Le crépuscule des Aigles

« Il n y’a rien que je veuille plus en ce monde, même pas moi »

 

Ma première rencontre avec Le crépuscule des Aigles est ancienne. Je devais avoir 12/13 ans. J’en avais gardé un souvenir singulier ; non en fait trois. Des batailles aériennes dantesques avec de vieux coucous, Ursula Andress et George Peppard et une séquence finale qui m’avait choqué.

 

Les congés de fin d’année offrent des moments rares : un peu de temps pour s’évader. C’est donc avec excitation que j’ai fini par redécouvrir ce film des années plus tard, excitation teintée de crainte, celle qui nous accompagne lorsque nous redécouvrons, déçus, une œuvre qui nous avait fait chavirer plus jeune. Et bien là, c’est tout le contraire qui s’est passé. Ce film est tout simplement formidable. Il est adapté du roman de Jack D. Hunter, The Blue Max, en référence à la décoration que vise le héros, paru en 1964.

Le pitch est ainsi assez classique : un homme de naissance modeste, très ambitieux, tente de se faire une place au sein d’une aristocratie en plein crépuscule, en quête de la plus haute distinction, la « Blue Max ». Cette aristocratie dernière est double ; c’est d’abord la rigide caste des officiers prussiens, bourrés de principes et de morgue envers les plus pauvres, les « non-élus ». C’est aussi cette caste tout aussi singulière, celle du monde des pilotes, chevaliers des temps modernes, tentant pour certain de perpétuer le mythe d’un esprit chevaleresque, là où il s’agit avant tout de faire la guerre et de tuer.

 

14-18, au coeur de la guerre froide

Derrière cette histoire mainte fois narrée, se cachent en réalité moult intérêts qui pourraient faire l’objet d’étude, y compris avec des élèves. Tout d’abord, nous sommes chez les perdants : en 1966, un film sur les Allemands, ce n’est pas banal. Deuxième intérêt, il ne s’agit pas des méchants nazis aisément identifiables, mais des Teutons de 14-18. L’approche peut sembler plus aisée en 1966. Troisième intérêt : la reconstitution d’une période souvent éclipsée par la Seconde guerre mondiale, le tout avec une rigueur toute prussienne. Ce qui concourt au quatrième intérêt, ce sont les efforts faits pour traiter de ces premiers âges de l’aviation : des vieux coucous qui volent !! Des camions de 1916 ! Des canons y tout ! Un vrai travail d’orfèvre, remarquable mise en valeur de ces antiques machines, même si pour des raisons évidentes de disponibilités, certains matériels sont plus récents (exemple des « Tiger Moth » anglais du début des années 30 utilisés ici comme chasseurs allemands ou encore du « Morane-Saulnier MS 230 » utilisé comme chasseur monoplan révolutionnaire allemand de la fin du film). Il y a donc bien quelques coquilles mais ce sont là des détails pour les puristes les plus exigeants. Un cinquième intérêt ? La propagande et la création d’un héros pour soutenir le moral de l’arrière. Des blessés, du sang, une Allemagne à l’agonie en cette année 1918 qui clôture le film. Un interlude musical, et oui, au beau milieu du film : 6-7 minutes de musique, sur fond d’une croix du mérite, ce n’est pas banal ça !

Il serait ainsi tout à fait envisageable de travailler en spécialité HGGSP sur ce film, dans le cadre de la construction des mémoires de la première guerre mondiale et, plus particulièrement, des grilles de lectures allemande de l’époque. En effet, en 1961, le livre de l’historien allemand Fritz Fischer « Les Buts de guerre de l’Allemagne impériale » affirme la responsabilité du Reich et met en cause le militarisme allemand. Ces questionnements font partie des thèmes abordés par Le crépuscule des aigles.

 

Du cinéma, de véritables prouesses techniques

Le crépuscule des Aigles est une perle, trop méconnue à mon goût. John Guillermin nous offre un étalage de maîtrise technique bluffant. Les regards entre Ursula Andress et George Peppard sous forme de zoom alternés, c’est tout simplement génial. La séquence initiale, avec ce héros qui rampe dans la boue des tranchées et qui rêve de s’envoler dans un de ses coucous qui le survole, allégorie superbe de cet homme qui rêve de reconnaissance.

 

Que dire de la musique de Jerry Goldsmith, si ce n’est qu’elle est parfaite pour ce film ? Quelque part, il y a un peu du Lawrence d’Arabie sorti 4 ans plus tôt dans ce film. Les silences qui accompagnent certaines scènes, comme ce réveil sur une base perdue dans un champ de France, avec ces oiseaux qui chantent tandis que la caméra se focalise sur les avions qui attendent d’aller se faire trucider, c’est beau.

La clé de cette pure réussite revient aussi aux acteurs. Les seconds rôles sont parfaits : James Mason campe un excellent officier supérieur plein de cynisme, prêt à tout pour sauver sa caste, y compris à offrir sa femme. Cette dernière, Ursula Andress, est belle, vénéneuse et aristocratiquement fatale. Jeremy Kemp campe un génial concurrent pour la gloire, plein de morgue envers ce parvenu qui ose vouloir titille un monde qui l’accepte, faute de mieux. Quant à Karl Michael Vogler, en commandant d’une escadrille en déliquescence, il est touchant et totalement anachronique. Un mec perdu dans un monde qui va trop vite pour lui. Et puis, il y a Georges Peppard, qui deviendra plus tard Hannibal Smith. Il est terrible de constater que cet acteur formidable soit finalement plus connu par une série. Ici, n’ayons pas peur des mots, il est éblouissant. Il est beau, impitoyable et touchant, ambitieux et fragile, arriviste et manipulé.

Mais c’est surtout par ses séquences aériennes que le film tutoie les cimes célestes. Point de CGI, de fonds verts. En lieu et place des pistons, de la fumée, des cascades, des séquences tout bonnement incroyables à l’image de cette scène de combat aérien dantesque.

 

Pour ceux qui pensent que Top Gun est le film ultime sur les pilotes, regardez celui-ci. Pour ceux qui pensent qu’il n’existe pas de film de guerre avant Il faut sauver le soldat Ryan, regardez celui-ci. Il est bien plus que ça. Il est rare, beau et cruel.

À redécouvrir donc, cette œuvre se devait de sortir des limbes. Puissent ces quelques mots y concourir…

 

***

 

Fiche technique

Royaume-Uni / 1966 / 2h 48min / Guerre

Titre original The Blue Max

Réalisateur : John Guillermin

Scénariste : Ben Barzman, Basilio Franchina, David Pursall, Jack Seddon et Gerald Hanley

Musique : Jerry Goldsmith

 

Avec

George Peppard, James Mason, Ursula Andress ,Jeremy Kemp, Karl Michael Vogler