La bataille de l’Atlantique est le dernier article de ce dossier Clio-Ciné. Après des oeuvres de fiction tournées après la guerre, j’ai décidé de prendre un moment pour explorer des films de propagande, réalisés au cours de la guerre.

 

Hollywood propaganda

Les affrontements au coeur de l’océan Atlantique n’échappent pas, dès 1940, à la volonté de nourrir la production de films destinés à mobiliser les populations et nourrir le patriotisme. C’est essentiellement vers Hollywood que l’on doit se tourner pour dénicher des pépites accessibles. Si l’on peut citer 49e Parallèle réalisé par Michael Powell, sorti en 1941, ou Ceux qui servent de David Lean (1942) au crédit des productions britanniques, la majorité des films de la période furent américains. De façon claire le scénario développe une approche assez similaire : une traversée des États-Unis vers l’Europe, sous la menace des attaques allemandes incarnées par les attaques de U-boote.

Ces productions n’ont pas révolutionné l’histoire du cinéma et pour l’essentiel leur intérêt cinématographique, au-delà de la simple propagande, reste relativement limité. Aux côtés de Requins d’acier réalisé par Archie Mayo, il est possible de citer Corvette K-225 de Richard Rosson et Howard Hawks ou encore Convoi vers la Russie (Action in the North Atlantic) de Lloyd Bacon, tous trois sortis en 1943.

Ce dernier est intéressant car il permet de mesurer la volonté de Washington de mettre en avant le poids pris, en cette année 1943, de l’URSS dans la lutte contre le nazisme. Dans cette perspective, les convois de ravitaillement en direction de l’Armée Rouge étaient essentiels, et la route vers Mourmansk absolument décisive. Le film met pour une fois en avant la marine marchande à travers ce « liberty ship » et, ne boudons pas notre plaisir, les scènes d’action sont globalement réussies.

Corvette K-225 est visible gratuitement sur internet, autant en profiter !

 

Humphrey Bogart : courage, abnégation, patriotisme, mais quand même drague aussi, c’est Humphrey !

 

Au titre des films plus intéressants d’un point de vue cinématographique, Lifeboat, réalisé par Alfred Hitchcock en 1943 (sorti en 1944), mérite assurément qu’on s’y attarde un moment, pour le plaisir de profiter du talent du maître. Un huis-clos oppressant, sans triomphalisme patriotique, une chaloupe bercée par les flots et les gros plans si aimés du Maître, une dérive psychologique implacable.

 

C’est donc essentiellement à partir de 1943 que la production de films de propagande croisant autour de la grande Bretagne. S’accélère, ce qui va dans le sens du tempo nouveau impulsé par bataille de l’Atlantique.

 

La bataille de l’Atlantique – 1939-1944

Pour reprendre les travaux de l’historien allemand Jürgen Rohwer, il est possible de délimiter 8 phases dans la bataille de l’Atlantique. Dans un premier temps les sous-marins allemands agissent sans réelle coordination, seuls, contre des navires marchands isolés. Il faut attendre juillet 1940 pour que les sous-marins allemands commencent opérer en meute contre les convois. Commence à l’été 41 une troisième phase qui dure jusqu’au mois de décembre de la même année, au cours de laquelle la Grande-Bretagne décode petit à petit les communications allemandes, ce qui permet de détourner de nombreux convois pour éviter les U-Boote. Dans le même temps c’est au cours de cette période que les premiers combats directs entre la marine américaine et les U-Boote prennent corps.

 

U-Boote contre destroyers de l’Oncle Sam

Le premier navire battant pavillon des États-Unis qui fut coulé par un U-Boot (le U-69) fut le Robin Moor, au mois de juin 1941. Il faut cependant attendre le 4 septembre pour que l’USS Greer, un destroyer en route vers l’Islande, soit engagé dans un duel belliqueux avec le U-625. Si aucun des 2 bâtiments ne fut touché, cet incident poussa Roosevelt à autoriser les bateaux des États-Unis a tiré les premiers. De janvier à juin 1942 les U-Boote déciment la navigation commerciale alliée dans l’Atlantique, ce qui constitue le point d’orgue les offensives victorieuses de la Kriegsmarine. Les pertes alliées sont spectaculaires et passent de 327 000 t en janvier, à 537 000 t en mars.

