Le capitaine Volkonogov s’est échappé plonge les spectateurs en plein coeur des Grandes purges menées par Joseph Staline où les membres de la police politique sont eux-mêmes ciblés. À la fois historique et inventif, le film se veut être une arme mémorielle venant faire écho à l’actualité.

Synopsis

1938, en URSS, la Grande Terreur stalinienne bat son plein allant jusqu’à purger ses propres rangs. Les hommes exerçant la répression sont eux-mêmes arrêtés et exécutés. Face à la menace, le capitaine Volkonogov décide de s’échapper. Il part alors en quête de la rédemption pour sauver son âme de l’enfer. Pour ce faire, il doit se confronter aux familles de ses victimes et obtenir leur pardon.

Lauréat du Grand prix du jury du Festival de cinéma européen des Arcs en 2021, le film dresse un décor immersif d’une des périodes les plus sombres de l’Histoire soviétique. Le capitaine Volkonogov s’est échappé nous invite à réfléchir à la répression politique et aux enjeux des mémoires.

 

Le capitaine Volkonogov s’est échappé, au coeur des Grandes purges staliniennes

 

Dès les années 1930, le régime communiste soviétique lance son entreprise de répression politique avec l’appui de sa police politique : le NKVD. Durant cette période la torture, la déportation et les exécutions sont menées de façon massive. « Ils sont innocents maintenant, ils seront coupables plus tard. » affirme le chef du capitaine Volkonogov pour témoigner de cette période où des innocents sont arrêtés et exécutés après l’obtention d’aveux sous la torture. Le film prend place en 1938 à la fin de la Grande Terreur lancée en août 1937 par l’ordre opérationnel n°00447 visant à réprimer « tout élément antisoviétique et socialement dangereux ». Le parti communiste engage alors la purge de ses propres rangs. L’historien Nicolas Werth affirme qu’en un peu plus d’un an ce sont 1,5 million de personnes qui furent arrêtées et 750 000 d’entre elles qui furent exécutéesWERTH, Nicolas. « Repenser la « Grande Terreur ». L’U.R.S.S. des années trente », Le Débat, vol. 122, no. 5, 2002, pp. 118-139. Disponible sur : https://www.cairn.info/revue-le-debat-2002-5-page-118.htm.

« Comme souvent dans les moments de terreur il y a un moment donné où on accuse ceux qui ont mené la répression d’être allés trop loin et on les tue, on les remplace », Sabine Dullin.

 

Le capitaine Volkonogov s’est échappé s’ouvre avec le suicide du chef de la police politique de Leningrad, le supérieur du capitaine Volkonogov. À ce moment précis, Volkonogov comprend qu’il est le prochain sur la liste et il décide alors de fuir. Le capitaine Volkonogov se lance alors dans une course-poursuite avec le malhabile major Golovnya – un jeu de mots russe entre golova (« tête ») et govno (« merde ») – qui a l’ordre de l’arrêter sous menace de se voir lui-même fusillé.

 

« La violence était dans les palais de la Tcheka, mais on ne la montrait pas. », Sabine Dullin.

 

La réussite historique du film réside certainement dans la mise en scène particulièrement réaliste de la violence. Les procédés de torture se déroulent en plein coeur du palais aristocratique de Leningrad et il est clairement démontré l’usage de diverses techniques afin de ne pas laisser la moindre trace de cette torture comme par exemple le dépôt de foin sur le parquet visant à éponger les traces de sang des victimes. Aussi, les exécutions mises en scène dans le film sont pensées à l’image de la réalité avec des fusillades à la chaine, réalisées en plein coeur de la ville, dissimulées par la mise en marche d’un moteur de tracteur pour masquer les détonations. L’intégralité de la violence exercée est cachée aux civils qui ne voient alors que les dirigeables hauts dans le ciel symbolisant la construction du socialisme, le succès du plan quinquennal : le succès du régime soviétique glorifié. Cette violence cachée entre en contraste absolu avec la face visible du régime, elle relèverait presque de l’ordre de la dystopie mais a très largement été faite de cette manière-là.

 

« Fais-toi pardonner par une de tes victimes, et ton âme sera sauvée. ».

 

Dans ce décor réaliste cherchant à redonner vie au passé, une histoire propre au cinéma s’inscrit autour de la quête de rédemption du capitaine Volkonogov. Ce dernier fuit afin de conclure cette quête en obtenant le pardon d’une de ses victimes afin de pouvoir accéder au paradis. Cette quête presque mystique témoigne aussi de la place de la religion orthodoxe dans la société soviétique et de la représentation de la mort qui en faite. La mort doit être une libération du présent et non une issue vers des souffrances perpétuelles.

