Le réchauffement climatique au cinéma.
Le nouvel enseignement de spécialité en Première et Terminale offre de nombreuses possibilités pédagogiques. L’utilisation du cinéma permet ainsi de poser un double regard sur les problématiques climatiques, à l’image du chef-d’œuvre de Richard Fleisher, Soleil Vert (1973).
D’un côté, ils éclairent un problème (dans Soleil Vert questionnement de la surpopulation et de l’épuisement des ressources, par exemple) mais aussi sur le contexte, l’époque où ils sont tournés. Ainsi Soleil Vert est un témoignage direct de la montée des questionnements écologiques des années 1970, suite – entre autres – aux travaux du Club de Rome. Ceci permet donc de rappeler la notion de couche informationnelle, que le cinéma est agent de persuasion des masses et/ou catalyseur et témoin des inquiétudes d’une époque (cf cours introductif en Première HGGSP ici). Le chef-d’œuvre de Richard Fleisher est un des premiers à nourrir un véritable cri d’alarme écologique.
Si Soleil Vert a été le plus marquant de cette époque, il importe de citer le film de Douglas Trumbull, Silent running (1972), clairement annonciateur de Soleil vert. Dans ce dernier, en 2000, la terre surexploitée est devenue un désert stérile et les dernières parcelles de forêt ont été embarquées sur des vaisseaux en orbite autour de Saturne. Ce film est à la fois un cri d’alarme écologique et une très forte dénonciation du capitalisme sauvage.
La question du réchauffement climatique a pris une place de plus en plus importante à la fin des années 90 et au début des années 2000. Les formes tantôt alarmistes, tantôt spectaculaires et divertissantes, peuvent être mises en perspective pour essayer de comprendre certains enjeux géopolitiques et culturels de ces questions.
Le réchauffement climatique au cinéma : le spectacle au service de l’éveil des consciences ?
Bande annonce du « Jour d’après »
Ce film de Roland Emmerich est intéressant, à plus d’un titre. Le pitch : un dérèglement accéléré du climat ravage une partie de la Terre et détruit les territoires des principales puissances mondiales. Les survivants tentent de sauver ce qui peut l’être. L’un des personnages principaux est un scientifique, spécialiste du climat, qui joue les Cassandre, que l’on ne croit pas avant qu’il ne soit trop tard. Le film se distingue par ses excellents effets spéciaux, ce qui lui vaut de rentrer dans la case des blockbusters de l’année 2004 (2.5 M d’entrées en France, + de 500M dollars de recettes).
Quelques pistes de réflexion.
- Emmerich est attaché aux films spectaculaires : Stargate en 1994, ID4 en 1996 puis Godzilla en 1998. C’est du cinéma de pur divertissement, même si le réalisateur a aussi une volonté de message politique, par exemple avec Godzilla une protestation contre les essais nucléaires français repris en 1995.
- Le film a été réalisé avec la 20th Century Fox. Or, cette dernière a soutenu le président G.W.Bush totalement opposé à la grille de lecture écologiste proposée par Al Gore (Une vérité qui dérange sort en 2006) et dans le film, il y a une violente charge contre les politiques US qui refusent de croire au réchauffement climatique, sans parler des Pays du Sud qui finissent par accueillir les Pays du Nord, avec une séquence toute singulière à la frontière mexicaine.
La liste des films traitant de ces questions est longue et ce qui est le plus intéressant reste de percevoir les motivations. Tout d’abord, ces films sont souvent pensés comme du grand spectacle avec un déluge jouissif de destructions en tous genres à l’image de Géostorm, (Dean Delvin, 2017).
Le propos est assez léger, même si on perçoit un début de réflexion sur le multilatéralisme et la gestion des affaires climatiques.
Un cinéma militant sur les conséquences sociales d’un réchauffement accéléré du climat ?
D’autres œuvres permettent d’associer réflexion sur le réchauffement climatique et conséquences plus sociales sur l’humanité. C’est ainsi le cas de l’adaptation de la BD du début des années 80 de Jacques Lob (scénario) et Jean-Marc Rochette (dessin), Snowpiercer.
Snowpiercer est ainsi un film de science-fiction sud-coréen de Bong Joon-ho, sorti en 2013. La trame diffère assez largement de la BD qui elle était marquée par les réflexions de la Guerre froide et de la Bombe.
