« Virus » est la troisième œuvre présentée par Cliociné dans le cadre du thème des 26è Rendez-Vous de l’Histoire de Blois. Après avoir découvert un film hongrois, « Le fils de Saul », un film français, « Made in France », je vous propose donc de partir pour le pays du soleil levant. Film post-apocalyptique de 1980 réalisé par Kinji Fukasaku, Virus est parfaitement adapté au thème « Les vivants et les morts ». Tombé dans l’oubli, il reste une œuvre puissante qui mérite d’être redécouverte. Si le titre destiné à l’international, « Virus », laisse présager d’un film qui aurait sa place dans une liste d’œuvres consacrés aux pandémies, liste qui sera sans doute complétée dans les années à venir par des films sur la crise du Covid, le titre nippon est plus intéressant : « Le jour de la résurrection ».  Le travail de Kinji Fukasaku, à la tête d’une véritable équipe internationale, ne porte pas uniquement sur une pandémie. De façon plus globale il propose une réflexion sur la fin de l’humanité, alors que la Guerre Froide semble repartir de plus belle en cette année 1980.

 

Synopis

En 1982, un virus mortel extermine la quasi-totalité de l’humanité. Seuls les habitants des bases internationales situées en Antarctique sont épargnés par la contamination. Tandis que les survivants s’y organisent, ils apprennent qu’un séisme menace de déclencher les tirs nucléaires automatisés.

 

La fin de l’humanité semble inéluctable

 

Le scénario est limpide : un virus mortel extermine quasiment toute l’humanité. Seules 863 personnes parviennent à survivre tant bien que mal dans les glaces de l’Antarctique. Mais, comme si le destin avait décidé d’en finir une bonne fois pour toute avec nous, êtres humains, voir même avec toute vie, Gaïa, notre bonne vieille terre, se met à rêver d’un séisme majeur qui aurait pour conséquence de déclencher le lancement de toutes les armes nucléaires de l’Ouest et de l’Est. En 1984 ce sera Skynet, une IA, qui sera à l’origine de cette catastrophe.

 

Et bien en 1980 c’est la nature qui décide d’appuyer sur le bouton fatidique.

Fort heureusement le titre japonais laisse entrevoir un espoir et il faudra voir ce film pour avoir une réponse ; ne comptez pas sur cette chronique pour vous offrir toutes les réponses.

Un film, des versions

 

« Virus » n’est pas un film aisé à trouver de nos jours. La version complète dure 2h36 et c’est elle qu’il faut voir. Une version de 1h48 fut proposée à la sortie dans les salles occidentales, amputant plusieurs intrigues secondaires qui donnent pourtant au film toute sa profondeur. La version courte s’intéresse surtout à la catastrophe, alimentant une approche très anxiogène, tandis que la version longue ajoute une dimension humaine, beaucoup plus juste. Le destin de ces derniers survivants, errant dans un monde mort, se nourrit de réflexions sur la vie, les enfants, l’amour, le pouvoir, le sens de l’Histoire et il serait dommage de se contenter des séquences spectaculaires typiques des films catastrophes.

 

Œuvre japonaise, « Virus » profite d’un casting international de choix, avec entre autres Glenn Ford, en président des États-Unis, Robert Vaughn, flegmatique et désabusé sénateur, l’excellent Henry Silva et le cultissime Edward James Olmos que l’on va retrouver deux ans plus tard dans « Blade Runner ». Tourné littéralement aux quatre coins du monde (Antarctique, Machu Pichu, Tokyo, Canada), le film a disposé de moyens conséquents pour offrir un moment de cinéma immersif et spectaculaire, dans la droite ligne des nombreuses productions de films catastrophes des années 1970.

 

Affiche alternative

 

Un regard japonais, une œuvre de Guerre froide

 

Avant de devenir un film « Le jour de la résurrection » fut un roman d’anticipation, écrit par Sakyo Komatsu et paru en 1964. Ce dernier est connu en France à travers son best seller, « La submersion du Japon »,  paru en 1973, et qui a été adapté en série animée sur Netflix.

 

L’adaptation de Kinji Fukasaku diffère du roman ; dans ce dernier, centré sur le virus, la menace a été rapportée d’une mission spatiale américaine, avant de s’échapper et de profiter de la folie des hommes, des terroristes, pour contaminer toute la planète. Le film est l’occasion pour le réalisateur de mettre en avant la menace nucléaire, décisive pour comprendre de très nombreuses œuvres post Hiroshima[1], la course aux armements, en plus de la menace d’une pandémie.

Dans le film Est et Ouest ont entamé des accords, en 1981, pour penser un désarmement et mettre fin à la course frénétique aux armes nucléaires et bactériologiques. Cependant dans chacun des camps des forces, essentiellement des militaires, tentent de s’opposer à ce mouvement de réchauffement des relations Est-Ouest. C’est dans ce contexte qu’est activé aux USA l’ARS (Automated Reaction System), qui permet de lancer automatiquement des armes nucléaires (les Soviétiques développent le même système), et que s’engage une course pour récupérer un virus, le MM808. Ce dernier, héritier des recherches en guerre biologique, pourrait donner un avantage décisif au camp qui pourrait disposer d’un vaccin.

