À partir du 23 décembre 2021, Sissi est à l’honneur sur TF1 mais pas celle de la bonne vieille trilogie des années 1950 d’Ernst Marischka incarnée par la toute jeune Romy Schneider. À la place, voici une adaptation germano-lettone de Sven Bohse, avec Dominique Devenport et Jannik Schümann dans les rôles de Sissi et de son empereur de mari, François-Joseph.

Les ambitions affichées, à coups de « dépoussiérage du mythe », de « progressisme et de féminisme », étaient immenses.

La réalité, elle, est franchement décevante, pour ne pas dire déconstruite. C’est le mot à la mode.

Comment découvrir Elisabeth de Wittelsbach, la vraie Sissi ?

Mais revenons aux sources. Nous manquons d’historiens sérieux (et traduits en français) sur le sujet. Pour l’essentiel, nous avons des biographies romancées, de plus ou moins grande qualité. L’un des ouvrages le plus facilement exploitable à mon sens est le « Découvertes » Gallimard de Catherine Clément (1992). On y trouve en effet des documents primaires qui compensent le contre-sens historique du titre sur l' »impératrice anarchiste ». Ce n’est pas formidable mais c’est ainsi. Si on recherche une biographie, on peut compter sur une parution de 1985 de Brigitte Hamann. Reste l’aimable plume de Jean Des Cars. Son travail de 1995 ne présente toutefois pas tous les gages classiques d’un travail universitaire.

On peut aussi consulter le corpus documentaire des musées autrichiens et bavarois. Que ce soit à la Hofburg, à Schönbrunn, à Bad Ischl, ou encore au Musée des techniques de Vienne, on ne compte plus les salles dédiées à l’impératrice. Même en France, à Sassetot-le-Mauconduit (Normandie), le château local vit du souvenir de Sissi. La demeure lui avait ponctuellement servi de maison de vacances en son temps. Bien entendu, la muséographie confine régulièrement au pèlerinage autour de telle ou telle relique : ici l’ancienne voiture impériale (train), là le pressoir à canard, ou encore la paire de gants.

Mais comment espérer autre chose d’un personnage qui, quoi qu’on en espère, a eu une influence historique assez modeste et qui a été littéralement englouti par le cinéma ? Le visiteur s’attend à retrouver une Romy et, à tous les coups, il repart…déçu.

Quelques éléments biographiques

La vraie Sissi était bien moins attachante que sa version de 1955. Certes, Elisabeth de Wittelsbach, duchesse « en » Bavière n’était pas destinée à devenir impératrice et avait eu une jeunesse assez libre. Par un caprice du sort, là voici placée aux côtés d’un empereur d’Autriche pour lequel, elle n’éprouve pas une franche passion. Elle lui donne malgré tout quatre enfants, dont un fils, Rodolphe, né en 1858.

L’impératrice Elisabeth en costume hongrois pour le couronnement de 1867.

Peu sensible aux lourdeurs du protocole de la Hofburg, elle s’évade dans la poésie, l’équitation et les voyages. La postérité y a vu une affirmation de sa « liberté » là où ses contemporains ont surtout déploré son manque d’application dans ses devoirs impériaux. Vienne, qui aujourd’hui en a fait son principal atout touristique, ne l’appréciait guère et tenait le compte des quelques journées que l’impératrice daignait passer chaque année en sa capitale.  On a gardé sa relation difficile avec sa belle-mère, mais elle-même, quand ce fut son tour de tenir le rôle avec la jeune Sophie de Belgique, n’a pas laissé un souvenir impérissable. Elle revendiquait une vie simple, mais une petite visite dans son Achilleion à Corfou ou encore son château de Gödöllö montre que ses standards ne l’étaient pas vraiment.

Sur le plan politique, le cinéma l’a transformé en princesse des cœurs et en inspiratrice du compromis austro-hongrois de 1867 qui créait une double monarchie en lieu et place du seul empire d’Autriche. Sur ces deux points, le moins que l’on puisse dire est que la documentation consultée n’est pas aussi loquace qu’espéré.  Des actions de charité ici et là certes, mais rien de très spécifique pour un souverain consort, et encore, certainement pas de façon permanente. Même la Hongrie, au-delà de la sympathie qu’elle inspirait, ne doit pas tout à son Erzsébet.

Restent alors ses névroses, nombreuses, autour de l’alimentation, de l’apparence physique, de la folie présumée héréditaire dans sa famille, etc. Restent aussi les drames personnels : la mort de sa fille aînée en bas âge en 1857, le suicide présumé de son fils à Mayerling en 1889, l’assassinat de son beau-frère Maximilien et de sa belle-sœur Charlotte au Mexique ou encore sa propre sœur Sophie-Charlotte, duchesse d’Alençon, brûlée vive dans l’incendie du Bazar de la Charité en 1897. Reste enfin son propre meurtre, sur les rives du lac Léman en 1898, par un obscur anarchiste italien qui rêvait de gloire.

En somme, un personnage tragique. Un personnage de second voire de troisième plan au niveau historique. Un personnage qui aurait été oublié sans le cinéma.

Que raconte Sissi (2021) ?

Avec six épisodes, on est en droit d’attendre plus et mieux que la version de Marischka, souvent brocardée pour son simplisme naïf et ses partis pris manichéens.

