Au début du mois de février 2022, le Mémorial de la Shoah proposait un très beau film-documentaire réalisé par Henry Colomer susceptible d’ouvrir des perspectives intéressantes pour tout enseignant travaillant avec ses élèves sur la problématique mémorielle.

Le point de départ de la réflexion vient au réalisateur après avoir pris connaissance du destin tragique d’un jeune malien de 15 ans retrouvé noyé, son carnet scolaire cousu sur ses vêtements, comme un talisman auquel il se raccrochait. Ce détail, émouvant, lui donne envie de déplier le certificat d’études primaires de son père délivré en 1941. Que disent ces talismans que chacun conserve ?  Huit intervenants viennent raconter leur histoire.

Henry Colomer

Six personnes ont été invitées par Henry Colomer pour raconter « leurs » talismans : la psychanalyste Françoise Davoine ouvre, suivie d’Arlette Farge, historienne, spécialiste du dix-huitième siècle, et de Batia Baum qui enseigne et traduit le yiddish. Puis viennent Jacques Fraenkel, exécuteur littéraire de Robert Desnos, la traductrice Sophie Benech et enfin, Llibert Tarrago, écrivain et traducteur depuis le catalan, fils Joan Tarragó, « le bibliothécaire de Mauthausen » qui parvient à sauver dans l’univers concentrationnaire environ 200 ouvrages qui ont permis durant quelques instants aux déportés de s’échapper mentalement de l’Enfer dans lequel ils avaient été précipités. Entre chaque témoignage, Henry Colomer interroge de son côté la mémoire de son père et de sa mère à travers des photos et des témoignages qu’il a conservé au fil du temps.

 

Capture d’écran

 

Chaque récit se présente comme un pont jeté entre les périodes et les tragédies, celles allant des ravages de la Guerre de Trente ans via les toiles de Fabritius, aux charniers de l’ex-Yougoslavie, de la Seconde Guerre mondiale passant du maquis aux ghettos avec le recueil de chansons françaises d’Henri Davenson présenté par Françoise Davoine et l’évocation de la langue interdite, du silence évoqué dans les berceuses et l’absence de parole de celui qui est revenu des camps pour Batia Baum.

Dans ces divers contextes, le livre révèle au fur et à mesure sa dimension salvatrice, que ce soit le papier qui sert à soigner, évoqué par Larrey, chirurgien de la Grande Armée napoléonienne à celui qui est brûlé pour ne pas mourir de froid durant la guerre. L’importance de la poésie revient comme un élément récurrent dans plusieurs témoignages dont celui de Jean Samuel, « Piccolo », qui racontait au réalisateur en 1990 comment Primo Levi lui avait appris l’italien à partir de vers de l’Enfer de Dante.

Ce film interroge la mémoire et l’histoire de chacun mais aussi le travail de l’historien(ne) comme le montre la participation d’Arlette Farge, qui partage avec nous son « goût de l’archive » au travers des manuscrits sous forme de petits billets retrouvés dans les poches ou cousus sur les vêtements d’individus retrouvés noyés, traces infimes en général indéchiffrables et gardant leur mystère pour l’historien(ne) tout en traduisant un espoir personnel, car c’est bien aussi l’espoir qui accompagne chacun des récits choisis par Henry Colomer.

Capture d’écran

 

Ce film poignant à bien des égards, permet de mettre en relief « des petits riens qui valent pour le tout » et amène le spectateur à s’interroger sur sa propre histoire. En noir et blanc, il se distingue par sa sobriété et l’émotion palpable qui se dégage grâce à une écriture maîtrisée et soignée, celle du réalisateur.

Henry Colomer a reçu le prix Georges Duby du documentaire historique en 2022 lors des derniers rendez-vous de l’histoire de Blois.

À ces titres divers, il saura trouver sa place dans les projets pédagogiques alliant les thématiques liées à  l’histoire et au français.

Talismans d’Henry Colomer, 2022, 1h23, Saraband Films