Le jour le plus long, ou l’évidence d’un film culte consacré au débarquement en Normandie.

Les 80 ans de l’année 1944 offrent l’occasion de nombreux hommages. Dans ce cadre le débarquement en Normandie semble pour beaucoup être le phare absolu de cet été où tout sembla enfin basculer vers l’écrasement définitif de l’Allemagne Nazie.

C’est peu de dire que le cinéma a beaucoup fait pour alimenter de nombreux mythes autour de ces événements tragiques. La construction mémorielle des combats de l’été 1944 doit beaucoup à quelques photographies de Capa, mais aussi et surtout à des séquences cinématographiques devenues cultes ; le clocher de Sainte-Mère-Église et son parachutiste, l’assaut de vive force sur Omaha Beach, Pegasus Bridge traversé au son de la cornemuse avec ce qu’il faut de folklore britannique, le clic clac d’un criquet ouvrant les portes de la mort, le pistolet du soldat agonisant incarné par Tom Hanks semblant faire exploser un char allemand.

Dans ce florilège d’images, le film de Darryl F.Zanuck, Ken Annakin, Andrew Marton, Benhard Wicki et Gerd Oswlad a pris une place à part. Longtemps il fut, à l’instar du débarquement en Normandie pour les autres événements majeurs de cet été 1944, la référence ultime. Il faut dire qu’avec les moyens déployés et les quelques 80 acteurs de premier plan mobilisés, il eut été difficile de passer à côté.

Cependant Le jour le plus long, pour réussi qu’il soit, a semblé petit à petit perdre de son aura, de son charme. Le travail de Steven Spielberg avec Il faut sauver le soldat Ryan l’a clairement mis de côté ; la violence brutale de Omaha la Sanglante filmée par le réalisateur de la Liste de Schindler a, il est vrai, de quoi trancher avec le film en noir et blanc un peu propre de 1962, même si ce point devra être nuancé. Les jeux vidéos qui se sont emparés de cette question n’ont pas été en reste et les séquences du débarquement sanglant reprenant littéralement celles du film ont largement achevé de faire oublier le visage déterminé de John Wayne. Le voir apparaître dans un jeu vidéo ne pouvait se concevoir, pas plus qu’aucune autre star du film d’ailleurs.

Redécouvrir Le jour le plus long est donc l’occasion de sonder de façon plus large, en cette année de commémoration, non seulement les films sur le débarquement en Normandie mais, de façon plus globale, les films sur cet été 1944.

De juin à septembre, bien au-delà des évidences assénées, tout ne s’est pas exclusivement joué, loin de là même, sur les plages de Normandie ou dans son bocage meurtrier. Le cinéma, participant à la transmission des mémoires, a abordé sous divers horizons, à diverses époques, les points de bascule de cet été 44, de la Normandie au Pacifique, en passant par la Biélorussie, de Hollywood au cinéma soviétique, en passant par le Japon ou l’Allemagne.

À tout seigneur tout honneur le premier article de ce dossier débute en Normandie avec la superproduction ultime de l’époque, LE film sur LE débarquement : Le jour le plus long, adapté du roman de Cornélius Ryan.

 

Le jour le plus long ou la démesure d’un classique

 

 

Trois heures de film, 23 000 militaires mobilisés, plu de 10 millions de dollars de budget, 2 oscars, Wayne, Mitchum, Connery, Bourvil, Fonda, Burton, Jürgens … les chiffres donnent le vertige. Le casting à lui seul commande de se précipiter dans les salles en cette année 1962 et les années qui vont suivre, jusqu’aux commémorations modestes des 20 ans du débarquement, d’ailleurs boudées par le Général de Gaulle en personne.

Comme l’indique son titre, le film retrace strictement les opérations du D-Day ; le 6 juin passé, la bataille de Normandie va se poursuivre. La page blanche laissée pour la suite sera l’occasion pour Steven Spielberg d’imposer sa pattes trois décennies plus tard. Tournée en noir et blanc, la superproduction passe cependant très bien et la version colorisée n’apporte pas grand-chose. Pour la petite histoire la Fox, qui venait de perdre très gros avec le Cléopâtre de Joseph L. Mankiewicz, du fait d’un budget totalement hors de contrôlehttps://www.allocine.fr/article/fichearticle_gen_carticle=1000007167.html, à l’image de ses deux stars Richard Burton et Liz Taylor, comptait en adaptant le livre de Cornelius Ryan marquer un grand coup commercial. Ce sera le cas, avec par exemple près de 9 millions de spectateurs en France à l’automne 1964, profitant des 20 ans du débarquementVoir http://boxoffice-archives.eklablog.com/bo-hebdo-france-1964-c29264386/47.

