Le débarquement de Provence au cinéma, tout un programme. Il y a 80 ans l’opération Dragoon offrait l’occasion aux forces françaises libres, après avoir été réduites à un rôle marginal en Normandie, de prendre une part décisive dans la libération du pays.

En cet été 1944, pour la France cette opération est décisive à plusieurs titres. Si elle permet la libération rapide du Sud du territoire, poussant Hitler à entamer un vaste mouvement de repli vers les frontières du Nord et de l’Est, elle permet aussi en quelque sorte de laver l’affront de 1940. Des troupes françaises se battent avec succès, sur le territoire national, contre l’envahisseur. Avant la libération de Paris, c’est bien en Provence que les troupes du général de Lattre de Tassigny, Commandos, Chocs, Français libres, Algériens,  » marsouins  » de la Coloniale et Tirailleurs sénégalais rivalisent de courage pour laver l’honneur d’une armée écrasée quatre ans plus tôt. Politiquement la Résistance peut envisager plus sereinement de faire face à la tutelle alliée.

Cet été 2024 est l’occasion de redécouvrir comment le cinéma a pu aborder ces événements majeurs de notre histoire, en puisant dans un fond que les médias remettent au goût du jour.

 

Un débarquement ? Quel débarquement ??

 

Le tour d’horizon sera malheureusement rapide. Il n’existe tout simplement aucun film important, aucune fiction majeure mettant en scène cette opération, à la manière du Jour le plus long ou de Il faut sauver le Soldat Ryan.

Du côté de la fiction on pourra ainsi trouver des traces du côté du film Indigènes (2006) de Rachid Bouchareb.

Se proposant de retracer le parcours des soldats nord-africains pour la libération au sein de l’armée française, assez peu de temps est accordé aux combats en Provence. Rien sur le débarquement du 15 août à proprement parlé, mais une belle mise en scène de la liesse lors de la libération de Marseille (du 21 au 28 août 1944).

 

Le seul film abordant spécifiquement les combats entamés dans la nuit du 14 au 15 août est une production hollywoodienne de troisième zone, une série B tournée avec peu de moyens, Saints and Soldiers, l’honneur des Paras, de Ryan Little, sorti en 2012.

 

Découvert via le passage devant un rayon de DVD, le sujet ne pouvait que m’intéresser : la seconde guerre mondiale, des paras, banco. Après tout, fan de Band of Brothers et autres Company of Heroes, il fallait bien que je tente la chose en cette année 2012.

La reconstitution est correcte, d’autant que fauchés, les producteurs ont tout de même trouvé le moyen de mettre la main sur quelques trésors directement issus de musées. La photo, tout à fait correcte, permet de mettre en valeur une Provence rêvée. Le sujet ne manque pas d’exotisme pour les yeux des fils de l’Oncle Sam ; adieu le bocage normand, vive le débarquement en Provence, Draguignan, Le Luc et autres maquis. Franchement, une bonne surprise.

La narration initiale et sa conclusion offrent aussi leur lot d’intérêt ; croisement entre un soldat allemand et un para US, réflexions assez justes sur la lassitude et l’universalité du destin des combattants, sur leurs familles ; franchement il y avait moyen d’obtenir un petit film à la hauteur des espoirs suscités par la jaquette. Oui mais voilà, un direct dvd reste un direct dvd.

 

Le fantôme de Spielberg

 

J’ai eu beau ramer comme un fada, difficile d’échapper au constat amer d’un terrible passage à vide. En toute sincérité, prenons le premier quart d’heure et passons directement à la dernière demi-heure : voilà un épisode correct de Band of Brother. Pas transcendant, mais correct. Pour le reste, 40 minutes longues, remplies de clichés, de flashback extrêmement lourds. La fiancé, le père, l’église (il faut bien justifier le Saint), cette litanie est assez vite pénible. On tente bien de temps à autre d’insuffler un peu de suspense, de nous montrer que la vie de soldat n’est pas chose aisée, que les résistants sont des durs, que les françaises sont jolies et divines en tir, mais les scènes s’enchainent comme de piètres copies du Soldat Ryan, quand ce n’est pas de gros clin d’oeil à l’esthétisme de la nature sublimée par Malick dans la Ligne Rouge.

