seront associés à la présentation de ce film de court métrage qui a été tourné dans le village et qui évoque cet épisode de la libération pendant lequel les femmes qui ont vécu une histoire sentimentale avec des allemands ont été maltraitées. Ce sujet sensible est le point de départ de la réalisation de ce film qui revient sur la mémoire de cette période.
Le sujet des femmes tondues à la libération sera remis dans le contexte historique de l’épuration qui a suivi le départ des troupes d’occupation. Cette réalisation a associé des figurants de ce village de Puisserguier qui fut, pendant la période de l’occupation un des lieux de résistance avec la proximité de Fontjun.
C’est au Col de Fontjun entre les villages de Cébazan et de Saint-Chinian qu’ont lieu des combats entre l’occupant et les maquisards locaux. Cinq français sont tués, et 18 prisonniers qui après avoir été interrogés et torturés sont fusillés, sans avoir parlé, le 7 juin, en présence de la population, au Champ de Mars à Béziers. Tant à Béziers que dans les villages autour. De Capestang, Puisserguier, Colombiers, Nissan-lez-Enserune, Poilhes, Maureilhan, Montady… chacune de ces communes dénombre un de ses enfants parmi les martyrs. Juliette Cauquil de Puisserguier, épouse d’un condamné, a demandé à être fusillée aux côtés de son mari.

Deux projections 18 heures et 19 heures le vendredi 2 juin, Maison du peuple Puisserguier

écrit par Emma Debroise et réalisé par Mathieu Hussenot

Avant première à Puisserguier, seconde projection à Paris, pour changer !

le mercredi 07 juin au Studio des Ursulines – 10 rue des Ursulines, 75005 Paris
Deux séances vous sont proposées : 20h et 20h30.
Le nombre de places étant limité, merci de réserver impérativement à cette adresse :
collectif.court@gmail.com
en indiquant votre nom, la séance de votre choix et le nombre de places souhaité.

Été 1985, en France. Sur le point de mourir, Madeleine, 75 ans, reçoit la visite inopinée de son fils, Charles, à qui elle refuse de révéler la vérité sur ses origines. L’obstination de Charles à percer ce secret va réveiller chez la veille dame des souvenirs enfouis de l’Occupation allemande, notamment sous forme de chansons.

NOTE D’INTENTION DE L’AUTEURE

« A corps perdu » est d’abord issu d’une histoire vraie, celle mon grand-père maternel, Charles, qui ne connut jamais son père biologique et qui supplia sa mère jusqu’à sa mort de lui révéler la vérité sur ses origines.
A partir de cette histoire, j’ai cherché à imaginer les raisons pour lesquelles une mère avait pu refuser de révéler la vérité à son enfant ; je me suis alors souvenue que ma grand-mère maternelle m’avait raconté avoir été traumatisée par la vision des femmes tondues à la Libération, événement historique dont on parle encore peu aujourd’hui, tant il est resté tabou.
Ainsi est née l’idée de raconter une histoire d’amour interdite entre un officier allemand, Karl, et Madeleine, une institutrice Française durant la seconde guerre mondiale. Histoire d’amour qui va irrémédiablement conduire Madeleine à sa condamnation par la vindicte populaire et dont elle va garder les séquelles comme celles d’un viol.
Pour traiter ce sujet, je tenais, non pas à l’aborder de façon documentaire – en montrant, par exemple, le supplice de Madeleine – mais plutôt à traduire ce qu’elle avait vécu à travers le prisme déformant de ses souvenirs. C’est alors que j’ai eu l’envie de poétiser le propos (sans pour autant l’édulcorer) grâce à l’intervention de moments musicaux et chantés qui créent des respirations salutaires au milieu du drame, autrement dit, des « accords perdus ».
Mais ce film n’est pas simplement une fiction. C’est aussi un projet sur la mémoire et la transmission auxquelles je souhaite sensibiliser les jeunes générations qui ne bénéficient plus des témoignages directs des personnes ayant vécu cette époque.
C’est pourquoi je souhaiterais par la suite proposer ce film dans les établissements scolaires comme support pédagogique permettant d’aborder des thématiques hélas aujourd’hui encore terriblement d’actualité, comme le corps de la femme en temps de guerre ou encore le rôle du bouc-émissaire.

Emma DEBROISE

Bande annonce A Corps Perdu from Collectif Court on Vimeo.

GÉNÉRIQUE
Un film de Mathieu HUSSENOT, d’après un scénario d’Emma DEBROISE

Produit par Emma DEBROISE, Collectif Court et Tachkent Productions
Avec, par ordre d’apparition: Christophe TRUCHI, Fabrice LEBERT, Lucienne DESCHAMPS, Emma DEBROISE, Guillaume BURSZTYN, Philipp WEISSERT, Charlotte BOIMARE, Mathilde BOYER, Benjamin BRENIERE et Cécile GEINDRE

  • Production exécutive : Olivier BIERCEWICZ, Anaïs BOISNARD, Florine MIKUSINSKI
  • Assistant réalisation : Thomas FACCINI
  • Image : Mathieu HUSSENOT, Philippe COUTANT et David LAUTRETTE
  • Son : Alexandre DAZZONI, Rose BRUNEAU, Alexandre SUZANNE et François MALLEBAYS
  • Décors : Julien JOANNY
  • Costumes : Mélisande de SERRES et Marion DESGOULIERE
  • Maquillage et coiffure : Fany AUGE et Muriel MAX
  • Régie : Olivier BONNABEAU
  • Musique et arrangements : Ludovic LEFEBVRE
  • Paroles : Emma DEBROISE
  • Instruments : Ludovic LEFEBVRE (piano & guitare), Luc-Emmanuel BETTON (violoncelle), Axel DACHET (violon)
  • Interprétation : Emma DEBROISE, Philipp WEISSERT, Charlotte BOIMARE, Ludovic LEFEBVRE, Delphine CADET
  • Chœur : Emma DEBROISE, Charlotte BOIMARE, Lucienne DESCHAMPS, Audrey FAURE, Nathalie BIREN, Ludovic LEFEBVRE
  • Montage image : Mathieu HUSSENOT
  • Montage son : Charles VALENTIN
  • Mixage : Matthieu TIBI
  • Etalonnage : Jean-Michel PETIT

Figuration

Khalil TAKUN, Mélisande de SERRES, Olivier BONNABEAU, David LAUTRETTE, Béatrice THOMINE, Damien CAPY-THOMINE, Henri & Solange THOMINE, Lilas RODA, Nina GONZALEZ, Caroline PITUSSI, Monique COLOMBIE, Virginie MARTINEZ, Lali TAILHADES, Dédou MARTINEZ, Vincent & Alix FAURE, Marie & Sabrina FAURE, Philippe COLANGELO, Sylvie BOYER, Olivier BIERCEWICZ, Jacques COLANGELO, Dany VANHALST, Louna VANHALST, Cédrick MEINE, Marion DESGOULIERE, Stéphane BESSON, Françoise LE BUZULLIER, Théo CHAUBETON, Hugo & Morgane VERMONT, Doriane BESSON, Florian PRZYBYLSKI, Sébastien RUAT, Frédéric GIRAUDON

Avec la participation active des MémoiRes de PUISSERGUIER et de Maquisards Reconstitutions
Et le soutien des mairies de Puisserguier et de Montouliers

A propos de l'auteur

Bruno Modica

Président des Clionautes du 9 février 2013 au 31 décembre 2019. En charge de la stratégie et du développement.  

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