Paris police 1900 : c’est donc au cœur de la ville lumière que débute une intrigue sombre qui invite à la réflexion sur la IIIème République, toute jeune et fragile, tiraillée entre les souvenirs de la monarchie, l’affaire Dreyfus, le désastre de 1870 et, encore plus fortement, la violence d’une société française en pleine mutation. Le synopsis de cette nouvelle production de Canal Plus pose les bases d’une série qui ne peut laisser indifférent :
Paris, 1899. Le Président Félix Faure vient de mourir dans les bras de sa maîtresse Marguerite Steinheil. Alors que la République est au bord de l’explosion, le Préfet Lépine est rappelé aux affaires. Au même moment, à la préfecture, l’inspecteur Jouin est mobilisé sur une enquête d’envergure pour identifier « l’inconnue de la valise » dont le cadavre a été repêché dans la Seine.
Une histoire de pompes funèbres
Il faut cacher l’arme du crime …
Le premier épisode peut prêter à sourire et peut-être qu’une partie du public découvrira avec stupéfaction qu’un président de la République française, écrasé par la pression de sa charge en pleine affaire Dreyfus, mourut pour la France, pour la République, sous les assauts de sa maîtresse, visiblement experte dans bien des domaines. Mais, très rapidement, le personnage de Jules Guérin, directeur du journal « L’antijuif », fait disparaître le rictus amusé qui a pu traverser certains visages. Paris, en cette année 1899, est une ville sale et violente, où l’odeur des abattoirs lutte pour s’imposer face au crottin des chevaux. Cette odeur âcre a d’autant plus de mal à s’imposer qu’elle doit essayer de se frayer un chemin entre les flammes gourmandes qu’une descente de ligue antisémite, cherchant en découdre avec les Juifs et certains marchands de journaux, a imposé aux badauds médusés.
Sur le fond d’une intrigue policière…
Au cœur de cette série se décline le format classique d’une enquête policière, sur fond de femmes retrouvées dans une valise, découpées en morceaux. Fabien Nury, en bon scénariste, s’est emparé d’un fait divers attesté pour développer une intrigue efficace. Un cadavre, une enquête, la recherche d’un assassin. Mais, fort heureusement, nous sommes cependant très vite bien loin d’une simple déclinaison des sympathiques et cultes « Brigades du Tigre » de l’ORTF ; il ne s’agit pas d’une enquête débridée d’hommes en moustache, traversant Paris à grands coups de bolides vrombissants.
Oh, bien entendu, loin de moi l’idée de critiquer négativement cette série qui marqua son temps. Certains épisodes ont d’ailleurs exploré les faces obscures du Paris de la Belle Époque dans lequel l’alcool et les excès en tous genres étaient monnaie courante. Si Les brigades du Tigre s’intéressaient à la professionnalisation de la police française, à son degré d’expertise nouveau impulsé par Clémenceau, Paris police 1900 évoque de façon très crue le tournant pris par les représentants de la loi dans un style qui est plus proche de séries comme Braquo ou Engrenages, chères à Canal Plus.
Les policiers découvrent ici la bicyclette et le téléphone, s’essaient à une approche scientifique de leurs enquêtes à grands coups de photographies. Les policiers sont aussi des enquêteurs bien imparfaits, misogynes, violents, corruptibles, capables de tous les excès pour parvenir à leurs fins.
Bon ce n’est pas encore portable, mais au moins ça fonctionne
… l’on redécouvre la violence politique et sociale d’une époque.
Toute la force de cette reconstitution, de très grande qualité quant au décor, repose sur un background redoutable. Pour l’amateur d’histoire, sont évoqués tour à tour les souvenirs douloureux de la guerre de 70, la fragilité de la jeune République, les complots politiques avec leur lot d’assassinats, de boules puantes, la tentation de l’Armée d’entrer dans Paris pour reprendre le pouvoir, la puissance des ligues, les attentats anarchistes. Face à ces périls se dressent des hommes et des femmes ordinaires qui agissent autant par conviction que par intérêt personnel.
Derrière ce tableau politique d’une haute société, le spectateur est amené à s’enfoncer petit à petit dans les tréfonds d’une société en pleine mutation. La misère, des logements exigus, des femmes battues, une incapacité des hommes à reconnaître véritablement les mérites de ces dernières, même si certaines figures tentent de s’imposer. Le film de Marjani Statrapi Radioactive , dont vous trouverez la critique ici, avait déjà exploré certaines de ces facettes. Mais en regardant Paris police 1900, on se rencontre à quel point ce film manquait de soufre et de saleté, un comble pour des expériences en laboratoire de chimie.
Il n’y a pas de facilités : certaines images sont crues, la violence des images est réelle, parfois dérangeante, mais la force de la réalisation, le choix de la lumière, ténébreuse, oppressante, impose un style qui prend justement à contre-pied les images d’une Belle Époque lumineuse, égayée par le phare d’Alexandrie métallique dressé par Gustave Eiffel.
Tient-on un Peaky blinders à la french moustache ?
Le parallèle est évidemment tentant. Pourtant, ce serait manquer de respect pour cette série, que d’en faire une simple copie française. La violence de la société, les tiraillements politiques, sociaux, sont autant de pistes que l’on retrouve. Les hommes politiques sont prêts à tout, la police use de tous les moyens, les femmes luttent pour trouver leur place dans la société. Pour autant, Paris police 1900 dispose de sa propre identité, de ses gueules qui n’ont rien à envier aux succès de Netflix.
Des gueules cassées avant l’heure
Parmi les forces de cette série, le casting. Il est en tout point remarquable. Par moment, on se croirait dans un hommage au Delicatessen de Jean-Pierre Jeunet.
Décidément, la boucherie, ça inspire
Acteurs et figurants transpirent la dureté d’une époque, aussi belle fut-elle a posteriori quand on la compara à la première guerre mondiale, à travers des visages, des situations, des choix. Jérémie Laheurte (Jouin) et Évelyne Brochu (Meg Steinheil) jouent parfaitement leur partition. Mais ce sont trois autres personnages que je désire mettre en avant ici. Tout d’abord Fiersi, le policier borderline qui aime profondément sa famille, ses enfants, mais qui est aussi rongé de l’intérieur par une violence presque primitive.
Je suis stable, pigé ?
Thibaut Evrard qui le campe est excellent. Marc Barbé décline une partition tout aussi lumineuse en campant un préfet Lépine plus vrai que nature, totalement engoncé dans ses certitudes et le carcan de sa fonction, froid, cynique, mais aussi totalement amoureux d’une femme qu’il perd dans les vapeurs des opiacés et qu’il essaye de garder près de lui.
Là, je souris
Enfin, ma palme personnelle va à Hubert Delattre qui redonne vie à un antisémite absolu, dont on se demande comment il vivrait notre époque, Jules Guérin. Quand en cette année 1899 l’antisémitisme avait pignon sur rue. En cette année 1899, on pouvait appeler à tuer des juifs. On pouvait égorger un cochon en public en regrettant qu’il ne fût pas juif. En cette année 1899, Jules Guérin vomissait sa haine contre le capitaine Dreyfus qui allait être rejugé à Rennes.
C’est encore un coup des Juifs ! C’est écrit là ! C’est évident non ?
Une première saison extrêmement intéressante, qui permettra de redécouvrir une période bien trop souvent enjolivée. Nous ne sommes jamais très loin des romans de Eugène Sue, tout ceci n’est pas très moral, mais Paris police 1900 mérite que l’on s’y attarde et que l’on explore les faces sombres d’une République qui essayait alors de s’installer durablement.