Un pont trop loin (A Bridge Too Far) est un film de guerre épique sorti en 1977, réalisé par Richard Attenborough. Il est basé sur le livre éponyme de Cornelius Ryan, qui raconte les événements réels de l’opération Market Garden durant la Seconde Guerre mondiale. Voilà 80 ans, jour pour jour, la plus ambitieuse opération aéroportée de la Seconde guerre, bien plus importante que celle du D-Day, tournait au fiasco. Chose surprenante c’est donc bien l’histoire d’un échec qui est ici au cœur de ce nouvel article consacré aux films retraçant l’été 1944.

Synopsis

En septembre 1944, l’opération du maréchal Montgomery débute malgré le désaccord du général américain Patton. Il s’agit d’un coup décisif afin de précipiter la chute du IIIe Reich. Pour cela, il faut s’emparer des six principaux ponts sur le Rhin et les tenir afin de faire franchir les blindés et l’infanterie. L’opération sera un échec, les alliés perdront 17 000 hommes…

 

Une pluie de star pour un projet digne du Jour le plus long

 

 

Un pont trop loin est d’abord un film au casting incroyable : Sean Connery, Robert Redford, Michael Caine, Anthony Hopkins, Gene Hackman, Laurence Olivier, James Caan, Edward Fox, Denholm Elliott, Hardy Krüger, Maximilian Schell et bien d’autres encore.

Les moyens mis à disposition ne furent pas qu’humains : le matériel utilisé est dantesque, à l’image des Dakotas décollant des bases britanniques, chargés de leurs parachutistes, des colonnes de blindés en tous genres fonçant vers les ponts néerlandais. Tourné aux Pays-Bas, le film s’inscrit dans la droite ligne du Jour le plus long et, sous une autre forme, dans celle de Opération Bagration. Du grand spectacle, des centaines de figurants, sans fond vert, avec l’authenticité d’une époque semblant aujourd’hui bien lointaine.

En résumé, Un pont trop loin est un grand classique du film de guerre, apprécié pour son réalisme historique, ses scènes d’action impressionnantes et son casting exceptionnel. Mais, bien au-delà de ces moyens, ce sont les thèmes du film qui le rendent si important, encore aujourd’hui. Les actions  héroïques pathétiques, mais les erreurs humaines, les souffrances des soldats, les conséquences tragiques d’une opération mal planifiée constituent la véritable richesse du travail, admirable, de Richard Attenborough et ses équipes.

Le film suit plusieurs personnages et fronts de cette opération, qui visait à capturer une série de ponts stratégiques aux Pays-Bas pour permettre aux forces alliées d’avancer rapidement vers l’Allemagne. En ce sens le traitement reprend l’approche du Jour le plus long, chaque séquence s’intéressant à un endroit du front, au fur et à mesure que les jours passent.

 

L’Opération Market Garden : gagner la guerre avant Noël … ou pas

Le film débute alors que les Alliés, galvanisés par la victoire en Normandie, cherchent à écourter la guerre en forçant une percée rapide dans les lignes allemandes. Le plan consiste à capturer plusieurs ponts au-dessus de grands fleuves néerlandais (la Meuse, le Waal et le Rhin) pour permettre une invasion rapide de l’Allemagne. Cette mission repose sur la coordination entre des troupes parachutistes, chargées de capturer et sécuriser les ponts, et des troupes terrestres, qui doivent avancer rapidement pour les rejoindre.

Dans le même temps les Soviétiques ont pulvérisé les lignes sur le Front de l’Est et la crainte monte que l’Armée Rouge déferle sur l’ensemble de l’Europe. Les Occidentaux s’engagent donc dans une course pour une victoire rapide. Les Allemands semblent sur le point de s’effondrer, définitivement.

