USS Greyhound – La Bataille de l’Atlantique : voici un film qui mérite le détour pour ce qu’il nous dit des représentations de la guerre, des attentes du public covidé, d’une volonté de privilégier la forme sur le fond, des codes d’action actuelle, mais, c’est paradoxal, ce n’est pas le plus efficace, loin de là, pour aborder véritablement la bataille de l’Atlantique. Dommage, c’était pourtant le titre. Du coup je me suis dis qu’il serait bien d’entamer un petit event : un thème, 4 critiques, un dossier. C’est donc parti pour la Bataille de l’Atlantique au cinéma, dossier numéro 1 de Clio-ciné, next gen.
Quand j’ai vu la bande annonce, forcément j’ai été embarqué : des bateaux, des sous-marins, c’est un réflexe pavlovien, je fonce.
Une fois la monté d’adrénaline digéré, j’ai tiqué : qu’est-ce que c’est que ces combats au canon à bout portant ? Qu’est-ce que c’est que ce loup géant sur le kiosque d’un U-BootAbréviation d’Unterseeboot qui signifie sous-marin en allemand. Je fais le choix de respecter la graphie allemande ; un U-boot, des U-Boote. ? Le mieux est donc de s’y plonger en allumant le cerveau. De toute façon ça ira, j’ai lu C.S. Forester et j’en garde un très bon souvenir.
Tom Hanks, qui est à la manœuvre du début à la fin, a ainsi rédigé le scénario en adaptant l’œuvre de C.S. Forester « The good sheperd » traduit en français sous le titre de « Bergers sur la mer ». Il relate la traversée fictive de l’Atlantique d’un convoi allié au cours de l’année 1942. Je recommande d’ailleurs la lecture de cette histoire, un beau travail sur ces combats peu traités par ailleurs. L’articulation du scénario reprend la trame du livre et elle a tout pour être efficace : il existait, entre les côtes américaines et celle du Royaume-Uni une zone, au milieu de l’Atlantique, au sein de laquelle, pendant une cinquantaine d’heures, l’aviation ne pouvait protéger les convois alliés. Dans cet espace s’engageait alors une course pour la mort ou la survie, entre les convois alliés protégés par leur escorte militaire, et les meutes de U-Boot. On retrouve ici quelques moments directement inspirés du livre mais ce dernier a un avantage : il laisse l’épaisseur du temps, ce qui n’est pas vraiment le cas de cette adaptation.
Attention, le chrono tourne
Le film est relativement court : 1h30. Après 5 petits minutes pour présenter la femme désespérante (pauvre Elisabeth Shue très vite réduite à l’état de potiche) qui va attendre son mari sagement, la nécessaire prière pour satisfaire le besoin de religiosité de ce capitaine dévot, ce qui se retrouvera la fin avec 5 nouvelles minutes pour le nécessaire remerciement à Dieu, le clin d’œil à la femme qui attend toujours le retour de son mari, évidemment très sagement à la maison, reste 1h20 d’action. 1h20 pour nous faire croire à un suspense et essayer de faire monter la tension. De façon régulière sont rappelées qu’il ne reste plus que 40 heures, 30 heures, 20 heures, 10 heures, avant de pouvoir espérer retrouver la protection aérienne et donc d’échapper aux monstres perfides qui guettent le pauvre convoi. Le décompte est censé nous visser dans nos fauteuils. Et là, plouf.
USS Greyhound – La Bataille de l’Atlantique, un chef d’oeuvre sur la guerre, vraiment ?
Après avoir vu le film j’ai été surpris de constater que ce dernier avait été globalement très bien accueilli. Il suffit d’aller sur plusieurs sites pour mesurer, à travers les différents commentaires, que Tom Hanks a parfaitement réussi son coup. Incroyable film sur la guerre (oui oui, carrément, LA GUERRE), représentations saisissant des batailles dans l’océan, suspense insoutenable, dimension quasi épique, rare finalement sont les critiques quant au fond et au réalisme de ce qui nous est présenté. Pour tout vous avouer c’est ce qui m’a particulièrement motivé à rédiger ce petit commentaire.
