Lettonie, Une république soviétique entre 1979 et 1989. À travers le regard d’une enfant qui devient adolescente, comment ce petit territoire, composante de l’empire russe, indépendant dans l’entre-deux-guerres, rattaché à l’Union soviétique après la seconde guerre mondiale a-t-il vécu cette période de la guerre froide, jusqu’à son indépendance.

Ce film d’animation qui associe quelques documents d’archives mérite largement le déplacement. Cette critique est rédigée après quatre semaines de guerre déclenchée par la fédération de Russie contre l’Ukraine prend une tournure particulière, lorsque l’on sait que l’action de « « My favorite war » se déroule dans l’ancienne république socialiste soviétique de Lettonie. C’est là que la réalisatrice Ilze a vu le jour en 1971, et c’est dans cet univers socialiste qu’elle a pu vivre son enfance et son adolescence.

Ce territoire, comme les deux autres pays baltes, l’Estonie et la Lituanie, a fait partie des conquêtes de l’empire russe à partir du règne de Pierre le Grand, a pu accéder à l’indépendance à la faveur de la révolution d’octobre, mais a ensuite été réintégré après la seconde guerre mondiale. Peuplé par moins de 2 millions d’habitants il comporte une minorité russe représentant 25 % de la population.

 


Guerre en Ukraine : le grand désarroi des russophones de Daugavpils, en Lettonie

Dans cette ville située près des frontières russe et biélorusse, la guerre en Ukraine déchire les familles, la population se divisant entre Russes ou russophones et Lettons. Vers qui doivent-ils se tourner ?


Dans le contexte actuel, on peut comprendre que la Lettonie puisse manifester quelques inquiétudes, d’autant que 13 % de sa population, des russophones qui n’ont pas souhaité passer le test obligatoire en langue lettone, ne dispose pas du droit de vote.

On peut comprendre à la fois les inquiétudes de ce pays, face aux prétentions russes, surtout lorsqu’elles se traduisent par l’invasion du territoire d’un État souverain, mais il n’empêche que pour les Lettons, la mémoire de ce qu’ils considèrent comme ayant été une occupation soviétique demeure particulièrement à vif.

Lettonie – Une république soviétique

Lettonie URSSCe film d’animation relève, avec une précision documentaire, sauf peut-être sur les transitions entre 1982 et 1985, à la tête du parti communiste d’Union soviétique, les grands épisodes de la période 1970 – 1990. C’est le regard d’une enfant, qui devient adolescente, dont l’histoire familiale s’inscrit au cœur de la grande histoire, à partir de la seconde guerre mondiale, qui constitue le fil conducteur de ce film.

Ilze a passé une partie de son enfance dans la ferme de son grand-père maternel, et on apprend, au fur et à mesure que ce vieux monsieur, farouchement antisoviétique, a été déporté en Sibérie, en raison de son statut social de fermier–propriétaire terrien. Il est vrai qu’au lendemain de la seconde guerre mondiale, la soviétisation des pays baltes s’est faite par le biais d’une collectivisation des terres, même si quelques exploitations individuelles pouvaient survivre.

Des russophones se sont également installés sur le territoire de ce qui est devenu une des 15 républiques socialistes constituant, tout comme l’Ukraine d’ailleurs, l’Union soviétique. Le père d’Ilze décède alors qu’elle a sept ans, et la petite fille avec sa mère et son petit frère se retrouvent dans la ville de Saldus, à proximité d’une zone que les historiens de la seconde guerre mondiale ont appelée le chaudron de Kourlande. À la fin de la seconde guerre mondiale plus de 300 000 soldats de la Wehrmacht ont été piégés dans une poche sur laquelle des assauts de l’armée rouge se sont poursuivis près de 10 jours après la capitulation du troisième Reich le 9 mai 1945. L’évocation de cet affrontement, dont l’utilité militaire n’était pas forcément évidente, constitue également un des secrets qui pèse dans la région et que la jeune Élise cherchera à lever.

Élise se retrouve dans une ville au décor sinistre, et l’on retrouve ces immeubles construits pendant la période soviétique, uniformément gris, sans aucune préoccupation d’aménagement urbain. Ceux qui ont connu la période soviétique avec les écolières en uniforme, jupe noire chemise blanche, et ruban dans les cheveux, ne seront pas dépaysés. Dans cette école qui devait porter probablement le nom d’un numéro, le culte des héros de la Grande guerre patriotique est soigneusement entretenu. Comme tous les écoliers Élise rejoint les pionniers, l’organisation de jeunesse du parti communiste d’Union soviétique, et comme elle est bonne élève, se retrouve à 10 ans leader de son groupe d’école.