Qu’il s’agisse d’Indigènes ou de ce Saint and Soldier, tout renvoie assez vite au travail de Steven Spielberg. Copie des approches, de la construction, des séquences d’actions, à l’image du final d’Indigènes qui reprend, avec les ajustements nécessaires, mais tout de même, la séquence spectaculaire qui clôture le combat de Tom Hanks.

Voici donc ce qui pourrait manquer à ce débarquement pour imprimer les mémoires collectives, la culture populaire : un grand film capable d’imposer ses codes.

 

Le documentaire au secours du vide ?

 

Thomas Lemoine a proposé plusieurs travaux intéressant dédiés au débarquement, Au soldat inconnu, le débarquement de Provence (2009) ou encore Au soldat inconnu, les enfants de la Résistance (2011).

 

On retrouvera aussi assez aisément les propositions de  Philippe Nalatini, produites par Provence 44 Production, comme  Été 44 : Mémoires d’un commando d’Afrique, reconstitutions destinées au marché local, très local même.

 

Peu de moyens, beaucoup de passion et d’envie d’entretenir une mémoire résument assez bien ces propositions qui ont le mérite d’essayer de combler le vide abyssal entourant ces événements.

 

Avec plus de moyens le documentaire Provence août 1944, l’autre débarquement (2014) réalisé par Christian Philibert et raconté par Charles Berling, permet au moment des 70 ans de l’opération Dragoon de découvrir des archives inédites, dans un format qui a fait ses preuves.

 

Cette année Philippe Allante avec la Maison de production : Eclectic et France 3 Provence-Alpes-Côte d’Azur, assisté des historiens Jérôme CroyetJean-Marie Guillon et Jean-Pierre Martin proposent Provence 44, diffusé en trois épisodes sur France 3 Provence-Alpes Côte d’Azur. On pourra le retrouver sur France.TV jusqu’au début septembre.

 

Sans Hollywood ou la volonté politique, la mémoire peine à s’imposer

 

Force est de constater que cet été 1944 est assez vite réduit à quelques épisodes marquants pour la France et les États-Unis : Omaha la Sanglante, un para accroché à un clocher, la libération de Paris. Le débarquement de Provence n‘entrait visiblement pas assez dans la construction d’une mémoire gaullienneVoir par exemple la question centrale du « blanchiment » des troupes qui illustre la difficulté à pouvoir valoriser cette opération, par Judith Renoult,  « Après le débarquement en Provence, comment le « blanchiment » des troupes françaises a invisibilisé le rôle des tirailleurs africains« .

Ceci a eu un impact significatif sur la construction des mémoires. Les travaux de Anthony Guyon au sujet des tirailleurs sénégalais sont à ce titre lumineux.

 

Les combats n’ont a priori pas le potentiel héroïque suffisant pour attirer les dollars de HollywoodRetrouver le podcast Débarquement de Provence : l’oublié du roman national avec Jean-Arthur Noïque professeur d’histoire-géographie au lycée Frédéric-Mistral à Avignon et docteur en histoire et Géraud Létang Historien, chercheur au Service Historique de la Défense. Spécialiste des empires coloniaux et de la Seconde guerre mondiale, sur France Culture.

John Huston à l’époque préfère d’ailleurs installer sa caméra en Italie pour sa bataille de San Pietro du mois de décembre 1943, offrant ainsi un puissant documentaire sorti au cinéma en 1945Voir l’étude proposée par Dorian Merten dans Raconter la guerre, le cinéma militaire de John Ford, John Huston et William Wyler, chroniqué ici. Les opérations associées à Dragoon ne profitèrent point de la même exposition.

Le manque de mise en valeur de cette campagne de Provence pourrait laisser croire à son caractère largement secondaire, tout comme les représentations du D-Day peuvent laisser penser qu’il s’agissait en Normandie de la plus grande opération militaire de tous les temps, du tournant absolu de la guerre. Ce récit est en réalité biaisé par le cinéma. Dans le Pacifique, sur le front de l’est, se jouent au même moment des combats au moins aussi importants, si ce n’est même bien plus importants que ceux livrés à Omaha Beach ou à Caen. Mais faute de caméra, de récits épiques, de visibilité pour la culture populaire, ils sont relégués dans l’ombre.

Du moins ici, en France et en Europe occidentale … Car le cinéma s’est bien emparé d’autres théâtres majeurs de cet été 1944 et j’aurai l’occasion prochainement de les mettre en valeur.