De nombreuses séquences sont spectaculaires, qu’il s’agisse de l’assaut par les Rangers de la pointe du Hoc, de la prise de Ouistreham, passage obligé pour voir des troupes françaises en action (le commando Kieffer), des parachutistes sur Sainte-Mère-Église et, bien entendu, des combats sur Omaha Beach. Autant de moments de bravoure, de moments de cinéma. La démesure a cependant ses limites ; assez étrangement il n’y a presque pas d’aviation et la séquence la plus longue sur cette arme offre l’occasion de retrouver l’immense Richard Burton, mais comme pilote abattu, loin de son appareil.

 

La construction d’une mémoire reposant sur des anecdotes et des faits d’armes majeurs

 

C’est ici tout l’ambiguïté du film. Autant de stars, c’est autant de moments à allouer aux acteurs et actrices qui participent à ce projet un peu fou. En découle un sentiment de succession de tableaux qui, mis bout à bout, devraient nous permettre de prendre la mesure de ce D-Day. Qu’en est-il en réalité ?

La peur des soldats est palpable, et c’est heureux, l’approche d’un cinéma de propagande classique aurait pu basculer dans un héroïsme béât. Les quelques échanges avant les assauts ne montrent pas de soldats heureux et inconscients de ce qui les attend. Divers moments à la fois dramatiques et presque drôles restent dans les mémoires ; ici des parachutistes atterrissent dans un poulailler, là le sergent John Steele reste accroché au clocher qui le rendra sourd (dans le film, pas dans la réalité), tandis que ses camarades sont abattus avant même d’avoir pu se battre. Les britanniques prennent un pont, Pegasus Bridge, mais l’on retiendra surtout qu’ils l’ont traversé avec flegme, au son de la cornemuse, sous la mitraille.

 

 

 

Les faits cependant ne se sont pas déroulés ainsi. Ceci pose problème car, de façon globale, la place des Britanniques, mais aussi des Canadiens, n’est pas vraiment mise en valeur à la hauteur des durs combats menés. Ces derniers sont réservés aux troupes US ; assaut choc de la Pointe du Hoc, combats féroces des parachutistes et, bien entendu, prise très difficile de Omaha beach distillent l’idée que ce débarquement c’est avant tout et presque exclusivement celui des fils de l’Oncle Sam.

 

 

Qu’en est-il des Allemands ? Ils sont sobrement présentés ; ils se battent comme des soldats. Les officiers échangent en professionnels de la guerre, non en Nazis inhumains. La surprise de Rommel qui découvre le débarquement en Normandie, est nuancée par celui qui a gagné quelques heures plus tôt son Kriegspiel en choisissant justement la Normandie pour son débarquement.

La recherche a depuis montré que, contrairement à ce qui a été longtemps avancé, l’opération Fortitude, censée intoxiquer les Allemands, n’a que partiellement réussie. Il est établi que les reconnaissances aériennes allemandes ont apporté de nombreux renseignements dès le mois d’avril. Hitler échange début mai avec Von Rundstedt sur le Cotentin comme cible d’un débarquement probable, et le 6 juin, dès 1h15, les unités allemandes sont en alerte maximale pour faire face à un débarquement imminentVoir Nicolas Aubin, Le débarquement, vérités et légendes, Perrin, 2024.

 

Des Allemands presque sympathiques, largement surpris ; la Guerre froide impose assurément ses codes, l’ennemi est à l’Est, et le film doit tout de même insister sur le génie des Alliés pour intoxiquer l’adversaire.