 

La messe est dite, même le grand Gerd von Rundstedt semble désabusé

 

Une planification qui tourne à la quadrature du cercle

 

Suivant le texte de Cornelius Ryan, Richard Attenborough met en lumière la planification complexe de l’opération, orchestrée par le maréchal Bernard Montgomery et son état-major. L’offensive combine une opération aérienne (Market) et une offensive terrestre (Garden). Très vite apparaissent des questions : des réserves sont émises par certains officiers alliés, conscients des difficultés.  Les Allemands pourraient être bien mieux préparés qu’ils ne le pensent, les ponts pourraient être détruits avant qu’ils ne soient capturés, et la météo pourrait compliquer les opérations aéroportées. L’optimisme cependant l’emporte car il faut l’emporter, et vite. Les Allemands ont perdu la guerre, pourquoi se défendraient-ils avec acharnement ?

 

Lancement de l’opération

 

Les troupes alliées, composées des forces britanniques, américaines et polonaises, lancent l’opération en parachutant des milliers de soldats derrière les lignes ennemies. Ces parachutistes doivent sécuriser plusieurs ponts, dont ceux d’Eindhoven, de Nijmegen, et surtout celui d’Arnhem, qui constitue l’objectif final et crucial de l’opération. C’est ce dernier pont qui sera le fameux « pont trop loin ». Les scènes sont incroyables, à l’image de la longue séquence de décollage des avions, en colonnes, après avoir embarqué, pendant plusieurs minutes, les parachutistes britanniques et américains. C’est spectaculaire, la musique pompeuse nous embarque vers une réussite assurée, tant le sentiment de puissance est formidablement mis en scène.

 

Une opération, des fronts, des histoires

 

Le film suit plusieurs unités, chacune confrontée à ses propres défis :

Les Britanniques à Arnhem : dirigés par le général-major Roy Urquhart (joué par Sean Connery), les forces parachutistes britanniques doivent capturer le pont d’Arnhem. Cependant, ils se retrouvent rapidement coupés du reste des forces alliées et sont encerclés par des divisions blindées allemandes. Cette partie de l’histoire met l’accent sur la résistance héroïque des soldats britanniques, qui tiennent le pont plusieurs jours malgré des pertes immenses et des conditions désespérées, après avoir atterri à proximité d’un asile de fou. Il est aussi question de stupidité lorsque le ravitaillement par les airs envoie non point des munitions, mais des bérêts. Ceci rappelle furieusement les soldats encerclés à Stalingrad, recevant des pluies de médailles par le ciel.

Les Américains à Nijmegen : les troupes américaines, sous les ordres du major Julian Cook (Robert Redford), doivent capturer le pont de Nijmegen. La traversée du fleuve Waal par bateau est l’une des scènes les plus célèbres et dramatiques du film, illustrant la témérité et les sacrifices des soldats face aux tirs ennemis.

 

Les Polonais à Driel : Le général polonais Stanisław Sosabowski (Gene Hackman) et ses troupes sont parachutés près d’Arnhem pour soutenir les forces britanniques. Cependant, leur arrivée est retardée par la mauvaise organisation, et ils ne parviennent pas à franchir le Rhin pour rejoindre les Britanniques à temps. Cela met en évidence l’échec de la coordination et les tensions entre les commandements alliés.

 

Échec de la mission

Au fur et à mesure que l’opération avance, il devient évident que Market Garden a été trop ambitieux. Les troupes alliées sont confrontées à une résistance allemande bien plus forte que prévu. Les Allemands, renforcés par des troupes et blindés SS, repoussent les parachutistes britanniques et détruisent plusieurs ponts. Le film montre le chaos croissant, la confusion dans les ordres, et les retards des troupes terrestres qui ne parviennent pas à rejoindre les parachutistes à temps. Pire, dès le départ, le renseignement était sous les yeux des décideurs, qui n’en tiennent pas compte, assurés de leur victoire finale.

 

À Arnhem, malgré des efforts acharnés pour tenir le pont, les forces britanniques sont submergées, malgré le « courage des imbéciles » des troupes de Anthony Hopkins, inquiet avant de partir d’avoir le temps de pouvoir jouer au golf.