Dans cette adaptation, dans un futur proche, les scientifiques ont tenté d’enrayer le réchauffement climatique à l’aide d’une vaste expérience qui échoue totalement. Les conséquences sont dramatiques et la Terre entre dans une nouvelle ère glacière. L’essentiel de la vie sur Terre a disparu. Les derniers survivants se trouvent à bord du « Transperceneige« , un train gigantesque qui fait le tour de la planète, sans s’arrêter. Les plus riches et puissants vivent à l’avant tandis que les plus pauvres vivent dans les dernières voitures, dans des conditions terribles. Le propos central est de suivre la révolte des opprimés, qui essayent de progresser vers l’avant du train, métaphore d’une révolution du bas vers le haut. Ce qui est intéressant dans cette adaptation est de faire le lien entre un réchauffement climatique et les conséquences sociales terribles. Dans tous les cas, ce sont les plus faibles qui souffrent les premiers. Le film a été adapté récemment en série sur Netflix, preuve que le propos est totalement d’actualité.
Le réchauffement climatique au cinéma peut aussi être abordé de façon plus indirecte. Une autre approche consiste en une exploration des solutions possibles, à travers une quête de la science pour sauver l’humanité du changement climatique, changement climatique qui s’inscrit ici dans les images saisissantes des immenses champs de maïs du Midwest complètement ravagés par le climat. Cette quête est aussi philosophique et intérieure, dans le film de Christopher Nolan Interstellar (2014).
Hollywood tient le haut du pavé, mais l’Europe n’est pas en reste. Le propos du film d’horreur allemand Tim Fehlbaum, Hell (produit par Roland Emmerich, le clin d’œil doit être souligné) se déroule sur une Terre totalement bouleversée par le réchauffement climatique. La température globale augmentée de 10 degrés et il n’est quasiment impossible de sortir dehors le jour. Le film raconte l’histoire d’une jeune femme, de son ami et de sa petite soeur traversant l’Allemagne victime de cette catastrophe climatique qui a décimé la société. Le trio recherche ainsi de l’eau, du gaz ainsi que des provisions dans un environnement plus qu’hostile, dans une approche qui n’est pas sans rappeler le terrible « La route ».
La route de John Hillcoat, 2009
Gojira, la véritable solution ?
De façon plus inattendue peut-être (du moins pour les non-membres de la secte des Geeks), le blockbuster américain Godzilla 2, le roi des monstres, s’inscrit totalement dans cette veine, et ceci de façon totalement militante et assumée. Le propos peut sembler décalé pour un monstre japonais, Gojira, affrontant d’autres créatures réveillées du fond des âges, Mothra, Rodan et le terrible monstre à trois têtes : Ghidorah. Malgré son évident côté blockbuster du film jouissif que l’on consomme en se gavant de popcorns affalé dans son canapé ou fauteuil, cette œuvre cherche à sensibiliser le public sur le changement climatique, comme le démontre cette interview :
Il est bien entendu impensable de ne pas partager la bande annonce. C’est le monde de Godzilla, nous ne faisons qu’y vivre et il ne faudrait pas que le Roi se réveille pour punir les Clionautes de ne pas l’avoir montré.
Mobiliser l’opinion publique internationale et les politiques
En 2006, Davis Guggenheim et l’ancien vice-président et candidat à la présidentielle américaine, Al Gore, proposent un documentaire qui fait l’effet d’une bombe : « An Inconvenient Truth ». Le réchauffement climatique au cinéma convoque ici une toute autre approche.
Le propos est, comme le montre cette bande-annonce, alarmiste. Il s’agit de mettre en avant les conséquences probables d’un réchauffement climatique non contrôlé afin de sensibiliser les populations et de créer un électrochoc. Ce sont surtout les phénomènes naturels spectaculaires, les aléas, qui sont mis en avant. Le support médiatique reprend ici les canons des films à grand spectacle évoqués dans l’introduction.
- => Quelle est la cible ?
Les conférences qui sont montées pour aboutir à ce film sont d’abord destinées au public américain. Comme on le voit très bien tout au long de cet œuvre, plusieurs fois primée à l’international, le film ne rayonne à l’international que dans un second temps.
- => Quel crédit accorder à ce travail ?
Les équipes de Al Gore ont bénéficié de travaux du GIEC. Pour ces spécialistes le film est donc un excellent support de communication à l’international. Clairement le réchauffement climatique au cinéma est ici au coeur de toutes les réflexions.
