Introduction
Comme beaucoup de films de guerre, le film Indigènes du réalisateur Rachid Bouchareb a pour cadre la deuxième guerre mondiale. Il montre comment s’est déroulée la libération de l’Europe de 1943 à 1945.
Toutefois, a contrario des autres productions, l’originalité du projet tient dans le fait qu’il s’inscrit profondément dans le débat actuel sur les mémoires oubliées en mettant en scène quatre « indigènes » : Saïd, Abedelkader, Messaoud et Yassir qui se sont engagés dans l’armée française en 1943 comme 130 000 autres pour libérer la « mère patrie » de l’ennemi nazi. Distinguer particulièrement ces silhouettes de l’Histoire, héros oubliés qui donnent enfin à la mémoire collective une forme figurée, tel le pari difficile qu’a relevé le réalisateur du long métrage. En effet, en donnant un visage à ces soldats anonymes qui ont participé à la libération de l’Europe et en construisant un récit où s’incarnent, des personnages, qui n’ont pas été toujours de l’ordre du visible dans les pages des manuels d’histoire, Rachid Bouchareb, se confronte au problème crucial de leur occultation dans la mémoire de la guerre. Ainsi, pour comprendre les enjeux de la mémoire ou plutôt des mémoires autour de cette fiction historique, nous avons choisi quelques angles d’approches pour fonder notre analyse à la fois dans une perspective cinématographique mais aussi et surtout historique.
De ce fait, la sortie de ce film dans les salles est alors l’occasion pour le professeur d’Histoire et d’éducation civique de mettre en lumière dans les classes un certain nombre d’épisodes et d’acteurs du passé jusqu’à présent souvent restés dans l’ombre. Ainsi, selon Daniel Mendelzon Indigènes : les oubliés de l’Histoire
Pour la réhabilitation d’une mémoire « figurée » dans les classes, il semblerait qu’ « Indigènes soit destiné à devenir un classique de l’éducation nationale. De nombreux professeurs voudront l’utiliser ». Ce film s’adresse donc particulièrement aux classes de troisième au collège et de première qui doivent étudier la seconde guerre mondiale. Par ailleurs, à travers le thème colonisation/décolonisation, ce film peut être abordé à travers le traitement inégalitaire qu’ont subi ces tirailleurs ce qui explique une partie des revendication nationaliste de l’après guerre et la construction d’une mémoire aseptisée (première et terminale). Par ailleurs, certaines séquences peuvent aussi être utile pour illustrer les thèmes de l’injustice et de l’inégalité en éducation civique.
Dans cet article, trois pistes d’exploitation seront privilégiés (il y en a d’autres bien sûr pour cela voir l’excellent dossier d’accompagnement pédagogique de Valérie Marcon Indigènes, un film de Rachid Bouchareb, dossier d’accompagnement pédagogique réalisé par Valérie Marcon proposé par le site Zerodeconduite.net et l’Agence Cinéma Education avec le soutien de l’Association des Professeurs d’Histoire Géographie.). La première d’ordre historique s’emploie à redonner la parole aux « silhouettes de l’Histoire » et à faire la lumière sur le rôle des Indigènes dans l’armée français tout en montrant le mépris dans lequel ils ont été tenus. La seconde est d’ordre esthétique et s’inscrit dans l’histoire du genre film de guerre. Enfin, la dernière propose des activités pédagogiques autour de ces réflexions.
Indigènes : redonner la parole aux « silhouettes » de l’Histoire de la libération de l’Europe (1943-1945).
Dans les classes, le rôle des soldats issus de l’empire colonial dans les guerres mondiales reste peu évoqué. La décolonisationLors de l’accession à l’indépendance, il y a une double volonté d’oubli chez le colonisateur et chez le colonisé. Le premier veut faire silence sur les exactions de l’ordre colonial et tenir ce pan d’histoire en lisière de l’histoire nationale. De l’autre côté de la Méditerranée pour des raisons différentes, l’oubli est également de rigueur. Les Etats indépendants construisent une histoire nouvelle. On fonde l’idée de nation sur le mouvement de révolte, d’indépendance : dans ce contexte, la participation à l’armée coloniale n’est pas de mise. a en effet en partie plongé dans l’oubli ces soldats de l’empire colonial français pourtant présents en première ligne sur les champs des batailles des deux guerres mondiales.