Cette œuvre est très intéressante dans ce qu’elle nous montre de l’écriture d’un film de guerre en 2020. Récupéré par la plate-forme Apple, car les cinémas ont fermé du fait du Covid, avec le souci d’installer durablement un catalogue capable de rivaliser avec les autres acteurs, il est nécessaire d’attirer le chaland. Quoi de mieux qu’un film monté nerveusement, court, où l’action et les effets spéciaux l’emportent sur la réflexion, la construction de personnages, le réalisme d’une guerre au cours de laquelle le temps était le plus souvent à l’ennui et l’attente ? Dans cette perspective le film est une réussite car les combats sont menés tambour battant et nombreuses sont les scènes spectaculaires. À grands coups de manœuvres navales, de quasi abordages dignes de Pirates des Caraïbes, d’esquives de torpille et autres déferlements de plomb sur un adversaire invisible, enfin qui aurait sans doute dû le rester pour espérer survivre, tout ceci sent bon le popcorn.
Commandant ? C’est pas un peu exagéré là ?
La ferme : on a 1h20, il faut tout mettre sur la table
Où l’on peut sauver quelques éléments ….
La meilleure séquence reste pour moi celle où l’on voit petit à petit les bateaux du convoi être touchés et s’enflammer dans la nuit, sur un océan de bataille, tandis que la caméra s’éloigne (elle aussi) petit à petit vers les nuages, pour porter un regard sur une aurore boréale qui semble totalement se jouer du drame qui se noue au seuil du palais de Neptune. Il y a bien aussi l’évocation des tirs fratricides, ce qui est toujours pertinent lorsque l’on parle du tumulte de la guerre. Il y a ce serviteur noir, dont le commandant a du mal à retenir le nom, et qui est toujours très utile pour apporter du café. Il y a la nécessaire bigoterie, si importante pour le public américain, pouvant légitimement parfois faire souffler de dépit d’autres publics, potentiellement désespérés par la tout aussi nécessaire mis en œuvre d’un patriotisme final assez naïf, mais si américain. Ici USS Greyhound – La Bataille de l’Atlantique, est totalement dans le moule.
… mais ceci reste si peu …
L’essentiel n’est cependant pas là. Cette œuvre, cette adaptation, s’appuie sur plusieurs faiblesses décisives. Une volonté de mettre en avant un seul héros pour commencer, et une volonté affichée d’être réaliste pour achever. Pour le premier point, c’est clair : il n’y a aucun rôle secondaire. Tom Hanks est partout au point de vampiriser totalement le casting avec en tout et pour tout une expression de visage à peine déclinée.
La guerre c’est du sérieux, pas de la comédie. Alors Poker Face, sinon les Allemands vont percer mes tactiques.
Le prix des meilleurs seconds rôles pourrait être offert aux bateaux, aux canons, à la mer, aux nuages, et, s’il reste encore quelque prix à distribuer, au serviteur noir. Pour le reste les marins n’ont aucun intérêt, cette absence de psychologie, cette absence d’humanité, me pose un véritable problème.
Quant au réalisme parlons-en. Si l’on va dans le détail, on pourra toujours chipoter sur ce PBY Catalina qui dispose de 6 grenades sous-marines, là où en réalité il n’y en avait que 2.
Il y a bien une évocation judicieuse des leurres, les pillenwerfer. Il y a bien eu aussi, de façon très rare, des confrontations à bout portant entre un destroyer et un U-Boot, ce qui d’ailleurs est aussi dans le livre de Forester. Mais Poséidon pourra en témoigner, pour le reste, on sombre dans le grand n’importe quoi. Pour toute personne qui s’intéresse un peu à ces questions, pour toute personne qui a vu le chef-d’œuvre Das Boot, comment peut-on penser une seconde que le sous-marin, ce bâtiment si fragile, qui ne doit sa survie qu’à sa capacité à se cacher, puisse être commandé par un commandant suicidaire au point de jouer au requin. Encore, un commandant illuminé, un Wrangel tout droit venu de l’excellente série Das Boot (laquelle aura d’ailleurs droit à son analyse), pourquoi pas ; mais là ils sont 6 ! Dans USS Greyhound – La Bataille de l’Atlantique, on a les moyens !
