L’espionnage au cinéma, un objet de Pop culture. Depuis plusieurs années j’explore dans un cadre scolaire et de recherches personnelles les arcanes de la Pop Culture. J’ai eu l’occasion à diverses reprises de définir, au sein des Clionautes, tout l’intérêt de cette démarcheClio-Geek, utiliser la pop culture en classe ?.
Parmi les nombreux supports exploitables le cinéma, les séries télévisées et les jeux vidéo figurent en bonne place. Ils proposent des approches variées et complémentaires, nourrissant l’approche transmédiatique chère à Jason Dittmer.
Fort logiquement mes activités au sein de Clio-geek et de Clio-ciné sont l’occasion de proposer des analyses croisées d’un même thème, offrant la perspective de découvrir deux facettes d’une même réflexion autour des représentations, par la Pop culture, d’objets géopolitiques, historiques et politiques.
Comme enseignant en HGGSP, la spécialité de Première et de Terminale qui pourrait se résumer, à peu de choses près, à de la géopolitique au sens le plus large du terme, j’essaie d’initier mes élèves à l’analyse de ces supports, m’appuyant sur des œuvres qu’ils ne connaissent pas nécessairement. C’est donc autant un effort d’analyse qui est proposé, que de sensibilisation aux diverses richesses culturelles qu’il faut avoir la curiosité de découvrir.
Une méthode limpide qui permet d’enrichir les approches pédagogiques
L’année de Terminale offre l’occasion de travaille la question de la connaissance, comme objet géopolitique, et le programme nous invite à creuser la question de l’espionnage au détour d’un jalon intitulé « Le renseignement au service des États : les services secrets soviétiques et américains durant la guerre froide ».
L’occasion était donc trop belle pour ne pas la saisir et je vous propose donc, au-delà des attentes de lycéens, de questionner la façon dont la Pop Culture s’est emparé de la question de l’espionnage depuis la guerre froide. Bien entendu je ne prétendrai pas à une quelconque exhaustivité. De façon tout aussi limpide mes choix seront guidés par mes goûts, et cette analyse ne sera donc qu’une petite goutte d’eau dans le vaste et occulte océan où chassent les espions. J’espère néanmoins qu’il sera possible de trouver ici quelques pistes qui viendront nourrir vos propres réflexions.
Comme l’ont brillamment démontré Loïc Artiaga et Mathieu Letourneux dans Aux origines de la pop cultureVoir le compte rendu sur la Cliothèque ici le monde de l’espionnage a nourri nombre de fantasmes au sein des lecteurs de roman de gare comme des fans de OSS 117 ou de James Bond. Si ces représentations s’appuient parfois sur des éléments tout à fait réels, il n’en demeure pas moins que ces œuvres, faites pour distraire, ont contribué à construire des codes qui peuvent faire sourire les professionnels.
Mais, bien plus que la simple question du réalisme des aventures d’un James Bond, c’est avant tout la question du contexte de création et de son impact sur la construction des œuvres qui va ici nous intéresser. Ainsi le héros de Ian Flemming, le 007 de 1963 n’a finalement que peu de liens avec celui qui attire les foules au cinéma à l’approche des années 2020. Deux contextes, deux visages d’un même 007.
Pour en rester au cinéma, la production est potentiellement énorme. Il faut cependant se garder d’un enthousiasme béat et compter que les récepteurs soient capables de naviguer aisément d’une œuvre à l’autre. Si je prends appuie sur mes élèves, ils sont pour l’essentiel très peu versés dans la saga James Bond. Pour ce jeune public les films sortis avant 2000 sont très vieux et rares sont ceux qui ont vu Sean Connery faire les yeux doux à une belle espionne soviétique. De la même façon le contexte de la guerre froide reste finalement très vaporeux et l’atmosphère qui pourra sembler évidente pour leurs parents – et encore – leur sera tout à fait étrangère.
Ainsi, plutôt que de me lancer dans un tableau le plus complet possible, j’ai choisi de me concentrer sur quelques cas emblématiques d’un moment, d’une émotion, d’une crise. Puissent ces bulles temporelles donner l’envie d’en découvrir d’autres.
Selon la logique transmédiatique, j’ai opté pour trois moments. Sur Clio-ciné, deux premières parties seront consacrées au cinéma ainsi qu’aux séries télévisées. Chacune de ces parties seront divisées à leur tour en épisodes, afin de ne pas rendre la lecture sur écran trop fastidieuse.