 

La dimension esthétique et visuelle du film

 

« Les Tchékistes sont considérés comme des surhommes avec la ressemblance aux surhommes nazis », Sabine Dullin.

 

La mise en scène insiste particulièrement sur l’importance accordée par le régime et la société à la police politique soviétique. Les Tchékistes forment un groupe propre hors du peuple en étant toujours vêtus de rouge au milieu d’un décor grisonnant. Ce choix est purement cinématographique venant amplifier l’effet visuel autour de l’image de surhomme dominant l’intégralité du reste du peuple. Cette mise en scène repose sur la volonté de dresser une séparation au sein du peuple afin de montrer à quel point la terreur dégrade toutes les relations humaines.

 

« Au-delà du sujet du film, il y a un très grand intérêt esthétique pour ce film, c’est très très inventif », Sabine Dullin.

 

Le capitaine Volkonogov s’est échappé relève également de la dystopie en étant qualifié de « polar politique »FORESTIER, François. « Le capitaine Volkonogov s’est échappé », la grande terreur. Le Nouvel Obs. 2024. Disponible sur : https://www.nouvelobs.com/teleobs/20240115.OBS83309/le-capitaine-volkonogov-s-est-echappe-lagrande-terreur.html par François Forestier, journaliste spécialiste du septième art. Le film prend constamment place dans des décors sinistres, souvent les bâtiments sont en ruine donnant l’image d’une Russie dégradée. Ces décors permettent une immersion complète dans l’histoire en se faisant le miroir de l’obscurité de la période dans laquelle le film prend place. Tout au long du film, le régime communiste et ses symboles sont perpétuellement présents notamment avec l’inscription de graffitis anachroniques faisant référence à la gloire passée du régime et inscrivant ainsi la ville dans une dimension intemporelle. Les réalisateurs ont fait le choix de ne pas inscrire le film dans une recomposition parfaite de la réalité de l’époque afin d’amplifier l’immersion du spectateur tout en lui offrant une véracité historique autour du processus de répression.

 

Une mise en abyme de la mémoire

 

« La véritable transgression de Volkonogov est de partir avec un dossier hautement secret, appartenant aux archives politiques de la police », Sabine Dullin.

 

Tout au long du film, il y a cette question centrale des dossiers avec la mise en évidence de ces archives. Le système de répression stalinien reposait en effet sur une forme de paperasserie avec l’accumulation des dossiers des individus arrêtés et exécutés. Ces dossiers sont composés de deux photos (une de face et une de profil), d’une biographie, de la retranscription des interrogatoires et bien évidemment des aveux signés par la victime permettant ainsi au régime de légitimer l’arrestation et l’exécution. Ces dossiers sont secrètement conservés car ils contiennent les preuves officielles de la répression menée par le régime stalinien, le rendant ainsi responsable. La transgression de Volkonogov revient à avouer aux victimes l’usage de la torture et à dévoiler avec des preuves le secret le plus fort du régime qu’est celui de l’exécution.

 

« Redonner un nom à toutes les victimes. », Sabine Dullin.

 

Pour réaliser leur film, les réalisateurs ont notamment travaillé en collaboration avec Mémorial, une association, interdite en Russie depuis décembre 2021, qui faisait le travail de mise en lumière de tout ce qui s’était passé pendant cette période. Le travail de Mémorial a débuté avec la fin de l’URSS en accédant aux dossiers qui sont alors mis sous forme de séries de livres pour recenser les victimes des purges staliniennes. Ces livres sont nommés « martyrologes » en référence à leur fonction mémorielle visant à mettre en lumière les victimes. Ce qui reste frappant c’est le fait que la date de mort des victimes n’a jamais été communiqué aux familles comme en témoigne le film avec des individus continuant d’envoyer des présents aux victimes sans savoir que celles-ci ont été exécutées. Même encore aujourd’hui, certaines familles ne savent pas ce qu’il est advenu de leurs proches.

 

« La grande trouvaille du film c’est cette question de la responsabilité parce que très souvent dans l’histoire des crimes du stalinisme il y a des victimes mais on ne sait pas très bien qui est responsable. » Sabine Dullin.