JE SUIS STABLE !!
De l’action, pour de l’action
Ces commandants fondent donc sur leurs proies par des attaques répétées, le plus souvent en surface, même quand c’est suicidaire. Pourquoi s’attarder sur des mastodontes désarmés lorsque des cibles plus prestigieuses s’offrent à vous ? Ainsi contre toute logique opérationnelle, les voilà chargeant des destroyers pour aller les attaquer directement aux canons, non pour les éviter, mais véritablement pour essayer de les endommager voire de les couler. L’un de ces commandants, sans doute encore plus suicidaire que les autres, passe ses nuits à essayer de démoraliser son adversaire par des messages radios, ponctués d’un hurlement de loup. Après tout, autant y aller au bout de la connerie. Ceci n’est jamais arrivé. Aucun commandant de sous-marin n’a été assez crétin pour balancer des messages de ce genre.
Le but de ces attaques était de couler les plus gros bateaux. Le nombre de torpilles était limité. Le danger total. Donc comment croire un instant à ces duels, à ce ciblage des seuls bâtiments de guerre, permettant au reste de la flotte de pouvoir avancer. Si le début des attaques semble tout à fait pertinent dans le premier tiers du film, se concentrant sur les pétroliers ou les transports, le duel final renvoie à des codes strictement liés au film d’action. Le duel installé entre Tom Hanks et les 6 sous-marins n’en devient que plus ridicule mais il sert l’action et le spectacle. Éteignez vos cerveaux, immersion périscopique sur le canapé, bière et popcorn à portée de tir : feu.
L’adversaire ? Kezako ?
L’adversaire, l’allemand, n’existe pas. Déshumanisé par des cris de loup ridicules, les kiosques (la « baignoire » pour les aficionados sous-mariniers) de U-Boot ressemblent plus à des dorsales de requins portant le chaos, toutes peintes de dessins qui en réalité étaient beaucoup plus petits. Alors, bien sûr, avec des pop-corn et tout le reste, ça passe tout seul. On suit les ordres du commandant, entre 2 clins d’œil à Dieu par une prière, on regarde en se gavant de glace les manœuvres des destroyers, les sous-marins qui semblent avoir des torpilles en nombre illimité, le sous-marin qui passe entre 2 destroyers pour que les 2 se tirent dessus, le sous-marin qui se fait cartonner tranquillement, car il est resté, même en plein jour, en surface. Sans doute une avarie de moteur électrique … ou plus certainement l’envie de ne pas vraiment se creuser les méninges et de privilégier l’action, encore l’action, toujours l’action.
Très clairement la réalisation été marquée esthétiquement par le Dunkerque de Nolan et les musiques de Blake Neely lorgnent clairement sur celles de Hans Zimmer. Malheureusement, le film est à des années lumières de Torpilles sous l’Atlantique, de La mer cruelle, sans parler, bien évidemment, de l’immense Das Boot qui seront bientôt présentés dans le cadre de ce dossier. Un film sans réflexion, sans autre ambition que celle de rendre un hommage, parfois lourdingue, et surtout d’offrir un moment d’action, à grands coups d’effets spéciaux, pour le coup spectaculaire. Mais il reste un sentiment de vide, le creux, dans ce USS Greyhound – La Bataille de l’Atlantique, au final totalement superficiel, dans son bel emballage.
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Fiche technique
Disponible depuis le 10 juillet 2020 sur Apple Tv+ France / 2h 6min / Drame, Historique, Guerre
Titre original Greyhound
Réalisateur : Aaron Schneider
Scénariste : Tom Hanks d’après le roman de C.S.Forester « The good sheperd »
Musique : Blake Neely
Avec Tom Hanks, Elisabeth Shue, Stephen Graham
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Et voilà pour cette première séquence. Je ne compte pas vous laisser comme ça, avec pour seule référence analysée de la Bataille de l’Atlantique ce film d’action. Dans les prochains numéros de ce petit dossier, de nouveaux films seront analysés avant de boucler ce modeste tour d’horizon par une synthèse finale. Vous y retrouvez alors les nécessaires références bibliographiques et autres ressources qui ont accompagnées ma réflexion.
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