Cette interview de Éric Besnard pour le film Louise Violet est l’occasion d’en apprendre un peu plus sur la démarche du réalisateur. Film engagé, Louise Violet est une oeuvre de fiction qui s’intéresse autant à la grande histoire qu’à celle, moins valorisée dans l’imaginaire collectif national, de la vie dans les campagnes à la fin du XIXè siècle, dans une France où la République tente de s’installer progressivement avec, en première ligne de cette mission, les « hussards noirs » de la République.

 

Voilà quelques jours le réalisateur revenait sur le tournage en région Auvergne-Rhône-Alpes.

 

Dans le cadre de notre partenariat avec l’Agence Approches.net, j’ai eu le plaisir de pouvoir soumettre mes questions à Éric Besnard, qui y a répondu avec gentillesse et sincérité. Je le remercie chaleureusement pour sa disponibilité.

Louise Violet sort en avant-première dans toute la France le 1er Novembre, puis le 6 novembre. Il est possible d’organiser des projection avec des classes, comme expliqué dans un précédent article. Le dossier pédagogique, de grande qualité, peut servir de support pour des travaux avec des élèves et les Clionautes le recommande vivement.

 

Interview du réalisateur Éric Besnard pour le film Louise Violet

 

Les Clionautes :

Après Délicieux, premier acte du triptyque que vous appelez de vos vœux sur le modèle français et ses valeurs, voici Louise Violet. Une première question s’impose ; dans quel but désirez-vous produire ce triptyque ?  Est-ce une exploration personnelle de ces questions, ou un travail destiné à alimenter les réflexions des spectateurs français sur ce que nous sommes, ou sommes devenus ?

Je suis un cinéaste français et j’avais envie de travailler sur le modèle français. D’essayer de nous rappeler qui nous sommes. De réfléchir aux spécificités de notre modèle. D’étudier notre ADN. Je crois en effet qu’il est essentiel de se souvenir d’où l’on vient. Le film Délicieux voulait montrer que la création naît du siècle des Lumières. Le restaurant est un lieu où quelqu’un d’extraction populaire peut proposer sa subjectivité à tous et où tous peuvent venir goûter sa proposition. C’est aussi un lieu de rencontre et de partage. Un lieu associant sensorialité et rationalité. Un lieu pour goûter mais aussi pour converser et commenter. J’ai voulu cette fois montrer que l’école aussi est une création humaine née d’une époque précise et véhiculant des valeurs. C’est une invention exceptionnelle. Un pilier social obtenu de haute lutte.

 

Les Clionautes :

Revenons à Louise Violet. Pourquoi avoir choisi une femme comme héroïne, plutôt qu’un hussard noir de la République ? Qu’incarne à vos yeux Louise Violet en cette année 1889 ? Une féministe ? Plus que ça ?

Je voulais travailler sur la rencontre de deux forces. La terre et l’école. Je cherchais à créer une confrontation dynamique. Deux univers apparemment inconciliables qui allaient apprendre à cohabiter et créer une identité. La paysannerie est un monde d’hommes, de propriété, de conservatisme. J’ai voulu y opposer une femme, partageuse, progressiste. Et comme les premières femmes sont sorties de l’école normale en 1886, il m’a semblé qu’il y avait là un personnage idéal. Et puis un film historique doit faire écho aux problématiques du moment. Et il s’agissait pour cette femme de s’imposer dans un monde d’hommes.

 

Les Clionautes :

Votre film propose de se plonger dans l’arrivée, progressive, de la République dans les campagnes, loin de Paris. Comment avez-vous travaillé cette période historique pour la faire vivre dans ce long métrage avec autant de sincérité, de vie ? Vous êtes vous appuyé sur des travaux d’historiens, si oui lesquels ?

Étudiant, j’ai été marqué par les travaux de Fernand Braudel sur l’identité de la France. Essayer de nous comprendre. Pourquoi la gastronomie ? Pourquoi le goût de la conversation ? De la polémique. De la politique. Pourquoi le french flair en rugby ? Etc. Je suis parti de là. Ensuite il y a Mona Ozouf et ses travaux sur les institutrices de l’entre-deux guerres. Même s’ils ne concernent pas la même période, c’était la confirmation de l’intérêt de la problématique. Et puis il y a les grands auteurs de la fin du dix-neuvième. Zola est un formidable sociologue. Lire La terre permet de comprendre la condition paysanne de l’époque.

 

Les Clionautes :

Comment avez-vous choisi les deux acteurs clés, Alexandra Lamy pour Louise Violet, et Grégory Gadebois pour Joseph, le maire ?

