La bête de guerre est sorti en 1988, comme un signe du destin. Ce film de Kevin Reynolds nous offre l’occasion de faire dans le cinéma de niche et je ne pouvais pas, dans le cadre de ce dossier, passer à côté, tant ce film m’a marqué lorsque je l’ai découvert au cinéma. Dans le précédent article Rudyard Kipling avait été convoqué avec L’homme qui voulut être roi. La boucle est ici bouclée car le film débute par une citation de l’auteur, décidément incontournable dès lors qu’il s’agit de se plonger au coeur des montagnes afghanes.

 

En Afghanistan, le Vietnam ne semble jamais très loin

 

Alors que le monde semble avoir oublié le conflit afghan depuis que ce dernier s’est enlisé dans les montagnes arides, au point de voir l’Armée rouge rentrer au bercail avec une forme d’indifférence du grand public occidental, que le rapprochement entre les deux superpuissances bat son plein, un réalisateur américain porte un regard sans concession sur cette guerre. Cette dernière est alors vue sous le voile d’un regard hollywoodien, ce qui pose bien entendu question quant à sa capacité à être impartial dès lors qu’il s’agit de parler de soldats soviétiques.  Dans la droite ligne du Platoon de Oliver Stone, sorti deux ans plus tôt, et du Full Metal Jacket de Stanley Kubrick (1987), nous voici embarqués dans le « vietnam soviétique », comme on aime à présenter parfois cette guerre, aux côtés de deux jeunes hommes dont le destin bascule au moment où ils se croisent. Le scenario, somme toute assez classique, nous permet de suivre en parallèle un jeune tankiste, idéaliste comme a pu l’être Charlie Sheen dans Platoon, et un jeune afghan propulsé en Commandant Massoud, chef de guerre, par la cruauté du destin.

 

Jason Patric (Konstantin Koverchenko) et Steven Bauer (Taj)

 

Dans les entrailles des ténèbres arides

J’ai été profondément marqué par l’atmosphère de ce film dantesque. Une plongée vers les enfers mêlant la claustrophobie du blindé et les paysages grandioses des arides montagnes (le film a été tourné en Israël) qui voient se nouer un drame profondément humain. Le tank contre les hommes. Le fer et la chair. Contemplation d’un plan, poussée d’adrénaline d’un assaut vécu dans les entrailles d’une bête métallique crachant ses projectiles, éructant ses flammes, écrasant sous ses chenilles ces êtres pathétiques qui osent l’affronter. Assurément Kevin Reynolds livre là un film techniquement fort réussi, beau, tendu et, cerise sur le gâteau, relativement neutre.

 

Un regard moins simpliste que l’on aurait pu craindre

1988 est aussi l’année de Rambo 3, au cours de laquelle notre John qui a perdu toute substance depuis le premier opus, part raser l’Armée Rouge à lui tout seul aux côtés des Moudjahidines. La bête de guerre est d’un tout autre calibre.  Bien entendu, le regard est extrêmement critique sur l’invasion soviétique. L’attaque initiale voyant les T-55 (d’ancien chars syriens pris par les Israëliens) raser un village n’offre aucun doute quant à la nature du traitement proposé par Kevin Reynolds. D’ailleurs ces 10 premières minutes sont extrêmement dures, épreuve terrible qui se termine en une scène qui vous hante une fois le film fini. Oui, la guerre est horrible. Bien entendu, aussi, les résistants Moudjahidines ne sont pas abordés sous un jour très critique et ont le beau rôle.

George Dzundza (Daskal) : la bête est-ce mon T-55 ou bien moi, eux, nous ?

 

Mais ce film mérite qu’on le (re)découvre car il est aussi l’occasion de percevoir en creux une grille de lecture beaucoup plus fine des hommes en guerre. Dans les deux camps, les salauds cohabitent avec des personnages moins manichéens, simples âmes prises dans un tourment qui les dépasse. Là où Rambo 3 est une pure production de propagande pauvre, cette Bête de guerre est beaucoup plus subtile. Attention, il y a bien des facilités et, finalement, les personnages peuvent paraître parfois caricaturaux mais il faut aussi savoir profiter des éclairs de lumière. Fury (2014) de David Ayer passe pour être le modèle du genre en matière de film sur les blindés. Force est de contacter que si Fury est en effet réussi, La bête de guerre n’a rien à lui envier du tout. Les cadres, les tensions des visages, l’incident de tir, les ricochets des balles, la fumée nourrissent admirablement cette tension de plus en plus palpable au fur et à mesure où cet équipage s’enfonce dans les entrailles infernales. Cette guerre à bord d’un blindé est aussi intérieure, entre compagnons d’armes ou, plus terrible encore, au fond de soi, face à sa conscience. Ce traitement retrouve d’ailleurs ici des accents de celui qui avait été fait par Oliver Stone entre ses deux sergents, Barnes (Tom Berenger) et Elias (Willem Dafoe). La guerre transforme les hommes pour le pire et le plus pathétique.

Willem Dafoe, Charlie Sheen et Tom Berenger

 

Guérilla, confrontation sans aucune limite, poussée d’adrénaline poussant les acteurs dans leurs ultimes retranchements psychologiques, ce film dispose d’une véritable charge émotionnelle intacte, d’une justesse d’analyse tout à fait exploitable. Jason Patric est excellent, à l’image d’un casting au diapason.

 

Cruel et haletant, La bête de guerre est de ces oeuvres cinématographiques qui ne laissent pas indemne. Injustement méconnu à mes yeux, j’espère que ces quelques lignes permettront à quelques personnes de le retrouver, en attendant un prochain article qui se rapprochera très largement des errements de l’intervention de l’Oncle Sam dans son nouveau Vietnam ….

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Fiche technique

Columbia pictures corporation/ 1988 / 1h51 min / Guerre

Titre original The beats

Réalisateur : Kevin Reynolds

Scénariste : William Mastrosimone, d’après sa propre pièce de théâtre Nanawatai

Musique : Mark Isham

Avec George Dzundza, Jason Patric, Steven Bauer, Stephen Baldwin, et Donald Patrick Harvey