De ce fait, dans les manuels d’histoire comme dans les mentalités collectives, ils ne figurent qu’à l’état de silhouettes. Un tel film permet alors de rétablir l’importance de la participation des troupes africaines dans la libération de la France pendant la seconde guerre mondiale et de fait devient un outil intéressant pour le pédagogue à condition de préparer activement les élèves à la projection.
« C’est nous les Africains… »
C’est nous les Africains
Qui revenons de loin
Nous venons des colonies
Pour sauver la patrie
Nous avons tout quitté
Parents, gourbis, foyers
Et nous avons au cœur
Une invincible ardeur
Car nous voulons porter haut et fier
Le beau drapeau de notre France entière
Et si quelqu’un venait à y toucher
Nous serions là pour mourir à ses pieds
Battez tambours, à nos amours
Pour le pays, pour la patrie
Mourir au loin
C’est nous les Africains
Hymne des bataillons de l’Armée d’Afrique
En reprenant cet l’extrait de l’hymne des bataillons de l’armée française d’Afrique lors de la remise des récompenses au dernier festival de Cannes, Djamel Debbouze, Sami Nacery, Rochdy Zem, Sami Bouajila et Bernard Blancan ont voulu dédié leur prix d’interprétation masculine aux « Indigènes » : ces africains qui se sont battus pour la libération de la France de 1943 à 1945, posant du même coup la question de leur existence dans la mémoire collective.
Qui sont-ils alors, ces Africains qui se sont battus pour la France et dont on parle tant aujourd’hui ?
Dès le générique de début du film, Rachid Bouchareb nous éclaire sur l’identité de ces hommes, héros de son histoire, en juxtaposant en mosaïque des images d’archives en noir et blanc de scènes de vie du Maghreb sur fond de musique arabe et en choisissant deux langues le français et l’arabe pour exposer le titre du long métrage au spectateur. Ainsi, c’est une page occultée de l’histoire de France qu’entend retracer Indigènes. En effet, 130 000 tirailleurs maghrébins et africains que la hiérarchie coloniale appela « indigènes », s’engagèrent en 1943 et participèrent de manière importante aux combats pour la libération de l’Europe. Or, jusqu’à présent, ces hommes s’ils ont participé activement à la libération de la France, n’ont été relégués qu’à « la lisière de l’Histoire » pour reprendre l’expression de Pascal Blanchard BLANCHARD Pascal est chercheur associé au CNRS et président de l’Association pour la connaissance de l’histoire de l’Afrique contemporaine.. En effet, au cinéma et dans les mentalités collectives, ce sont essentiellement les nord américains et les britanniques aidés des résistants qui ont libéré l’Europe de l’emprise nazie. C’est pourquoi, le film de Rachid Bouchareb se veut « militant » en redonnant la place que méritent ces hommes dans l’Histoire de la seconde guerre mondiale.
Pour le pédagogue, c’est l’occasion d’utiliser cet outil pour mettre en lumière dans les classes la part prépondérante de ces soldats des colonies dans les combats de libération. Toutefois, il souhaitable d’exposer ce phénomène dans les rapports qu’entretient la Métropole avec ses colonies. En effet, c’est dès la première guerre mondiale que le gouvernement français face à un déficit démographique a recourt aux habitants de l’Empire colonial, celle des « trois Afriques, provinces de la plus grande France, celle qui va de la mer du Nord aux bouches du Congo », comme l’écrit le colonel Mangin en 1910.
L’historien et le film : du temps d’hier au temps d’aujourd’hui
Vers la fin du film, une séquence est intéressante pour l’historien. Cette scène montre un opérateur des armées en train de filmer et de photographier des bidasses et des alsaciennes pendant qu’un des personnages principaux, Abdelkader, passe devant lui. Les « Indigènes » ne sont pas sur la photo de famille !