 

Des combats « propres » ? La mémoire occultée des civils

 

 

Bourvil heureux de vivre un bombardement. Hilare en voyant les alliés écraser son sol natal, bientôt libéré. Le jour le plus long laisse totalement de côté les bombardements des villes, les civils tués lors des combats. Le jour J, Caen est ravagée par 162 bombardiers alliés. Saint-Lô, Lisieux, Avranches sont autant de villes visées, partiellement détruites. Près de 7500 civils meurent durant cette campagne qui, militairement parlant, est un échec, n’apportant strictement aucun avantage aux forces débarquant sur les plages.

La chanson officielle du film, joyeuse et entrainante, reprise par Dalida, est à réécouter en ayant ces faits en tête.

 

Un film exploitable avec des élèves en 2024 ?

 

Pour autant le film reste efficace par son approche pédagogique. La dimension logistique est bien mise en avant, les faits sont globalement respectés, au-delà des choix de mettre plus en avant les forces US que celles de leurs alliés. C’est un divertissement qui a été capable d’imprimer un narratif dans les mémoires collectives. L’anecdote est devenue vérité historique, par la force des images et d’une musique iconique. Que les cloches aient sonné jusqu’à rendre un parachutiste sourd ou pas, cela n’a plus d’importance.

 

 

Dans ce sens, tant en tronc commun qu’en HGGSP, pour le thème sur les mémoires, Le jour le plus long peut être utilisé à travers des extraits. La durée, 3H, ne permet en effet point un visionnage en classe au regard des contraintes horaires imposées par les programmes.

La construction du récit, de la mémoire, peut être l’objet de plusieurs angles d’attaque. La place des résistants dans le film (dont le poids militaire lors du D-Day a été quasi nul au-delà du renseignement), le choix de ne pas aborder les pertes civiles, le contexte de la Guerre froide, sont autant de portes d’entrée intéressantes. Bien entendu la mise en perspective avec Il faut sauver le soldat Ryan est tout autant pertinente, mais elle n’est pas la seule.

 

Réalisé en 1979 par Samuel Fuller, The Big Red One (traduit de façon catastrophique en français par Au-delà de la gloire en lieu et place du surnom donné à la 1ère division d’infanterie de l’US Army), traite aussi pour partie du débarquement. Avant le travail de Spielberg, il y a bien eu une autre vision que celle proposée par Le jour le plus long, bien plus dure, très juste, avec un Lee Marvin de haute volée. 18 ans après l’approche grand publique, Samuel Fuller propose un regard bien plus incisif, alliant émotion et humour noir, même si le film a été largement coupé (prévu en 6H, puis 4H, il fait finalement 2H. La version proposée à Cannes en 2005 y gagne 47 minutes et offre une meilleure vision de ce qui était initialement prévu par le réalisateurhttps://www.liberation.fr/culture/2005/06/10/la-grande-guerre-de-fuller_522916/).

 

Dans un autre style le Paris brûle-t-il ? de René Clément offre l’occasion d’une sorte de contre vision française de l’approche hollywoodienne.

 

 

À peine représentées sur les plages de Normandie, les forces françaises libres sont ici en tête de proue d’une vision très gaullienne de la libération, quatre ans après le travail de l’équipe de Darryl F.Zanuck. Le casting incroyable s’impose comme un écho à la production américaine et la copie, très lisse, impose son lot de petites scènes anecdotiques et de grands moments, au service d’une construction mémorielle officielle. Si l’on peut y voir un train de déportés, le film de Clément souffre néanmoins largement de la comparaison avec L’armée des ombres de Jean-Pierre Melville (1969) quand il s’agit d’aborder les aspects les plus sombres de notre histoire.

 

Le jour le plus long peut donc largement être exploité de façon ponctuelle et, à l’occasion, conseillé à des élèves comme une porte d’entrée pour questionner un patrimoine cinématographique au service des mémoires.

 

Exemple d’activité proposée en 2006 par Paulo Moura, pour des élèves de collège ou de lycée (anciens programmes) :

Cliquer pour télécharger la fiche

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Fiche technique

Twentieth Century Fox / 1962 / 2h 58min / Drame, Historique, Guerre

Titre original The longest day

Réalisateur : Ken Annakin, Bernhard Wicki, Andrew Marton, Darryl F. Zanuck, Gerd Oswald

Scénariste : Cornelius Ryan

Avec près de 80 stars …. je vous épargne la liste