Hannah Arendt, long métrage de la réalisatrice Margarethe Von Trotta sort sur les écrans français le 24 avril 2013. Ayant collaboré aux scenarii des films de Volker Schlöndorff, et notamment coréalisatrice en 1975 de L’honneur perdu de Katharina Blum, elle livre un film d’une heure et cinquante-trois minutes évoquant la figure de la grande philosophe allemande, et plus particulièrement son travail de réflexion sur le procès Eichmann et la « banalité du mal ».
En 1961, Hanna Arendt vit à New-York, avec son mari Heinrich Büchler, rencontré à Paris sur la route de l’exil, entourée d’un cercle proche d’amis intellectuels, juif – allemands comme le philosophe Hans Jonas, ou américains comme l’écrivain Mary MacCarthy. Intellectuelle célébrée et respectée, elle est alors connue internationalement pour ses travaux novateurs sur le totalitarisme.
C’est dans ce contexte qu’elle apprend l’arrestation du nazi Adolf Eichmann par le Mossad, et la tenue d’un procès afin de juger ses crimes à Jérusalem. Elle demande au magazine « The New Yorker » de couvrir l’évènement, et tire de cette expérience sa théorie de « la banalité du mal ». Ses articles qui seront ensuite rassemblés dans l’ouvrage Eichmann à Jérusalem font scandale. Deux aspects des écrits d’Arendt choquent plus particulièrement l’opinion : l’accent mis sur le refus d’Eichmann d’expliquer ses actes par une motivation antisémite, et l’attention accordée par Arendt à la coopération coupable des dirigeants juifs européens au génocide. De telles idées provoquent rejet ou adhésion, mais ne laissent pas indifférent. Elles entrainent également des ruptures entre la philosophe et certains de ses amis les plus proches, en particulier Hans Jonas, qui reproche à Arendt son attitude, qui serait à ses yeux un entêtement coupable, aboutissant à une trahison du peuple juif.
Le film est également émaillé de flashbacks relatifs à la relation maitre-élève, faite de fascination et de séduction, entretenue par Arendt et Heidegger, mais aussi leur rupture intellectuelle, succédant à celle sentimentale, après l’acceptation par Heidegger, dans son « discours du Rectorat », du régime nazi.
Hannah Arendt est le portrait d’une femme libre, libre dans sa vie privée comme dans sa vie publique. Résolue dans ses ruptures avec Heidegger et l’Allemagne, mais aussi dans sa mise à distance d’Israël, elle tient bon dans son discours philosophique qu’elle considère comme cohérent et sincère, quitte à blesser et décevoir ses amis les plus intimes.
C’est aussi le portrait d’une intellectuelle brillante et de sa démarche philosophique, dont la description filmique est si difficile à retranscrire. Cette démarche philosophique, elle est solitaire, bien souvent pratiquée de nuit, face à un bureau aux éléments familiers ou bien dans le silence contemplatif d’une promenade en forêt. Pour rendre compte de ce travail de la pensée, Von Trotta filme des scènes où le silence pèse. La production de la réflexion intellectuelle apparait à l’écran comme longue et fastidieuse, contrainte par les demandes pressantes de la rédaction du « New Yorker », et contrastant alors de façon saisissante avec l’immédiateté journalistique. Cette réflexion, enfin, Arendt se doit de la diffuser et de l’enseigner. C’est le sens du discours final portant sur l’explication de la « banalité du mal », prononcé face à ses étudiants américains, et intégré dans une longue scène de 8 minutes.
On est loin de la reconstitution pesante. En effet, face au piège de la reconstitution historique costumée et caricaturale, les documents d’archives du procès Eichmann sont utilisés de façon opportune. Ces séquences télévisées, rendent compte de l’importance de l’événement, que regardent, en direct, Hannah Arendt dans la salle de presse, ou bien les téléspectateurs israéliens.
Ce film s’adresse plus particulièrement aux classes de première dans le cadre de séquences sur les totalitarismes, et surtout en terminale en lien avec la question relative aux sociétés face à leur passé. Suite au visionnage du film, un travail peut être mené conjointement avec le professeur de philosophie, ou bien illustrer les séances de collègues enseignant en DNL allemand/histoire-géographie. Ces séances peuvent s’appuyer sur le dossier pédagogique réalisé par « zéro de conduite », comprenant documents et activités, exploitables à la fois en histoire, philosophie et allemand.
Hannah Arendt peut sembler être un film d’un accès difficile, mais tout comme la compréhension d’un texte philosophique, son visionnage se mérite et réclame attention et réflexion. Il relève alors un pari réussi, malgré ses aspérités formelles, celui de rendre compte d’une pensée en mouvement, de sa création à sa diffusion.