J’ai écrit le film pour Grégory Gadebois. C’est notre troisième film de suite ensemble. Je savais qu’il pourrait incarner un homme symbole donnant l’apparence de puissance et de certitudes… mais fragile et désireux d’apprendre. J’aime ce travail sur la fragilité du masculin. Alexandra Lamy s’est imposée toute seule. Je cherchais une institutrice. C’est-à-dire une femme empathique et populaire. Je veux dire issue du peuple et reconnue comme telle. Une femme de caractère mais généreuse et sympathique. Une femme dont ce serait aussi la seconde vie (puisqu’elle a perdu sa famille).

Alexandra avait en outre une autre qualité. Elle n’avait encore jamais interprété un personnage en costume dans un rôle dramatique.

 

 

 

Les Clionautes :

Le personnage de Thermidor me semble aussi très important, car il fait en quelque sorte le lien entre le monde extérieur, celui de la ville, et cette campagne reculée. Pourquoi l’avoir nommé Thermidor ? Vous êtes vous particulièrement renseigné sur le poids, le rôle des facteurs dans l’infusion de la République dans les campagnes françaises de cette fin du XIXè siècle ?

Le facteur est celui qui apporte de l’écrit dans un monde où on ne sait pas lire. En d’autres termes, il a un rôle social. Il apporte le courrier à chacun et le lui lit. Il incarne le service public. Il est aussi un lien entre les villes et les campagnes. Il est un facteur de progrès vantant l’ailleurs. Je l’ai appelé Thermidor parce que je le voulais défenseur de la République. C’est un enfant qui prétendait vouloir couper la tête à tout le monde. Mais ce n’est pas un violent. Il vit par transfert.

 Le facteur est un personnage particulier dans le cinéma français. Il est à jamais incarné par Jacques Tati dans Jour de fête. Aussi j’aimais l’idée de traiter de cet archétype et de l’arrivée de son destrier… le vélo.

 

Les Clionautes :

Comment avez-vous construit le personnage du curé, plus ambigu que l’image qu’on pourrait de faire de l’ardent défenseur de la Foi face aux missionnaires républicains, laïcs ?

Nous sommes quinze ans avant la séparation de l’église et de l’État. La tension monte mais n’est pas à son paroxysme. La République a repris l’éducation des enfants à l’Église. Le curé sait qu’il est en concurrence avec l’institutrice. Mais il sait aussi qu’ils ont des points communs elle et lui. Ce sont tous deux des missionnaires apportant la bonne parole. Et ce sont aussi tous les deux des étrangers. Trente ans plus tôt ce curé est arrivé dans ce village et il n’y avait personne dans son église. Il a fallu qu’il aille chercher ses fidèles un par un. Il sait donc ce que Louise est en train de vivre. Et cela le rend compréhensif.

 

Les Clionautes :

Louise Violet est une communarde, ce qui sert d’ailleurs de point de départ au film. Cette période est abordée ici de façon assez claire, et clairement à charge pour les troupes versaillaises. Avez-vous eu envie, avec ce personnage, de réhabiliter ces révoltés ? Pensez-vous que leurs combats demeurent d’actualité et que les spectateurs pourront s’identifier, d’une façon ou d’une autre, à ces luttes ?

J’estime que la Commune est un événement majeur. Une des seules véritables révoltes populaires. Un événement longtemps minimisé dans les livres d’Histoire. Parce que ce sont les vainqueurs qui écrivent l’Histoire.

La deuxième partie du dix-neuvième siècle est foisonnante d’utopies, d’espoirs, d’expériences libertaires. Mais  le marxisme a œuvré comme un rouleau compresseur en écrasant la pensée de gauche et en tentant de les faire oublier.

 

Les Clionautes :

La question de la modernité est importante ; les fantasmes autour de Paris, de la fée électricité, la diffusion des savoirs, l’imposition d’un progrès venant de la capitale. Vous parvenez cependant à dresser un visage attachant de cette communauté, fondée sur les solidarités, le rapport à la nature. Pensez-vous que Louise Violet, fervente défenseur du progrès, parvient finalement à apprécier cette ruralité, au-delà de la nécessité pour elle de s’adapter à ce monde qu’elle découvre ?

Il n’y a pas les gentils cultivés d’un côté et les méchants ignares de l’autre. Toute l’idée est de montrer que le mouvement de l’Histoire c’est la rencontre de courants différents, de points de vue différents. Le maire a raison quand il dit que l’école générera un exode rural qui dépeuplera les campagnes et qu’il s’agit avant tout pour la République de créer des fonctionnaires et des soldats. La République ne veut pas revivre la débâcle de 70. Il lui faut des cadres. Néanmoins le progrès reste un progrès et la mobilité sociale un acquis. Pouvoir choisir sa vie… c’est aussi ça le rôle de l’école.