La première trilogie n’avait gardé que les événements dits positifs : la rencontre amoureuse, le mariage, les enfants, la réussite hongroise, etc. Les quelques difficultés étaient résolues dans le même épisode. L’ébauche de rivalité avec sa sœur Hélène trouvait sa fin dès la conclusion de l’épisode 1, avec les vœux de bonheur adressés avant le mariage. La mésentente avec la belle-mère dans l’épisode 2 se régla également assez vite. Il n’y a guère que la maladie, dans l’épisode 3, qui avait  assombri l’atmosphère mais même pour cela, il y eut un miracle à la fin.  Après des vacances au soleil et les bons soins de sa mère, l’impératrice était guérie et prête à sauver les possessions lombardo-vénitiennes.

Dans la version 2021, la période retranscrite est curieusement similaire et le final en eau de boudin montre combien le réalisateur espère voir son contrat renouvelé pour une seconde saison. Il est difficile d’avoir des datations plus fines. Cette série, comme du reste la précédente, recompose beaucoup les moments. En se fiant aux âges des enfants, on peut dire que Sven Bohse termine sur les années 1857-1858.

Comment dépasser Romy Schneider ?

Romy Schneider pour le premier épisode de Sissi (1955)

C’est simple, on ne le peut pas. Non pas que l’actrice qui joue Sissi soit sans charme. Avec ses faux-airs de Natalie Portman, Dominique Davenport a beaucoup d’atouts. Elle ressemble même davantage au personnage historique que l’inoubliable Romy. Elle s’efforce tout du long d’incarner la rébellion et le grain de sable dans la machine. Mais, il lui manque cette douceur à la fois réservée et malicieuse qu’incarnait son illustre devancière. Ajoutons que Romy Schneider était doublée par la petite voix flûtée de Gilberte Aubry qui renforçait l’innocence du personnage.

Il y a clairement une dimension mythique, pour ne pas dire iconique avec Romy Schneider, qui tient à sa beauté exceptionnelle certes mais aussi à son talent, à ce qu’elle a fait et représenté par la suite. Elle n’a pas été que l’actrice d’un seul film ou d’un seul style. Elle a rayonné dans des genres différents, sur des sujets différents, avec des personnages différents. Depuis son idylle avec Alain Delon, elle est devenue une « vedette » en France, dont  les drames personnels, je pense par exemple au décès accidentel de son fils, étaient connus de tous.

Il n’y a pas beaucoup d’artistes qui accèdent à cette notoriété et qui arrivent ainsi à traverser les époques. Comment une actrice, fatalement jeune pour les besoins du sujet, pourrait rivaliser avec Romy ? Mais cela ne veut pas dire que le sujet est épuisé. On se souvient par exemple combien Visconti, dans son Ludwig, avait su fournir à une Romy Schneider plus âgée l’occasion d’incarner une autre impératrice, beaucoup plus complexe et plus proche du personnage historique. Même Arielle Dombasle, pour le moins inattendue dans le rôle, mais qui avait campé l’impératrice pour la télévision en 2004, avait fourni quelques scènes intéressantes, mais c’était sur la Sissi de la dernière époque, au moment où elle s’intéresse à la psychanalyse.

Pourquoi cette adaptation ne remplacera pas celle de 1955

Quand on réadapte une œuvre qui a autant marqué une époque et un public, on doit déterminer quelle plus-value on compte bien apporter.  L’histoire sera-t-elle plus exacte par rapport aux sources ? Sera-t-elle plus intéressante ? Sa dimension artistique sera-t-elle réellement originale ?  Cette série échoue sous tous ces angles.

Il ne suffit pas de pérorer sur le caractère « neuf » d’une adaptation en interview pour que la magie opère. D’abord, n’en déplaise à sa communication, cette version n’a rien à dire, en tout cas rien de palpitant ni de novateur. Elle ne fait qu’intégrer à l’histoire des éléments narratifs à la mode, vus et revus ailleurs.

On aura droit au quart d’heure sur la masturbation, à un autre quart d’heure sur le lesbianisme, à un autre encore sur les partouzes. On aura droit à la déferlante d’hémoglobine dans la rue, dans les champs de bataille, dans une galerie et jusque dans le lit conjugal. On aura droit au discours du « venez comme vous êtes », « si cela ne te plaît pas, tu peux t’en aller », et tous les artifices du même acabit sur l’expression de soi. On aura droit aussi à la soupe féministe, rance dans les premiers épisodes, meilleure par la suite heureusement. Tout cela ne fera que fâcher les puristes de la première version et ennuyer le potentiel nouveau public, déjà repu avec Versailles, Les Chroniques de Bridgerton, Les Tudors, Game of Thrones, House of Cards, etc.

J’ajoute par ailleurs que le choix de TF1 de diffuser trois épisodes d’un coup en tablant sur le fait que le public restera devant son écran jusqu’à minuit et qu’au pire, les spectateurs se rueront sur le replay, présente quelques risques. La chaîne espère captiver dès les premiers épisodes; or ils sont, et TF1 ne peut l’ignorer, les plus mauvais. On verra demain si TF1 a eu raison. 

Pour accéder à la critique du premier épisode, c’est par ici…