A travers cette scène qui peut paraître anodine, le réalisateur a réussi à faire passer un message très explicite : si les indigènes ne sont pas sur la photo de famille, c’est qu’ils ne font pas partie de notre histoire commune. Dès le début, ils sont hors du champ de l’histoire et… en dehors du champ de la mémoire.
A ce moment là, Rachid Bouchareb passe du champ très classique des frustrations de ces soldats dans l’armée française (l’histoire des tomates ou des permissions…) qui sont un premier niveau, au champ de la mémoire. S’ils ne sont pas sur les photos de la libération, s’ils ne défilent pas sur les Champs Elysée, s’ils ne sont pas glorifiés en tant que tels ou uniquement dans leur particularisme colonial, ils ne font pas partie du Panthéon mémorial, de l’Histoire nationale française. Cela explique en partie cette absence de mémoire depuis 60 ans.
A partir de cette simple séquence : « juste une tête qui se tourne, le personnage regarde la scène, ne dit rien, il n’y est pas, l’opérateur filment les jeunes femmes et les soldats rient, ce ne sont pourtant pas eux qui ont « libéré » le village tout est dit, non pas en terme historique mais dès cet instant, en terme mémoriel » comme nous l’explique Pascal Blanchard lors d’une interview .
Cette séquence répond comme en écho à une scène de la fin du film où l’on voit Abdelkader, devenu vieux dans un tramway à Strasbourg. A travers la vitre du tramway, il observe des populations issue de l’immigration présentes dans la ville. C’est un passage à soixante ans d’écart, entre deux temps : hier, ils venaient pour libérer la France, aujourd’hui, ils sont en France. On passe du temps d’hier au temps d’aujourd’hui, et çà crée un lien du champ colonial à l’immigration, de l’indigène à l’immigré, du temps colonial au temps post-colonial, cela crée une sorte de lien dans le regard par une image très furtive : juste une femme à un arrêt de tramway, que le vieil homme regarde avant de rejoindre sa petite chambre, son destin d’aujourd’hui, destin oublié.
Parce qu’il fait le lien entre la mémoire oubliée et la présence sur notre territoire métropolitain, de ces populations issues des anciennes colonies, le film de Rachid Bouchareb a le mérite de poser le débat publiquement en réponse à la loi du 25 février 2005 La loi du 25 février 2005 portait sur les aspects positifs de la colonisation, retirée 11 mois plus tard à la demande de la présidence de la Répuplique.. Il s’inscrit donc dans un contexte médiatique particulier qui fait de lui un instrument militant bienvenue et laisse présager de la force du cinéma dans la manipulation de l’opinion publique.
Mais comble d’ironie, ces cinéastes qui ont pour mission de restituer les vraies images de leur histoire ont recours, comme les historiens, aux sources écrites datant de l’époque coloniale ainsi qu’à la tradition orale, sans avoir forcément la formation critique ni la disponibilité nécessaire. Pour cela, l’utilisation critique de documents, sources d’histoire peut alors permettre aux conseillers historiens de réfléchir avec l’équipe du film sur une recontextualisation maîtrisée des problèmes des indigènes. Toutefois, dans le contexte de sa fabrication et de sa médiatisation, le film devient par delà son aspect documenté, un agent de l’Histoire immédiate ce qui échappe totalement à ses artisans.
Une mise en perspective cinématographique au service d’une mémoire occultée
Le projet de Rachid Bouchareb semble original mais le rôle des soldats africains dans les tourments des guerres mondiales n’est pourtant pas nouveau au cinéma. En effet, le cinéma français d’une part comme nous le montre Pascal Blanchard mais aussi et surtout et on a tendance a l’oublié le cinéma africain d’autre part ont aussi traité cette question parfois avec médiocrité mais souvent avec génie !
Seulement, la diffusion de ces films est restée trop confidentielle. Ainsi, grâce aux références proposées notamment par la médiathèque des trois mondes, nous pouvons relativiser le point de vue du réalisateur d’Indigènes et offrir une vision critique et historique contextualisée dans l’histoire des cinémas politiques et anticolonialistes.