Je crois en effet que Louise sort progressivement de sa logique de missionnaire. Elle s’inscrit progressivement dans une communauté, trouve sa place, et se remet à vivre. Servir une idée ne suffit pas. Il faut vivre. Et vivre c’est rester poreux à l’autre.

 

Les Clionautes :

Comment avez-vous choisi vos lieux de tournage ? Pourquoi le Cantal, plus que la Bretagne profonde, la Provence ou tout autre région éloignée de Paris et des grands centres urbains ?

J’ai tourné en Haute-Loire en Auvergne. Mais cela aurait pu être partout. Je cherchais un village français. Une représentation de la campagne au dix-neuvième siècle.  Un universel. J’ai donc écarté tout ce qui était trop particulier. (Les bords de mer, la haute montagne, etc.).

 

Les Clionautes :

Diriez-vous que votre film sur la transmission du savoir, de l’éducation, est militant, engagé, à mettre en perspective avec les combats actuels pour l’école ? Ou qu’il s’agit de deux moments tellement différents qu’il n’est pas opportun de les comparer ?

Le film traite de diverses problématiques d’actualité. Le rôle de l’école, place de la femme, la tolérance à l’étranger, et la réalité du modèle républicain. Il y a donc une volonté d’interpeller et de faire réfléchir. L’école est une exceptionnelle invention humaine. Un pilier de tout parce social. Les parents délèguent l’éducation de leurs enfants à un tiers représentant l’État. Quelle merveilleuse illustration d’un contrat social. J’ai voulu le rappeler. L’école semble être perçue comme une contrainte. Alors que c’est non seulement une chance mais une preuve de civilisation et de volonté de vivre ensemble.

 

Les Clionautes :

Selon vous, dans quelle mesure les combats pour la laïcité à la fin du XIXè siècle et aujourd’hui sont-ils très différents ou, au contraire, reposent-ils sur des bases réellement proches ?

La laïcité est au cœur de notre modèle. J’ai voulu rappeler que notre école est justement née de la mise à distance du religieux et d’une délégation de l’autorité parentale. En notre époque de tentation communautariste, la religion vient de nouveau prétendre à s’immiscer dans l’enseignement en prétendant dicter ce qui peut être dit et ce qui ne peut pas. J’estime que la République doit se défendre comme elle s’est défendue. Le religieux relève de la sphère privée. Pas du pacte social.

 

Les Clionautes :

Qu’est-ce qui selon vous, a le plus changé entre la mission de Louise Violet et le métier d’enseignant aujourd’hui ?

Le métier reste le même. Transmettre et éduquer. Mais les adversaires ne sont plus les mêmes. Au dix-neuvième siècle il s’agit pour l’institutrice de convaincre de l’intérêt de l’éducation alors que l’école est en compétition avec les travaux des champs et l’autorité paternelle. Aujourd’hui, en France (car il ne faut pas oublier que 250 millions d’enfants n’ont toujours pas accès à l’école dans le monde) le principal concurrent de l’enseignant est… le téléphone portable. Symbole d’une culture alternative et immédiate. Mais savoir d’un clic que la bataille de Marignan a eu lieu en 1515 n’est pas comprendre le seizième siècle. Et puis internet pousse malheureusement au communautarisme. Les amateurs de mandarines discutent avec les amateurs de mandarines. Et les amateurs de pommes avec les amateurs de pommes. Mais ce qui est beau c’est la salade de fruits. L’échange de points de vue différents. Une pensée se construit par la découverte de nouveaux points de vue et le dialogue avec celui qui pense autre chose. Plus que jamais le rôle de l’enseignant est d’apprendre à apprendre.

 

Les Clionautes :

Nous sommes aux deux tiers de votre triptyque. Savez-vous déjà quelle sera votre troisième approche du modèle français ?

Je  crois que les valeurs du Comité National de la Résistance ont fini de construire notre modèle. J’aimerais travailler sur leur proposition. Une volonté de partage et de solidarité qui a donné par exemple la sécurité sociale. Après le cuisinier au dix-huitième et l’institutrice au dix-neuvième j’aimerais faire le portrait d’un médecin pendant la deuxième guerre mondiale. Et là encore la rencontre de ceux qui, sans avoir tort, ne sont pas de son avis (ceux qui privilégient le combat aux soins). Ceci étant dit j’ai deux ou trois autres idées. L’Histoire offre tellement de leçons.

 

 

Au cinéma le 6 novembre 2024 (avant-première le 1er novembre)