- => Comment ce film a été perçu ?
- Activité : lecture de ces 2 articles et synthèse.
https://www.liberation.fr/evenement/2006/10/11/un-documentaire-tres-gore_53979
Il peut être paradoxal de constater que l’ancien vice-président du pays le plus pollueur au monde, à l’époque du moins, fait la morale au monde entier. C’est aussi une façon de souligner la prise de conscience au sein de la première puissance mondiale, surtout à une époque Georges W.Bush affichait ostensiblement son mépris pour ces questions. On retrouve ici, en écho, une critique déjà perceptible dans le film « Le jour d’après ». Voir le concept de climatoscepticisme.
- => Quel a été l’impact du film sur la gestion internationale de ces questions ?
Ceci sera développé plus en détail dans les 2 parties suivantes, mais on peut d’ores et déjà rappeler qu’il s’inscrit dans un mouvement de fond, entamé le Protocole de Kyoto (1997), et poursuit jusqu’à nos jours dans le cadre de conférences internationales sur le climat, à l’image de la COP 21. Dans cette perspective il a été un support. Se pose néanmoins la question de son efficacité, surtout que la crise financière de 2008 va mettre ces questions au plan secondaire, au point de susciter l’émergence de nouveaux acteurs type Greta Thunberg. La réalité est que ce documentaire, s’il a fait beaucoup de bruit à sa sortie, n’a pas eu un impact décisif dans la prise de conscience globale de ces problématiques. Ceci peut être souligné par la multiplication d’œuvres du même type, à l’image de celle soutenue par Léonardo di Caprio, en 2016 :
ou encore de la suite du film de Al Gore 2017 :
Il serait facile de multiplier les exemples. Ces supports ont en commun de mobiliser des stars, occidentales, pour sensibiliser l’opinion publique, largement occidentale elle aussi, bien au-delà du seul cercle des personnalités politiques. L’un des changements principaux dans ces approches, et c’est ce qui a d’ailleurs été reproché au documentaire d’Al Gore, c’est d’essayer d’apporter des solutions concrètes. On retrouve ici le cas de « Years of Living Dangerously », qui a remporté un Emmy Awards en tant que série documentaire. Le casting qui a participé est absolument impressionnant : James Cameron et Arnold Schwarzenegger en sont les principaux producteurs, tandis que plusieurs stars ont participé au tournage. On peut citer par exemple Harrison Ford, Ian Somerhalder, Gisele Bündchen, Jack Black, Matt Damon, Sigourney Weaver ou encore Barack Obama.
Les États-Unis ne sont pas les seuls à proposer ce genre d’outil, à l’image du film demain, qui reprend les mêmes thématiques, avec un regard encore plus optimiste pour le futur.
=> Que retenir de ce rapide exposé sur le réchauffement climatique au cinéma?
Quelques points saillants me semblent importants à mettre en avant :
*Ces documentaires sont de très bons outils de communication, qui répondent à des canons plutôt occidentaux, et plus précisément hollywoodien. Puissante campagne de promotion, recherche du spectaculaire, de l’émotion, et entretient d’une forme de peur qui doit pousser à agir.
*L’efficacité de ces documentaires est cependant mise à mal en fonction du public visé. Si la diffusion fut mondiale, il n’y a pas de doutes quant au fait que ce sont surtout des populations de pays riches, partiellement déjà sensibilisés à ces questions, qui ont pu voir ces œuvres. Dès lors une grande partie de la population mondiale peut être exclue des réflexions, alors même que ce sont les plus pauvres qui vont, les premiers, souffrir de réchauffement climatique.
*Concernant l’impact sur les politiques, il est très relatif. Pour preuve, l’élection de Donald Trump, le retrait ponctuel des accords de Paris, mais d’une façon plus générale force de constater, en cette période de Covid 19 qui s’étire, de Guerre en Ukraine, que les questions environnementales restent secondaires faces aux questions sanitaires, géopolitiques et économiques. La question d’une gouvernance internationale réellement efficace reste totalement centrale. Enfin, il faut rappeler que les climato-sceptiques disposent toujours aussi de leur force de frappe médiatique. Dans quelle mesure les futures productions cinématographiques prendront-elles appui sur cet été 2022 ? Le réchauffement climatique au cinéma sera-t-il une clé décisive pour faire évoluer, définitivement, les consciences ?