C’est bien avant 1943, que les indigènes se seraient battus en Europe ! Ainsi, Eric Deroo nous le montre bien lorsqu’il surprend dans un café des Ardennes une conversation : en mai 1940, des tirailleurs sénégalais auraient combattu dans les épaisses forêts voisines. Ils auraient résisté près d’un mois alors que le front se disloquait. Partant d’une évocation de ces combats, il réalise un documentaire intitulé L’histoire oubliée, soldats noirs (2002) et nous emmène à la recherche des rescapés, en Afrique, dans leurs villes et leurs villages.
De même, le cinéma d’Afrique nous permet aussi d’évoquer le rôle des africains dans la tourmente de la première guerre mondiale. A partir d’un témoignage émouvant, celui de Jean-Pierre Koita qui évoque la mémoire de son père Demba Koita, venu du Sénégal, à l’âge de 16 ans, pour participer aux quatre années de la grande Guerre, Florida Sadki met en scène l’histoire des tirailleurs dits sénégalais auprès des Poilus dans son documentaire intitulé Dans les tranchées, l’Afrique (2004).
Par ailleurs, on peut regretter que le film de Rachid Bouchareb ne montre qu’un des aspects de l’engagement de ces soldats, c’est pourquoi il peut être utile de projeter des extraits du film de Sembène Ousmane Emitaï (1971) pour relativiser avec nos élèves l’engagement « volontaire » de ces africains. En 1942, pendant la seconde guerre mondiale, dans un village de Casamance au Sénégal, les diolas refusent l’intervention extérieure. Une partie des hommes du village a été envoyée, de force, sur le front franco-allemand. Le colonel Armand et son armée coloniale doivent réquisitionner du riz pour l’envoyer aux troupes. En France, De Gaulle succède à Pétain, mais pour l’Afrique rien n’a changé. Responsables des récoltes, les femmes décident cette fois de résister et de cacher le riz.
La nouveauté du film de Bouchareb est la mise en scène sur le territoire européen de soldats maghrébins qui ont libéré l’Europe. Ces héros maghrébins, vitrine identitaire pour les populations issues de l’immigration doivent lutter dans leur interprétation contre tout stéréotypes et lieux communs pour que leur reconnaissance ne se fasse pas au détriment de l’autre. Ainsi, dans le film, la critique du racisme est celle mis en place par les institutions dans des contextes particuliers (voir dossier pédagogique) et non celui des hommes. Il est important de travailler sur ce point avec nos élèves pour éviter tout amalgame.
C’est alors dans ces conditions que l’objectif avoué du réalisateur : lutter contre les injustices et le racisme, trouvera toute sa dimension dans les classes.
A noter, aussi que là encore d’autres cinéastes ont précédé Rachid Bouchareb dans la mise en scène de l’injustice dont ces soldats sont victimes face à la démobilisation et face aux problèmes de la « cristallisation » des fonds de pension.
De ce fait, l’exploitation de Camp de Thiaroye (1988) de Sembène Ousmane peut-être bienvenue en complément du film de Rachid Bouchareb pour exposer ce problème. En effet, le réalisateur sénégalais évoque dans son film un épisode sanglant peu glorieux de l’histoire. Au Sénégal en 1944, un bataillon de tirailleurs arrive au camp de transit de Thiaroye. Ces hommes ont été enrôlés de force, certains depuis 1940, dans l’armée coloniale française pour se battre en France contre les Allemands. Ils attendent parqués dans le camp, leur démobilisation et leur pécule. La fierté fait bientôt place à la désillusion devant les promesses non tenues et le racisme de la hiérarchie militaire, les tirailleurs sénégalais se mutinent. On dénombrera vingt-cinq morts et de nombreux blessés, d’autres seront emprisonnés.