 

Le capitaine Volkonogov s’est échappé est le premier film qui montre l’autre côté de la Grande Terreur autour des bourreaux afin de mieux comprendre l’entreprise menée. C’est assez exceptionnel car, comme le rappelle Sabine Dullin, la manière de raconter les crimes de masses se fait souvent du point de vue des victimes. C’est ce point de vue qui se retrouve dans le cinéma comme avec le film Soleil trompeur de Nikita Mikhalov sorti en 1994 et lauréat du Grand prix du Jury du Festival de Cannes. Soleil trompeur plonge les spectateurs dans la vie de Dimitri et de Maroussia lorsque la Grande Terreur fait rage en URSS.

 

Un film contemporain venant faire écho à l’actuelle Russie

 

« Aujourd’hui si on lit les manuels d’histoire en Russie il y a des victimes mais il n’y a pas de responsable », Sabine Dullin.

 

Au début des années 1990 il y a eu une tentative de faire un procès du parti au nom des victimes pour en reconnaitre la responsabilité. Néanmoins, les responsables n’ont jamais été désignés ni jugés ce qui pose problème dans la société russe actuelle. Sabine Dullin insiste sur le fait qu’il est primordial de désigner des responsables pour comprendre ce qu’il s’est passé et de ce fait ne pas le reproduire. Les attentats de Moscou du 22 mars 2024 mettent en lumière ce problème de gestion de la violence avec la différence fondamentale par rapport à l’ère stalinienne qui est qu’aujourd’hui la violence n’est plus cachée, elle est médiatisée, diffusée et propagée, comme en témoigne la diffusion des images de torture faites sur les Tadjiks arrêtés. La société russe n’est pas aujourd’hui soumise au niveau de barbarie de la Grande Terreur mais certains éléments de la Russie actuelle démontrent que rien n’a été appris de ce passé mis en avant dans le film.

 

Le capitaine Volkonogov s’est échappé devait sortir initialement juste avant l’invasion à grande échelle de l’Ukraine en février 2022, sa sortie a donc été repoussée par les producteurs à l’automne 2022 avant de prendre la décision de ne pas diffuser le film dans les cinémas russes. À noter que le film n’a pas été directement censuré par le pouvoir russe mais par une forme d’autocensure face à la menace.

 

Les réalisateurs du film, Natalia Merkoulova et Alexeï Tchoupov, sont tous les deux russes. Le capitaine Volkonogov s’est échappé est leur premier film ayant une résonance à l’international en étant notamment récompensé par plusieurs prix malgré le fait que le film demeure mal diffusé. Aujourd’hui, les réalisateurs sont en exil en Europe, contraints de fuir le régime de Poutine.

 

« On ne sait plus dans ces sociétés quel est le jeu, quel est le mensonge, c’est cela la force de ces réalités alternatives. », Sabine Dullin.

 

En Russie aujourd’hui, il demeure des gens informés grâce à un accès à Internet comme en témoignent les récentes commémorations autour de la mort de Navalny ou encore la dénonciation dans la rue du caractère truqué des élections présidentielles. Des Russes résistent par l’usage des réseaux sociaux leurs permettant d’avoir des informations non soumises à la propagande officielle. Il est important de souligner que le discours de Poutine n’emporte pas toutes les convictions. Même si certaines personnes sont informées, elles doivent accepter le fait de vivre dans une réalité alternative où il existe une dominance absolue de l’espace public par un discours officiel. Pour fuir cette réalité alternative, beaucoup de Russes ont décidé de partir de Russie afin de n’être plus soumis à un double langage avec l’interdiction de penser autrement que le régime dans les lieux publics où il existe une réelle entreprise de propagande patriotique. Ainsi, la peur d’être dénoncé refait surface comme à l’époque soviétique avec l’obligation de s’autocensurer dans un régime autoritaire. Ce phénomène a des effets sur la psychologie et rend difficile toute action : « ce sont des régimes qui font peur, avec beaucoup de gens qui vivent dans la peur. » conclut Sabine Dullin.

 

Le capitaine Volkonogov s’est échappé disponible en streaming

 

Un film actuellement disponible à l’achat ou la location sur diverses plateformes dont Canal +. Certains cinémas français proposent des diffusions exceptionnelles du film comme ce fut le cas à Dijon en février 2024.

 

Pour aller plus loin

• Interview de Sabine Dullin dans la revue l’Histoire : https://www.lhistoire.fr/cin%C3%A9ma/le-capitaine-volkonogov-sest-%C3%A9chapp%C3%A9%C2%A0-verbatim