 

 

L’expression « un pont trop loin » fait référence à cette ambition de capturer Arnhem, qui s’avère être un objectif au-delà des capacités des Alliés. La résistance acharnée des soldats britanniques finit par être vaine, et ils sont forcés de battre en retraite, abandonnant le contrôle du pont.

 

Les conséquences tragiques de l’échec

 

Le film se termine sur un constat terrible : des milliers de soldats alliés capturés ou tués, une opération considérée comme un échec cuisant. Malgré des actes individuels de bravoure et de sacrifice, l’opération a échoué à atteindre ses objectifs principaux, prolongeant ainsi la guerre.

L’ambition excessive est soulignée. Le titre du film, reprenant le roman, fait directement allusion à l’idée que l’opération visait trop haut. Le film critique subtilement la confiance excessive des dirigeants militaires alliés qui ont sous-estimé la résistance allemande.

Le sacrifice des soldats n’est pas remis en cause par une quelconque couardise. Bien que la mission soit un échec, le film met en lumière le courage et la détermination des soldats parachutistes et terrestres, souvent livrés à eux-mêmes dans des situations désespérées. On retrouvera cette approche avec Dien Bien Phu.

Plus intéressant encore, le film souligne les erreurs de commandement, de planification et de coordination qui ont contribué à l’échec de l’opération. La mauvaise communication, les divergences entre les différents commandants alliés, et l’ignorance des informations critiques (comme la présence de divisions blindées allemandes) sont des facteurs cruciaux dans la défaite.

 

Un film de la Détente illustrant la remise en question des grandes stratégies militaires offensives

 

Le film a été réalisé en 1977, en pleine détente. Bien que l’intrigue du film se concentre sur la Seconde Guerre mondiale, son message résonne avec les préoccupations de l’époque, en particulier sur la critique des grandes stratégies militaires et la méfiance envers les décisions des élites militaires et politiques.

L’échec de l’opération Market Garden, une campagne ambitieuse mais mal conçue, rappelle l’idée que des décisions prises par les dirigeants, souvent éloignés du terrain, peuvent entraîner des conséquences désastreuses pour les soldats ordinaires. Ce thème a trouvé un écho auprès du public des années 1970, une époque marquée par un sentiment croissant de désillusion envers les autorités militaires et politiques. Ce climat de doute, nourri par des conflits récents comme la guerre du Vietnam, a renforcé l’idée que la guerre est souvent marquée par des erreurs stratégiques coûteuses et des ambitions mal placées.

Cette dernière guerre a été particulièrement cruelle pour l’ego de la toute puissance occidentale. L’arrogance stratégique est au cœur des réflexions. Dans les deux cas, des dirigeants militaires et politiques ont sous-estimé les forces ennemies (les Allemands en 1944, les Vietnamiens dans les années 1960 et 1970), pensant que la victoire serait rapide. Le coût humain est souligné. Le film, comme la guerre du Vietnam, met l’accent sur le coût humain des erreurs stratégiques, avec des milliers de vies perdues pour des objectifs mal définis ou irréalisables.

Il reflète également un scepticisme croissant envers les autorités militaires et politiques, ce qui résonne avec les critiques post-Vietnam à l’égard des gouvernements qui mènent des guerres sans comprendre les réalités du terrain. Ceci est tout à fait perceptible à travers le regard du général polonais Stanisław Sosabowski à qui Gene Hackman offre une prestation éclatante, pétrie de vérité quant à sa colère, froide.

 

L’émergence d’un cinéma plus critique sur la guerre ?

 

Dans les années 1970, le cinéma hollywoodien a connu un changement de ton en ce qui concerne la représentation de la guerre. Au lieu de glorifier les exploits héroïques, comme cela avait été le cas dans de nombreux films des années 1940 et 1950, les films de guerre de cette période sont souvent devenus plus réalistes, critiques et réflexifs. Nous sommes ici aux antipodes du Jour le plus long, de Paris brûle-t-il ou de Bérêts verts.