 

Été 1942 – été 1943 : le tournant décisif pour les Alliés

C’est ici que se noua le destin de ce théâtre d’opérations. Entre juin 1942 et juin 1943 les Alliés reprirent petit à petit l’avantage en affectant des moyens considérables à la lutte anti sous-marine. Il est possible d’affirmer que l’automne 1942 fut un des tournants majeurs de la guerre contre le commerce maritime. En novembre, 126 bâtiments déplaçant plus de 800 000 t furent coulés, ce qui poussa les Alliés à accroître de façon décisive leurs efforts. Le 4 mai 1943, le convoi ONS-5 fut attaqué par 43 U-Boote, soit la plus forte concentration de submersibles de toute la guerre. Grâce à leur coordination et aux progrès de leurs radars permettant de repérer leur cible dans le brouillard, les navires d’escorte purent passer à l’offensive. L’attaque se solda par la perte de 13 bâtiments alliés coulés, contre celle de 7 U-Boote autant d’autres gravement endommagés. 2 semaines plus tard, une autre attaque de ce type mobilisant cette fois-ci 25 U-Boote attaqua le convoi SC-130. Après 2 jours d’attaques ininterrompues, aucun bateau allié ne fut coulé, tandis que 3 U-Boote étaient envoyés par le fonds, dont le U-954, qui emporta avec lui le premier officier de quart, Peter Dönitz, âgé de 19 ans, fils de l’amiral en chef de la Kriegsmarine. L’écrasante supériorité des défenses alliées venait de mettre un terme aux rêves d’une victoire dans la bataille de l’Atlantique.

Au cours de l’été 1943 les Alliés pouvaient lire limpidement dans les intentions allemandes et entre le mois de septembre et le mois de juin 1944, les dernières tentatives d’attaques de groupes contre les convois aboutirent à la destruction quasi totale des sous-marins allemands. Une dernière période, de l’été 1944 au mois de mai 1945, voit les ultimes U-Boote agir seuls, profitant des dernières innovations, tel le schnorchel[1], et dans l’attente du Graal des sous-marins, l’Elektroboote étant censé, comme les V2 ou les avions réactions, modifier par la technologie le sort de la guerre.

Hitler ou le mythe des armes révolutionnaires censées changer le cours de la guerre, les Wunderwaffen 

 

Pour aller plus loin un très bon reportage que je recommande chaudement

 

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Les films de propagande sont donc concentrés au moment de la reprise en main de l’Atlantique par les Alliés, au tournant des années 1943 et 1944.

 

Plongée à l’aube, le belle surprise

Bien que les œuvres précédemment citées pourraient mériter chacune une petite analyse, c’est vers un film moins connu que j’ai décidé de me tourner. Il s’agit d’une production britannique de Anthony Asquith, Plongée à l’aube (We Dive at Dawn), sorti en 1943.

Synopsis

Le sous-marin HMS « Sea Tiger », qui vient juste de rentrer au port, est brusquement rappelé en mer pour une mission spéciale : couler le « Brandenburg », un navire de guerre allemand. En route, l’équipage apprend que leur cible a atteint la mer Baltique, mer sur laquelle de lourds moyens de défense ont été disposés. Au lieu de reculer, le « Sea Tiger » prend le « Brandenburg » en chasse. La tension grandit lorsque la cible se rapproche. Arrivés à portée de tir, les marins britanniques lancent leurs torpilles, mais doivent battre en retraite sans savoir si leur attaque a réussi. Bientôt, sous peine de ne plus jamais pouvoir rentrer, ils doivent trouver à se ravitailler en carburant alors qu’ils se trouvent toujours dans les eaux ennemies…

J’ai choisi de mettre ce film en avant car elle permet de prendre le contre-pied des films de l’époque : cette fois-ci ce sont les Allemands qui sont chassés, et c’est sous-marin allié qui traque un navire de surface nazi. Le scenario est assez incroyable car la flotte de surface allemande n’est plus une menace à cette époque, étant entendu qu’elle l’a peu été en réalité tour au long de la guerre malgré les exploits du « Bismarck », perdu le 27 mai 1941.

