Radioactive : pour le moment 2020 ne l’a pas été, mais elle aura été jusqu’au bout une année singulière.

Si la mode est au voyeurisme exacerbé et si la capacité de mes congénères à étaler leurs vies sur les réseaux sociaux me dépasse totalement, à commencer, mais sans exclusive, par le selfie dans ma salle de bain, force est de constater que je dois confesser quelque chose de personnel. En 2020 je n’ai pas été au cinéma. En 2020, pour le moment, je n’ai pas été embarqué par un film au point de sortir de la séquence en transe, un peu comme ce fut le cas pour Mad Max Fury Road (Mad Max, 2021 … je vous laisse avec ça).

Le travail de Marjane Satrapi sur ce biopic de Marie Curie est en ce sens totalement conforme à ce sentiment diffus d’une année qui aurait pu être tellement meilleure. Mais, avec un peu de recul, on redécouvre tout de même quelques moments à savourer et méditer. Après tout, 2020, c’est aussi nos éminents politiques qui découvrent TikTok et Mélenchon, le parangon de la République et des lettres, qui cite Wejdene ! Alors quoi, il y a bien eu des choses sympas en 2020, non ?

Revenons à nos moutons

La vie de Marie Curie est de celle qui se prête sans problème au roman, tant sa vie fut extraordinaire. Marie Curie est de ces noms que l’on connait, sans forcément vraiment mesurer tout ce qu’on lui doit ou à quel point sa vie a lumineusement traversé le début du XXe siècle à la vitesse d’un électron, se frayant un passage dans une société corsetée qui ne demandait qu’à découvrir à quel point elle était fragile. L’été 1914 s’en chargera avec gourmandise.

 

Le temps court trop vite

Marjane Satrapi a fait le choix d’un film centré sur Marie Curie, son caractère éruptif, clairement pas facile à vivre tous les jours, noyau autour duquel gravitent quelques éléments marquants. Quant à la personnalité de la scientifique, chacun pourra trouver un avis mais, me concernant, le film ne m’a pas vraiment permis de ressentir réellement d’empathie pour elle. La faute sans doute à la superbe prestation de Rosamund Pike, opportunément glaciale et figée, et au temps. Car ce film n’en prend pas, de temps. Tout va vite.

Marie meurt, Marie râle, Marie a plus qu’une haute opinion d’elle-même, Marie cherche, Marie trouve, Marie est amoureuse, mais surtout Marie est scientifique, Marie a une fille, puis une autre, Marie veut être reconnue pour elle-même, Marie ne doute pas, ah ben si en fait, elle doute un peu, Marie pleure, Marie fait passer un speedating au nouveau petit copain de sa fille, Marie s’éclate au lit et assume, mais en fait Marie regrette, Marie découvre la guerre, Marie fini de mourir.

Dis comme ça, évidement, ce n’est pas très vendeur et alimente les critiques d’une copie sans âme, clinique et inerte, un comble pour une copie censée être … radioactive. Pourtant, dès lors que l’on s’éloigne du noyau, tout devient un peu plus lumineux.

 

Expliquer, séduire, rechercher l’esthétique, vous avez 1h50

Radioactive repose sur des choix esthétiques et, en toute sincérité, certaines séquences sont très belles, à l’image du rêve de la scientifique. Ici c’est une affaire de goût mais on ne peut occulter une certaine recherche graphique. Le contexte corseté de la Belle époque est quant à lui plutôt bien rendu, le féminisme latent touche au but, et l’on découvre que les femmes de caractère pouvaient finalement parvenir à s’imposer au prix d’une pugnacité de tous les instants en plus du nécessaire talent.

Les codes moraux, l’intégration des étrangers, le travail dantesque de scientifiques au prix de leur vie, les dérives mercantiles autour des découvertes du couple (ah, ces fameuses cigarettes radioactives …), tout ceci apparaît de façon fugace, sans doute trop, pour un film calibré pour nos spectateurs moyens (1h50 à peine), de plus en plus enclins à regarder des séries de 45 minutes en consultant leur Smartphone en même temps.

Un biopic plus poussé de 3h30 aurait-il seulement été vu ? Pouvait-on se passer du syndrome de la radioactivité pour les Nuls ? Sans nul doute nombreuses sont les maladresses mais en creusant un peu …

 

Spoil : je vais faire un clin d’oeil à Robert Oppenheimer

Trois éléments sortent à mon sens du lot. Tout d’abord une quête : celle de l’argent et des moyens pour pouvoir travailler. On l’oubli trop souvent mais la recherche est affaire de moyens que l’on dépense sans avoir la certitude de trouver. Ceci est tout à fait percutant et le film fait mouche.

Le scenario de Jack Thorne, outre les libertés prises avec les faits, a également ouvert une porte infernale que certaines critiques ont cru venir directement du Bhagavad Gita, au point de faire de Radioactive un accident industriel. La mise en perspective des découvertes du couple Curie et leurs conséquences historiques ; en voilà une drôle d’idée, d’autant qu’entre Hiroshima et Marie Curie, il y a tout de même bien moins qu’une ligne directe ! On peut y voir une rupture de rythme dans l’histoire et une volonté trop didactique pour que le film soit justement un film et non un cours, à la limite du documentaire fiction d’Arte.

La radiothérapie, Hiroshima, Tchernobyl en passant par les essais nucléaires dans le Nevada (mais sans Indiana) … autant de particules qui nous sont imposées sans que, à mon niveau, cela soit choquant. C’est un parti pris et, ma foi, j’ai plus été agacé par le tableau d’une Hiroshima quasi jardin d’Eden biblique juste avant l’explosion, que par la volonté de montrer que la science peut accoucher du meilleur comme du pire. Et le discours de Pierre Curie fonctionne avec l’Enola Gay.

 

Spoil : je vais citer Luc Besson

J’avais cité trois éléments et le lecteur attentif (et la lectrice aussi bien entendu, vu l’époque il vaut mieux le préciser, sinon je serais accusé des pires maux et condamné à subir la colère de Furies) fera remarquer qu’il en manque une. Couple, que je cite pour la troisième fois, constitue le dernier élément, un peu à la façon du « Cinquième » de Besson et de sa séquence finale. Car Radioactive met, de façon à mon goût plutôt réussie, en exergue la figure de Pierre Curie sans qui Marie ne serait pas. S’il lui doit énormément, elle aussi, et ce cheminement vers la révélation finale est ce qui emporte mon adhésion. Jamais une découverte ne semble avoir autant été due à la synergie de deux êtres passionnés par leurs recherches et, surtout, eux. Une fusion des âmes, avec tous les risques induits, mais aussi tous les espoirs.

Radioactive repose sur une approche classique pourra-ton reprocher, certes, mais après tout ne vaut-il mieux pas un peu de classicisme plutôt qu’une volonté de faire djeunes à tous prix juste pour coller aux humeurs du moment ?

Utilisation pédagogique potentielle en cours de HGGSP ici

Fiche technique du film ici

Critique disponible aussi sur senscritique.com ici

Pour aller plus loin, je vous conseille la lecture du dossier du site Zéro de conduite et notamment cette interview de l’historienne Natalie Pigeard, responsable des ressources historiques du Musée Curie à Paris.