Dans la même perspective, Tasuma, le feu du burkinabais Kollo Daniel Sanou évoque les douloureuses situations imposées par les atermoiements de l’ancienne puissance coloniale à régler le problème des pensions. En effet, après de longues années d’attente, un ancien tirailleur qui a combattu dans les rangs de l’armée française durant les guerres d’Indochine et d’Algérie est convaincu qu’il va toucher sa pension. Pressé de rendre service aux femmes du village, il s’endette auprès d’un commerçant libanais et achète un moulin à mil. Mais rien n’arrive : hors de lui, armé d’un fusil, il prend le préfet en otage et lui dicte une lettre au Général de Gaulle.
Autour du film : de la mise en place d’une épopée intimiste à la tactique de la « fiction de gauche ».
Recontextualiser ce film dans la genèse de sa fabrication et dans l’histoire du cinéma et notamment dans le genre film de guerre permet non seulement de mettre à jour la technique cinématographique employée par Rachid Bouchareb mais aussi et surtout de travailler sur l’esthétique du cinéma avec nos élèves.
La mise en place d’une épopée intimiste
La force de ce film tient principalement dans l’aventure autour du film. En effet, l’originalité d’Indigènes réside dans son côté intimiste pour plusieurs raisons.
Dans la genèse du projet, le réalisateur nous explique qu’il a « toujours baigné dans l’histoire de l’immigration. C’est l’histoire de ma famille. Un de mes oncles a fait la guerre d’Indochine, nous avons vécu la guerre d’Algérie, et j’ai même un arrière grand-père qui a fait 14-18. J’ai toujours été au carrefour de la colonisation, de la décolonisation, de l’immigration, de tous ces hommes qui ont fait l’histoire de France ».
En outre, lors de ses recherches, le réalisateur a aussi été fortement impressionné en écoutant les témoignages et le discours des survivants : « tous les témoignages et les discours des survivants m’ont appris une chose qui m’a beaucoup impressionné. Cet amour et cet attachement pour la France restent incroyablement plus forts que tout autre sentiment. L’histoire de ces hommes et de leur relation à la France ne commence pas à partir des années soixante. Bien avant, ils sont venus, ils ont libéré la France, ils ont été des héros. Ce n’était pas seulement des « mecs qui balayent les rues » ! Ils étaient des héros aimés, accueillis à bras ouverts !
Dans un premier temps, l’engouement pour un tel sujet chez Rachid Bouchareb prend donc racine dans une démarche personnelle.
Dans un second temps, lors du tournage, la force intimiste qui se dégage de ce film vient du fait que parmi ces soldats morts au champ d’honneur, on retrouve, sur le site Internet du ministère de la défense, les noms de Debbouze, Bouajila, Zem et Nacéri. C’est dire l’investissement des quatre acteurs principaux dans ce projet qui, au-delà du défi artistique, rendent hommage à leurs ancêtres.
L’influence du mythe de la guerre au cinéma dans la construction d’un film épique
Rachid Bouchareb est influencé par des images dans la construction de son film. En effet, le XXième siècle fut le siècle de tous les conflits c’est pourquoi la guerre est un des thèmes les plus fréquemment traitée par le septième art. Il est logique que le réalisateur se soit inspiré de cette veine sur les films de guerre.
Indigènes s’inscrit donc dans le la longue liste des films de guerre. Deux références viennent spontanément à l’esprit : Les sentiers de la gloire de Stanley Kubrick et Il faut sauver le soldat Ryan de Steven Spielberg.
Bien sûr il y en a sûrement d’autres mais ces deux longs métrages peuvent faire l’objet d’un travail en cours d’histoire puisque la première guerre mondiale (Kubrick) et la seconde sont au programme du collège et du lycée. Deux visions sur la libération de l’Europe peuvent alors être confrontée celle du côté américain (images du débarquement de Normandie de l’ordre de l’histoire connue ) et celle du côté des indigènes (images de la libération du sud et de l’est de la France de l’ordre de l’histoire oubliée).
