Ce documentaire qui sort en salle ce 21 septembre aborde un sujet assez mal connu par le public français. La réalisatrice aborde pourtant une question essentielle, dans le contexte actuel de crise énergétique, qui est celui de la prédation des ressources et des terres par les grandes compagnies occidentales, mais également chinoises et japonaises.

Vu de l’Hexagone, le sujet peut sembler assez lointain, car il concerne une province de la Papouasie-Nouvelle-Guinée, les Highlands, ou Exxon mobil mais également Total, depuis 2019, développent des projets gaziers de grande ampleur.

Ce territoire d’Océanie est occupé, pour sa partie occidentale, par l’Indonésie, et porte le nom d’Irian Jaya. Sur la partie orientale, la Papouasie-Nouvelle-Guinée, nominalement indépendante depuis 1975, est très largement liée à l’Australie, même si les gouvernements successifs cherchent à élargir leur coopération économique. Des entreprises chinoises, mais également européennes comme Total, cherchent à s’y implanter.

Aussi bien dans la partie indonésienne, qu’en Papouasie-Nouvelle-Guinée, des affrontements de basse intensité ont lieu, au point que les services du ministère des affaires étrangères déconseillent aux étrangers de s’y déplacer sans précaution, surtout dans la période électorale qui s’ouvre aujourd’hui, sur fond de violence, y compris dans la capitale Port Moresby.

Clio ciné a pu visionner ce film en avant-première, et il présente, de notre point de vue, un intérêt majeur à plusieurs titres. L’entame du film montre que ce territoire constitue une destination de choix pour les touristes, très majoritairement australiens, en mal d’exotisme. Les danses traditionnelles, les plumes et les parures des guerriers, permettent assurément de réaliser de beaux clichés. Pourtant, le travail de la réalisatrice, Céline Rouzet, montre une toute autre réalité.

En 2009, attirée par l’importance des gisements de gaz naturel dans la région, la compagnie Exxon mobil, s’est implantée sur ce territoire. Depuis cette date, et jusqu’à une période très récente, en 2019 exactement, plusieurs compagnies se sont implantées pour développer un complexe susceptible de produire du gaz naturel liquéfié. Dans le contexte actuel lié au ralentissement, voire à l’arrêt des livraisons russes par gazoduc, un tel projet suscite encore plus de convoitises, d’autant que le gouvernement de Papouasie-Nouvelle-Guinée à renoncé à renégocier le contrat à la hausse. Le montant initial retenu porte sur 12 milliards de dollars, dont 31 % pour le groupe Total.

La réalisatrice s’est intéressée aux conséquences de cette implantation qui date de plus de 10 ans, sur les populations locales, vivant essentiellement d’une agriculture de cueillette, entre bananes et patates douces, et des ressources locales.

Lorsque l’on a pu s’intéresser à l’appropriation des terres des Indiens d’Amérique du Nord après la guerre de sécession jusqu’au début du XXe siècle, on se retrouve, avec le documentaire de Céline Rouzet, projeté en arrière. L’un des protagonistes raconte tout simplement comment, en 2009, pour inciter les populations à céder l’usage de leurs terres ancestrales, les compagnies distribuaient des rations alimentaires. Les autorités gouvernementales de Papouasie-Nouvelle-Guinée, les notables locaux, gouverneur et autres administrateurs de la province, évidemment alléchés par le pactole à venir, n’ont eu de cesse d’inciter leurs administrés à céder leurs terres ancestrales. Comme pour les nations indiennes d’Amérique du Nord, de vagues accords ont pu être signés avec des chefs locaux, mais à l’évidence, 10 ans plus tard, dans cette province des Highlands, ils ne valaient pas plus que le papier sur lequel ils ont été signés. D’ailleurs, dans ce cas précis, plus personne ne sait vraiment ce que ces pièces ayant valeur juridique, ont bien pu devenir !

On peut retrouver également dans cette histoire, ce que l’on a pu voir au Moyen-Orient, avec « la malédiction du pétrole », lorsque, au tout début du XXe siècle, les compagnies pétrolières, que l’on appelait alors « les majors », signaient des accords d’exploitation avec les cheikhs locaux. Les royalties, et le terme est très largement utilisé dans le documentaire, ne représentent que des miettes, par rapport aux énormes profits générés par l’exploitation de ces hydrocarbures.

Au-delà de ce cas d’espèce, que l’on aurait pu penser appartenir à une époque révolue, mais dont les conséquences se déroulent actuellement, ce documentaire – témoignage nous amène à réfléchir, plutôt dans la nuance.

En effet, le sentiment que l’on éprouve est celui d’une certaine « culpabilité de l’homme blanc », corrupteur, prédateur, qui vient piller les ressources de ces populations, sans en payer le juste prix. Mais en réalité, même si le mécanisme connu, de « l’échange inégal », largement abordé, par les économistes des années 60, persiste, la réalité du terrain semble beaucoup plus nuancée.

Le personnage central de ce film, un certain Tony, sans doute instruit, a été l’interlocuteur, au nom des différents clans installés sur le territoire, de la compagnie pétrolière. Celle-ci avait multiplié les promesses, routes, écoles, équipements sanitaires, construction de maisons, et surtout redistribution d’argent aux propriétaires, plutôt aux usagers, de ces terres ancestrales. La disparition, prématuré de ce « porte-parole » a laissé place à de multiples acteurs, essentiellement préoccupés par leurs propres intérêts, et ceux de leurs clans respectifs.

Périodiquement, et plus récemment pour l’anniversaire de l’indépendance, les notables locaux, accompagnés par la manager d’Exxon ont encore une fois rappelé les promesses, et les riantes perspectives de développement, y compris touristiques, pour l’après – gaz. Et encore une fois, des danses traditionnelles viennent rajouter une touche d’exotisme à ce qui relève bel et bien d’une entreprise de dépossession.

Les interlocuteurs que la réalisatrice a pu interroger, les membres de la famille de Tony particulièrement, ont bien évidemment le sentiment que leur monde est en train de s’effondrer. Périodiquement, des affrontements entre clans rivaux, dont les jeunes hommes cherchent surtout à se faire embaucher dans le personnel de la compagnie, ont lieu. Les instruments de régulation traditionnels de ces conflits entre sociétés tribales ne jouent plus leur rôle. Peu à peu, « les hommes instruits » disparaissent, il ne semble pas que la jeune génération soit en mesure de prendre la relève. L’entreprise multinationale géante reverse toujours des miettes à ces populations privées de perspectives, et peu à peu perdent leur culture, en même temps que leur terre.

Et lorsque arrive le générique de fin, avec ses images de nature, ces chants d’oiseaux dans la jungle, on a envie de revoir les premières images. Celles de ce show touristique, de ces photographies du dimanche, bardés de technologies optiques japonaises, qui parlent doctement de leur découverte de ces sauvages, tellement accueillants, et toujours contents. Le regard d’un enfant grimé pour l’occasion de craie blanche sur lequel s’attarde longuement la caméra de la réalisatrice, suscite, à tout le moins, un profond sentiment de malaise.

Titre anglais : A Distant Thud in the Jungle