Le formatage idéologique repose autour de l’histoire de la seconde guerre mondiale, et même si nominalement la Lettonie est une république socialiste, elle est fortement intégrée à cet ensemble multinational que compose l’Union soviétique. Le film est d’ailleurs très précis à cet égard, car les seules évocations de la Lettonie reposent uniquement sur le folklore, absorbé par une référence omniprésente à la patrie soviétique.

En dehors des activités « de travail social », une évocation des samedis communistes pendant lesquelles, sous la direction du parti, les habitants d’un quartier se mobilisaient pour des travaux d’entretien, la vie est plutôt rythmée par les déplacements permettant d’accéder à la nourriture. Pour ceux qui ont connu Union soviétique, on retrouve, remarquablement brossés, ces décors de magasins aux rayons vides et aux vendeuses revêches. Les queues pour s’approvisionner traduisent les difficultés de la vie quotidienne, tandis que dans le quartier où habite l’héroïne une construction d’un immeuble d’habitation qui se dégrade avant même d’être achevé constitue une illustration de l’échec du système économique soviétique.

Lettonie – Perestroïka

L’arrivée de Gorbatchev au pouvoir en 1985 montre comment le système que l’on avait voulu sauver, avec la perestroïka, finit par s’effondrer. Le désir d’indépendance des populations baltes, mais aussi des républiques d’Asie centrale, constitue sans doute l’élément déterminant de l’échec d’une réforme de l’Union soviétique.

À la lumière des événements actuels, au 28e jour de la guerre d’agression menée par la Russie contre l’Ukraine, ce film documentaire qui part d’une expérience personnelle apporte un certain éclairage. L’évocation par Vladimir Poutine de la Grande guerre patriotique menée contre les nazis, qui sont censés opprimer les russophones en Ukraine s’inscrit dans la continuité du culte mémoriel qui a survécu à l’effondrement de l’Union soviétique. La situation récente montre qu’il faut toujours prendre au sérieux ce que peuvent dire les autocrates. Lorsque Vladimir Poutine parle de l’Ukraine comme étant le cœur de la Russie, il faut se souvenir que ce territoire a été conquis par les armes avec l’ambition géopolitique de repousser la frontière à l’ouest. De la même façon, lorsque Pierre Legrand s’engage dans la Grande guerre du Nord, il s’agit de briser le contrôle suédois sur la rive méridionale de la Baltique. La première indépendance des pays baltes obtenue à la faveur de l’effondrement de l’empire russe doit rappeler que l’Ukraine a pu connaître, plus rapidement que les territoires nordiques, une indépendance qui a été brisée par les soviétiques en 1921. Pour les trois pays baltes le pacte germano soviétique dans un premier temps, la victoire contre l’Allemagne, visait à corriger par la force des armes ce que Moscou considérait comme une anomalie de l’histoire.

Le soutien aux russophones, par-delà les frontières de la Russie actuelle, est une constante qui n’a eu de cesse de se renforcer dans la vision de Vladimir Poutine. Cela se traduit par cette expression, de plus en plus souvent utilisée, de « monde russe ». Cela signifie à la fois la culture, le peuple, la langue, la religion orthodoxe rattachée au patriarcat de Moscou, qui doivent constituer le cœur de la reconstitution de la puissance russe. Et à cet égard, dans ces pays baltes où les minorités russophones sont importantes, il faut nécessairement prendre la mesure du danger. Certes, les trois pays baltes ont rejoint l’OTAN, puis l’union européenne ensuite, et des forces prépositionnées, dont celle de la France, sont présentes sur ces territoires. Il ne faut pas oublier non plus l’enclave russe de Kaliningrad au contact de la Lituanie et de la Pologne, un territoire à partir duquel l’armée russe a déployé des Mig 31 et des missiles hypersoniques. Cela s’inscrit incontestablement dans une forme de pression à l’égard de l’OTAN, en cas de menace d’intervention de l’alliance atlantique en soutien à l’Ukraine.

Comme on le voit dans cette présentation, ce film d’animation constitue également un excellent documentaire sur la situation d’un des trois pays baltes, situés entre la Lituanie et l’Estonie, pendant la période soviétique. On y trouve une forme de nostalgie douce amère dans le regard de cet enfant qui devient adulte et qui voit ce monde construit autour d’une vision guerrière de l’histoire se déliter. Les dernières images montrent cette immense chaîne humaine qui réunit en signe d’unité dans leur quête de liberté, près de deux millions de personnes le 23 août 1989 pour former la Voie Baltique de 600 kilomètres …

Il faut former le vœu que cette chaîne humaine qui a aujourd’hui 33 ans suffise à arrêter des ambitions criminelles contre la souveraineté des peuples. Il faudra également considérer, qu’au-delà de quelques nostalgiques de l’ordre soviétique, les russophones de ces trois pays baltes doivent aussi être considérés comme des citoyens européens à part entière, sans que leur langue ne soit un élément discriminant, ce qui est tout de même le cas aujourd’hui en Lettonie.