Un pont trop loin s’inscrit dans cette tendance avec une représentation crue de l’échec militaire. Le film ne glorifie pas l’opération Market Garden, mais montre plutôt comment une série d’erreurs stratégiques et de dysfonctionnements dans la chaîne de commandement a conduit à un désastre. Cette approche critique reflète la montée d’un sentiment antimilitariste dans les années 1970, en grande partie en réaction aux événements mondiaux, et en particulier au Vietnam qui verra deux ans plus tard Francis Ford Coppola produire Apocalypse Now. On retrouvera cette approche critique la même année avec L’ultime attaque de Douglas Hickox.

La collaboration internationale et l’unité alliée en question

 

Dans un contexte géopolitique où l’idée de coopération internationale prenait de l’importance (notamment à travers des institutions comme l’OTAN et de la CEE) le film met en avant les efforts coordonnés entre différentes armées alliées (britanniques, américaines, polonaises). Cependant, le film souligne également les dysfonctionnements dans la communication et la coopération entre ces différentes nations, un reflet de la réalité historique de l’opération Market Garden.

Cette mise en lumière des tensions entre alliés, qu’il s’agisse des erreurs de coordination ou des différends entre les commandants, peut être vue comme une réflexion sur les défis de la collaboration internationale, même entre des nations partageant un objectif commun.

 

Market Garden et Bagration

 

La réussite incroyable de Bagration jour pour beaucoup dans la hâte de l’opération Market Garden. Exploiter le cinéma, les films de Yuri Ozerov et celui de Richard Attenborough, permet de faire une mise en parallèle intéressante. Le premier illustre bien comment Bagration a été minutieusement planifiée pendant des mois, avec une préparation logistique massive et une utilisation extrêmement efficace de la guerre mécanisée et de l’artillerie. Les Soviétiques ont trompé les Allemands en feignant de préparer une attaque ailleurs (notamment en Ukraine), ce qui a conduit à un redéploiement erroné des forces allemandes. La supériorité soviétique en termes de nombre de troupes, de chars et d’artillerie a joué un rôle clé dans leur succès et tout ceci est mis en scène par le cinéaste soviétique.

De son côté Richard Attenborough montre habilement dans la première partie comment l’opération a été élaborée rapidement, en seulement quelques semaines, et souffrait de lacunes dans la planification. Le principal problème était la dépendance excessive à des conditions parfaites et une faible marge de manœuvre. La scène où Edward Fox explique que ses troupes seront la cavalerie venant aider les pauvres colons (les parachutistes), en proie aux méchants indiens (les Allemands) par analogie avec les westerns, est jubilatoire.

Le manque d’intelligence sur la présence de divisions blindées allemandes dans la région d’Arnhem a également contribué à l’échec.

Un pont trop loin est donc un classique, un grand classique, qui a toute sa place dans la construction des mémoires de cet été 1944. Critiqué parfois pour sa longueur, je n’adhère pas à cette approche. Oui ce n’est pas un film qui correspond aux canons de vidéos toujours plus courtes, mais c’est aussi ça le plaisir de s’enfoncer avec le réalisateur dans une oeuvre, de prendre son temps. La musique est réussite et accompagne parfaitement cette plongée vers l’absurde et l’enfer, passant du registre épique, pompeux, aux mélodies plus dramatiques.

 

 

Dans le même temps se jouent d’autres drames, qui mériteront aussi que l’on s’y attarde bientôt.

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Fiche technique

Joseph E. Levine Productions  / 1977 / 2h 50min / Drame, Historique, Guerre

Titre original A bridge too far

Réalisateur : Richard Attenborough

Scénariste : William Goldman, d’après le roman de Cornelius Ryan publié en 1974

Musique : John Addison

Avec Sean Connery, Robert Redford, Michael Caine, Anthony Hopkins, Gene Hackman, Laurence Olivier, James Caan, Edward Fox, Denholm Elliott, Hardy Krüger, Maximilian Schell