De façon très claire « Virus » est la synthèse des peurs nippones et de façon plus globale des tensions de la Guerre froide, du MAD et de la destruction mutuelle assurée. L’ARS est aussi une forme de grille de lecture par anticipation de l’IDS chère à Reagan.

 

L’emballement infernal

 

Le film touche juste dans sa capacité à imposer un regard terrifiant sur les engrenages fatals, sur le hasard du destin, d’une balle, d’un accident, aux conséquences absolument dévastatrices. Volé, le virus s’échappe au hasard d’un accident d’avion dans les Alpes italiennes. En quelques semaines il se répand et provoque bientôt des millions de morts. Personne ne comprend vraiment ce qui se passe, les autorités se crispent, se radicalisent tandis que les populations paniques. Maintenant que nous avons vécu la crise du COVID, ces scènes donnent à réfléchir avec encore plus d’acuité.

La folie d’un militaire du Pentagone pousse pour le lancement d’une activation de l’ARS, afin de préparer une attaque soviétique qui semble imminente. Il en est de même à Moscou. Mais la folie du général est bientôt rattrapée par la triste réalité ; il n’y a point d’attaque, simplement la fin de l’humanité et de toute vie du fait d’un virus échappé des éprouvettes de la science humaine. 7 millions de morts à New York, 6,9 à Londres, 7,8 à Moscou, 10 à Tokyo. Les chiffres écrasent le spectateur.

Réfugiés en Antarctique, car le virus craint le froid, du moins entre en sommeil, les 863 survivants, de tous horizons, tentent de survivre. Une majorité d’homme, 8 femmes. Comment penser le repeuplement de la Terre ? Comment survivre en songeant aux milliards de morts ?

Hélas un scientifique japonais découvre que le pire reste à venir. Un tremblement de terre majeur risque de frapper la côte Est des USA et, par voie de conséquence, de déclencher l’ARS qui croira à une attaque soviétique. Les missiles lancés, l’ARS soviétique fera de même et l’hiver nucléaire s’abattra sur Terre. Il faudra voir le film pour connaître le dénouement de ces catastrophes potentielles.

 

Les vivants et les morts au début des années 1980

 

Le film de Kinji Fukasaku s’inscrit pleinement dans un vaste mouvement de réflexion cinématographique qui, dans la première moitié des années 80, propose d’alerter les opinions, du moins de donner à réfléchir sur la fin d’un monde que l’on sait possible. Déjà en 1977 « Holocaust 2000 »,  réalisé par Alberto De Martino, avec Kirk Douglas en tête d’affiche, proposait une grille de lecture sur les dangers du nucléaire, convoquant ici l’antéchrist comme élément déclencheur.

 

Georges Miller, à travers « Mad Max », s’engouffre dans cette voie en 1979 une première fois, avant de proposer en 1981 une version encore plus radicale.

 

Pour en revenir à la peur du nucléaire, Mad Max n’apportant par totalement de réponse quant à ce qui mena à la fin du monde actuel, deux autres films méritent d’être cités. Le premier, très méconnu, pourtant absolument passionnant, porte un titre évocateur : « La troisième guerre mondiale ».

 

Sorti à la télévision, il remporta un franc succès et propose une réflexion très pertinente sur le risque de confrontation nucléaire, au début des années 1980, alors même que Ronald Reagan relance la course aux armements. Tourné comme un documentaire, « The day after », en 1983, est encore plus terrifiant.

 

Passé à la télévision, il marqua l’opinion par son réalisme, ce qui est évoqué avec brio dans l’excellente série « The Americans ».

 

« The Americans » propose de suivre la vie de deux espions soviétiques infiltrés au cœur des EUA, au début des années 1980. Excellente à tout point de vue, elle permet dans la saison 4, épisode 9, de découvrir comment « The day after » provoqua un choc dans les foyers américains.

Pour tous les spectateurs le choc provoqué par « The day after » est réel

 

« Virus » s’inscrit ainsi dans cette séquence d’œuvres cinématographiques et télévisuelles qui proposèrent aux spectateurs occidentaux de sonder les dangers d’une Guerre froide qui repartait de plus belle. Précieux et intelligent, il mérite amplement sa place dans ce dossier, ne serait-ce que pour le faire sortir de l’oubli.

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Fiche technique

 

Tōhō / 1980 / 2h 36 min / Anticipation

Titre original 復活の日 (Fukkatsu no hi)

Réalisateur : Kinji Fukasaku

Scénariste :   Kinji Fukasaku, Kōji Takada, Gregory Knapp, d’après la nouvelle de Sakyo Komatsu

Musique : Kentarô Haneda et Teo Macero

Avec

Masao Kusakari, Bo Svenson, George Kennedy, Olivia Hussey, Glenn Ford, Robert Vaughn, Henry Silva, Edward James Olmos, Tsunehiko Watase, Isao Natsuyagi , Shin’ichi Chiba

 

 

[1] Voir le dossier Cliogeek : https://www.clionautes.org/le-nucleaire-et-la-pop-culture-saison-1-la-boite-de-pandore-a-lepoque-de-la-guerre-froide-peurs-et-espoirs.html