Le dernier numéro sera disponible sur Clio-geek, car consacré aux jeux vidéos. Dans tous les cas des références littéraires pourront être abordées, afin de parfaire le tableau. L’importance accordée au contexte de création imposera une approche classiquement chronologique. Les œuvres disponibles ayant longtemps été occidentales, la variété culturelle pourrait être angle faible mais, qui sait, des surprises plus exotiques pourraient venir briser la routine.
La guerre froide et la figure essentielle de l’espion
=> Méthode avec des élèves : remettre une œuvre dans son contexte.
Il importe pour commencer de préciser quelques points importants pour nourrir la réflexion. Tout d’abord, les œuvres accessibles sont pour l’essentiel, en France, occidentales. La guerre froide est donc ici perçue, que ce soit sur le petit ou sur le grand écran, à travers le regard des États-Unis et de leurs alliés.
Tout au long de ce conflit la production cinématographique américaine a été particulièrement liée, c’est d’une certaine façon encore le cas aujourd’hui, à une volonté de nourrir une vision stratégique du monde, conceptuelle, idéologique, autour d’un extérieur perçu comme une menace, comme une frontière à atteindre, dépasser ou défendre. Le cinéma hollywoodien a, depuis la convocation 1942 par Franklin Roosevelt, entre autres de John Ford ou Frank Capra, eu pour vocation de soutenir la mobilisation du pays défis de commande. En réalité dès 1934, la Motion Pictures Association avait imposé un code de bonne conduite, surnommé «code Hays» afin de défendre les valeurs morales patriotiqueshttps://www.productioncode.dhwritings.com/multipleframes_productioncode.php. Ce dernier a été complété en 1947, alors que la guerre froide s’installait pour durer, par un guide, rédigé par le philosophe Ayn Rand, et dont le but était clairement de critiquer le communisme.
« Le but des communistes à Hollywood n’est pas la production du film politique prenant ouvertement le communisme. Leur but est de saper les fondements de notre moral en corrompant les films non politique – en introduisant de petits morceaux de propagande dans d’innocente histoire – amenant ainsi les gens à intégrer les principes de base du collectivisme »https://historicaltruthproject.com/2018/10/27/motion-picture-alliance-for-the-preservation-of-american-ideals/.
Ce mouvement s’est poursuivi tout au long de la guerre froide, qu’il s’agisse des productions des années 60 en pleine guerre du Vietnam (au hasard The Green Berets de John Wayne en 1968), ou des multiples ersatz de héros sans peur et sans reproche, à l’image de Rambo 2 en 1985, 3 en 1988, ou des muscles luisants sur une plage de Tom Cruise dans Top Gun en 1986. Il y a donc un très clairement une interdépendance entre Hollywood, le Pentagone et la Maison-Blanche.
Qu’il s’agisse des séries télévisées ou des films nous somment donc très clairement dans une thématique proche de la propagande, du conditionnement des esprits car, quelque soit l’œuvre citée, à la question « qui » est concerné, deux réponses s’imposent : le pouvoir qui en est à l’origine et celui qui reçoit ces œuvres, le citoyen.
=> Donc c’est ici que l’on retrouve la dimension politique de la connaissance, celle mise à disposition par le pouvoir aux citoyens par le biais des écrans, fussent-il alimentés par des œuvres fictionnelles. La question est donc de savoir quelle image de l’espion, de la recherche de connaissances, dans un contexte de conflit, est présenté par ces œuvres.
Ceci posé, il importe de glisser quelques exemples, en insistant bien sur un élément central : il n’est pas question d’en faire une étude exhaustive.
Le cas James Bond, l’espion au cœur de la Guerre froide
Avant d’être un héros de film d’espionnage, James Bond fut une saga littéraire écrite par un ancien espion, Ian Fleming. Désireux d’écrire « le roman d’espionnage définitif » il se lance dans l’écriture d’une œuvre dont on ne pouvait alors mesurer la pérennité : en 1953 sort Casino royale, première aventure d’une série de 14, parues entre 1953 et 1966.
L’espion qui est présenté impose des codes qui ont forgé les représentations populaires de l’espion ; un homme endurant, cynique, sans états d’âmes, capable d’affronter tous les dangers, amateur des plaisirs de la vie, toujours prompt à se sortir de toutes les situations grâce aux gadgets les plus improbables. Ce James Bond de la guerre froide, qu’il s’agisse de Sean Connery, Peter Lazenby, Peter Sellers (pour la parodie jubulatoire), Roger Moore ou Timothy Dalton, permet de traverser les tensions Est-Ouest, la course technologique et aux secrets. Et si un titre suffisait ? Bons baisers de Russie, second opus qui installe les gadgets, les machines improbables, en pleine guerre froide, quelques mois après la crise des missiles de Cuba (le film sort en 1963). Le cadre même du film repose sur l’idée d’une lutte pour la domination entre les services de renseignement britanniques (MI6) et soviétiques (le KGB). Ce film met en scène des espions, des agents doubles et des jeux d’intrigues qui sont emblématiques des tensions de l’époque.