Ainsi, la séquence de combat en Italie est un morceau de bravoure que mènent les tirailleurs contre les allemands à l’attaque d’un piton rocheux. Rachid Bouchareb s’y glisse à l’ombre d’un Kubrick des Sentiers de la gloire et filme les assauts infructueux et meurtriers lancés sur Monte Cassino semblables à ceux de la charge menée par Kirt Douglas contre la place forte allemande dans le contexte de la guerre de 14-18.
Cette scène de combat n’est pas par ailleurs le seul clin d’œil à Kubrick, le rôle de la chanson et les techniques de cadrage (gros plan sur les visages) n’est pas sans rappeler la magnifique scène finale des Sentiers de la gloire où une jeune allemande (qui n’est autre que la femme du réalisateur) chante devant des soldats français peu à peu attendris.
Dans la séquence de la défense du village alsacien, Rachid Bouchareb en clin d’œil à Spielberg mènent les tirailleurs à lutter à la vie à la mort contre un bataillon allemand, ce qui l’amène à enchaîner sur une séquence symbolique, dont le cinéaste américain est friand : la visite d’Abdelkader, seul survivant, soixante ans plus tard, au cimetière militaire. Mais contrairement à Spielberg, Bouchareb renverse le pathos en suivant le vieil ancien combattant chez lui… dans un foyer Sonacotra.
Techniquement dans cet épilogue, le réalisateur s’inspire de Spielberg et de Kubrick à la fois en alternant des plans des tombes portant le nom des personnages que nous avons côtoyés pendant presque deux heures de film, et un plan d’Abdelkader, le seul d’entre eux à avoir survécu, dont le visage s’inonde de larmes. Cette alternance de plans, dont le principe est connu des cinéastes comme l’effet Koulechov permet de renforcer l’émotion qui peut se lire sur le visage de l’acteur en organisant un lien logique entre la cause de l’émotion (les tombes) et l’effet (les larmes d’Abdelkader). On atteint donc à ce moment, qui précède de peu la fin du film, le point culminant de l’émotion mélodramatique mais cette fois le drapeau américain est remplacer par le drapeau tricolore (avec ici toute la charge symbolique qu’il représente pour les indigènes)…
Au final, noir sur l’écran : un texte rappelle le scandale de la cristallisation des pensions… le débat est relancé…
La tactique de la « fiction de gauche »
Indigènes est un film épique qui cherche sa place dans l’histoire du cinéma tout en répondant à une tactique précise.
En effet, ce film s’intègre dans le refus de l’aventure coloniale exotique. Le réalisateur veut sortir du « western colonial », films qui laissaient de côté la réalité au profit de l’histoire d’individus en quête de rédemption ou d’oubli d’un amour impossible. Si la production abondante du cinéma colonial tournait le dos à la réalité, ce n’est pas la démarche du réalisateur d’Indigènes.
Celui ici a voulu mettre en scène simplement l’histoire de quatre camarades au service de la grande Histoire. De nouveaux héros sont crées. Pourtant, il est souhaitable d’être prudent car les données sont complexes et difficiles à mettre en scène. Le réalisateur doit opérer à des choix ce qui fait du film une épopée à la fois épique mais aussi intimiste et personnelle. Indigènes comme tout film de fiction d’ailleurs est une interprétation.
De ce fait, ce film semble plutôt s’inscrire dans la tradition des « fiction de gauche » selon l’expression de Jean-Paul Huchon. En effet, selon les critiques de cinéma des années 1970, il s’agissait de désigner de manière un peu ironique et péjorative : « des films abordant des sujets politiques, mais dont les caractéristiques sont conformes aux usages du cinéma commercial de grande consommation. Ce sont des films qui reposent sur le divertissement, la distraction du public, autour d’une intrigue centrée par des personnages souvent interprétés par des vedettes, qui ménage des moments de suspense. La seule « différence » avec le reste du cinéma de grande consommation réside dans le fait que les enjeux qui président au suspense sont politiques. »
Il n’y a bien sûr aucun « mal » à inscrire une question politique dans un objet commercial de grande consommation, bien au contraire ! Frapper l’imaginaire, mettre en avant les émotions tels sont les objectifs du réalisateur et çà semble marcher puisque le film rencontre un succès critique et public sans précédent !