 

Ce n’est pas Hollywood, et tant mieux

À ma grande surprise, cette œuvre méconnue ne porte pas en elle le poids écrasant des années. Mieux, elle est digne de L’Odyssée du sous-marin Nerka ou de Duel sous l’Atlantique. Certes point de stars hollywoodiennes mais, en contrepartie, une approche assez réaliste, touchante bien que nécessairement bienveillante, vis à vis de cet équipage dont les aventures sont censées remonter le moral des Britanniques en plein conflit. Le scénario est aussi limpide qu’une bonne vieille dissertation d’histoire : trois parties équilibrées permettant une montée en régime assez inattendue.

Dans un premier temps Anthony Asquith brosse le portrait d’un équipage de retour d’une mission. On s’attarde sur les promesses d’un retour en famille, les préparatifs d’un mariage, la joie de partager un bon verre mais, plus intéressant, sur les difficultés de ces hommes. Ici un alcoolique en train de couler sa famille, là l’éternel cas du type qui compte sur ses paris pour payer sa note de bar. Cette Angleterre en pleine guerre respire une forme de quiétude étrange et rassurante pour le spectateur de 1943, même si en filigrane on devine qu’il serait bon de soutenir ces marins, et que ces derniers fassent des efforts pour picoler un peu moins … ou pas.

 

Votre mission : couler un navire qui n’existe pas

Très vite l’amirauté met un terme à cette permission ; la semaine promise se transforme en simple aller-retour et le « Lion de Mer » doit appareiller pour aller chasser le nouveau fleuron de la Kriegsmarine. Le « Brandebourg » en question n’exista pas ; en réalité le nom renvoie à une classe de navire de la Première Guerre mondiale. Peu importe, la mission reste à accomplir. Cette seconde partie permet une certaine montée en régime, avec la classique chasse, entrecoupée de scène de vie quotidienne où l’ennui n’est jamais loin. Nous sommes alors très proches du futur Das Boot de Petersen. La tension monte d’un cran lorsque, enfin, le navire ennemi est découvert. La séquence d’attaque est assez immersive et la nervosité gagne même si l’équipage conserve un flegme tout britannique.

Les torpilles lancées, le « Lion de Mer » est pris en chasse. Le drame s’épaissit, tout semble perdu lorsque l’un des personnages principaux décide de monter une véritable opération commando pour sortir son équipage d’une fin dramatique. Cette troisième partie, très rythmée, est totalement inattendue aussi je ne dévoilerai rien. J’ai été très agréablement surpris de me retrouver dans une sorte de version des années 40 du très bon U-571. La fin est plus attendue, mais il ne fallait tout de même pas espérer que l’on mine le moral des spectateurs.

Un très bon moment donc, alliant un vrai sens du rythme, un côté parfois quasi documentaire de la vie des sous-mariniers et une galerie de portraits intéressants et touchants. À voir en complément de l’excellent Mer Cruelle, un ton au dessus, mais tourné après la guerre …

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Fiche technique

1943 / 1h 38min / Guerre

Titre original : We Dive at Dawn

Réalisateur : Anthony Asquith

Avec John Mills, Eric Portman, Reginald Purdell

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Voici donc la fin de ce premier dossier spécial Clio-Ciné. Un prochain numéro sera consacré à tout autre chose, avec la même envie : partager de bons moments devant l’écran et mettre en perspective cinéma et histoire.

 

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Bibliographie indicative sur la Bataille de l’Atlantique

Jurgen Rohwer, Chronology of the war at sea, 3e édition 2005, Chatham Publishing, 532 pages

Guy Malbosc, La bataille de l’Atlantique (1939-1945), la victoire logistique et celle du renseignement, clés de la victoire des armes, 2e édition, 2011, Economica, 576 pages

Alexandre Sheldon-Duplaix, Jean-Marie Mathey, Histoire des sous-marins des origines à nos jours, E-T-A-I, 2018 (3eedition), 224 pages

Craig L.Symonds, Histoire navale de la Seconde Guerre mondiale, Paris,Perrin, 2020, 1008 pages

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[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/Schnorchel