L’espionnage au Cinéma : James Bond, une grille de lecture de la Guerre froide
Poussons quelque peu l’analyse au-delà d’un seul film. Il va de soit qu’il n’est pas envisageable d’exploiter plusieurs films avec des élèves en classe, faute de temps et … d’intérêt des jeunes padawans. Quelques bandes annonces suffisent souvent à mesure le décalage générationnel avec des films qui ont pu clairement vieillir à l’heure d’une génération pour qui Tik Tok et les shorts constituent un plafond de créativité.
Le personnage de Bond lui-même, un agent secret britannique, symbolise l’agent occidental qui lutte contre des forces perçues comme menaçantes pour la liberté et la démocratie, souvent associées au bloc soviétique. Dans plusieurs films, bien que la menace soviétique ne soit pas toujours directement nommée, les antagonistes sont souvent des agents ou organisations qui représentent l’infiltration, la manipulation et la guerre secrète, tous des thèmes récurrents de la Guerre froide.
SPECTRE ((SPecial Executive for Counter-intelligence, Terrorism, Revenge and Extortion), une organisation criminelle présente dans de nombreux films de l’époque, incarne cette idée d’un ennemi global, menaçant l’équilibre du monde libre, bien qu’elle ne soit pas explicitement liée aux Soviétiques. Dans James Bond 007 contre Dr.No, film de 1962, cette organisation criminelle désire tout simplement menacer le programme Mercury … qui doit permettre à la toute jeune NASA (crée en 1958) de rattraper son retard sur les Soviétiques.
Les gadgets technologiques sophistiqués utilisés par Bond, développés par « Q », reflètent également la course technologique entre les grandes puissances, notamment dans des domaines tels que la conquête spatiale et l’armement. L’idée que les deux superpuissances se battaient non seulement par des moyens militaires traditionnels, mais aussi via l’espionnage et la technologie de pointe, est un thème central dans de nombreux films de Bond, comme Moonraker (1979), qui évoque la militarisation de l’espace. Roger Moore a remplacé Sean Connery, pour le grand plaisir de ce dernier qui n’a pas à affronter Requin, le colosse à la mâchoire d’acier.
La détente s’est estompée, le traité de l’espace de 1967 et la rencontre Apollo-Soyouz de 1975 semblent bien loin, alors que l’URSS envahit l’Afghanistan et que Reagan va lancer l’IDS en 1983. L’empire contre attaque vient de sortir, Reagan parle d’empire du mal, IDS devient dans les discours médiatique Star Wars https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/histoires-d-info/1983-ronald-reagan-vole-la-guerre-des-etoiles-a-george-lucas_1789861.html.
Un bloc de l’Est à la fois adversaire et partenaire, dans un contexte de guerre culturelle assumée
Alors que certains films de James Bond utilisent des organisations fictives comme SPECTRE, d’autres sont plus explicites sur le fait que les antagonistes proviennent du bloc de l’Est. Cependant, les films évitent souvent de diaboliser les Soviétiques dans leur ensemble. Par exemple, dans L’Espion qui m’aimait (1977), Bond collabore avec un agent soviétique, Anya Amasova, pour déjouer une menace commune. Cela reflète un désir de montrer que, malgré les tensions, des alliances temporaires pouvaient être formées pour lutter contre une menace plus grande. Ce type de collaboration est un reflet des périodes de détente entre les superpuissances pendant la Guerre froide, avant le repli de la « Guerre fraîche » du début des années 1980.
Ainsi d’une certaine manière, les films de James Bond ont servi de propagande culturelle pour l’Occident. Le personnage de Bond représente l’héroïsme, la sophistication et la technologie supérieure de l’Occident, contrastant avec les méthodes perfides et déshumanisées des ennemis. Ce sont des qualités qui étaient perçues comme étant en opposition avec les valeurs communistes, même si les films évitaient souvent de nommer directement les adversaires soviétiques, surtout durant les périodes de détente.
Et justement, de l’autre côté du Mur, qu’en est-il du cinéma d’espionnage ??
To be continued ….