En outre pour le puriste, et en contre point au long métrage Indigènes, le cinéphile pourra se pencher sur L’ami y’a bon, film d’animation du même réalisateur. Ce film d’animation s’insère dans une démarche identique à celle d’Indigènes: réhabiliter l’histoire de combattants oubliés. Pourtant, par sa construction même, son support inédit, et sa démarche exigeante artistiquement, ce petit bijou d’animation est une œuvre grandiose et le cinéaste se sent transformé par le sujet politique qu’il veut porter : on peut alors parler « d’avant-garde militante ».
Activités pour la classe au service de la mémoire des Indigènes
Il est extrêmement compliquer d’aborder ces questions de mémoire en pédagogie scolaire, or le film Indigène par son approche originale est une aubaine pour l’enseignant. Pourtant, il est souhaitable de ne jamais perdre de vue qu’il s’agit d’une interprétation. Le rôle de l’enseignant est alors simplement de guider les élèves pour lui faire redécouvrir ou plutôt découvrir cette histoire et d’accompagner avec toute la rigueur critique qui est celle de l’enseignement, le travail à faire en classe.
Portraits d’Indigènes
L’étude des personnages du film nous montre que l’histoire collective se construit dans l’addition d’une multitude de destins individuels originaux ce qui rend la rend d’autant plus complexe à comprendre.
|personnages|Les raisons de l’engagement|Leur évolution|Leur rapport avec la métropole|
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– Saïd, gardien de chèvre est déterminé à « laver le drapeau français » avec son sang : voltigeur effaré par la violence. Personnage introverti et fragile, il devient complice d’un sergent pied-noir et, après avoir été charrié par ses camarades ou fait le fanfaron, finit en héros.
– Yassir est un goumier, un mercenaire qui s’est enrôlé pour gagner de l’argent ( il veut payer un beau mariage à, son frère). Il fait aussi du petit commerce en détroussant les cadavres. Très violent avec ses ennemis, il est très affectif et protecteur avec ses proches, notamment son frère, qu’il perd au combat.
– Messaoud est habité par un idéal : s’installer en France ; tireur d’élite, il tombe amoureux d’une Marseillaise avec laquelle il ne parvient pas à garder le contact, la censure militaire détournant son courrier.
– Abdelkader est le seul qui sache lire et écrire ; obsédé par la promotion et la reconnaissance sociales autant que par l’injustice, il incarne le contestataire, reflet d’un Ben Bella qui, déçu par le peu de reconnaissance de la métropole à l’égard de ses chairs à canon durant la seconde guerre mondiale, devint nationaliste.
Des soldats au combat : une comparaison avec Il faut sauver le soldat Ryan.
Pistes à suivre pour une comparaison :
– Objectif de la bataille
– Avant la bataille
– Après la bataille
– Comment est filmée la bataille (cadrages, plans)
– Attitude des tirailleurs ou des soldats américains
– Comment l’ennemi est-il montré ?
– Rôle du son et de la musique
D’hier à aujourd’hui : examen de conscience pour une réflexion argumentée
En étudiant la séquence du film : la « photo de famille », montrer la place des Indigènes dans la construction d’une mémoire de l’Histoire de France.
Conclusion
Réhabiliter les figures oubliées de l’histoire de France, tel est la gageure réussie du film de Rachid Bouchareb. En effet, grâce à son succès il a permis de faire avancer les choses et comme le dit alors Jean-Luc Douin dans son article paru au Monde le 27 mai 2006 : « on aurait mauvaise grâce à lui reprocher ses arrières pensées politiques. Indigènes n’entend pas seulement inviter la France à reconnaître le mérite de ces hommes considérés comme des sous patriotes, ni rappeler qu’au début des années 1960 leurs retraites et pensions d’invalidité furent gelées. Il induit un examen de conscience sur la manière dont, aujourd’hui, notre pays regarde et traite ces citoyens beurs blancs rouges ». Dans cette perspective, Indigènes semble donc faire un pas en avant vers la fin de la « fracture coloniale »…