Elles se sont connues sur un rond-point un samedi de novembre 2018, dans l’une de ces campagnes de Normandie où l’engagement des femmes a marqué le mouvement des gilets jaunes. Après des mois de mobilisation, Stéphanie, Catherine, Sandra, Evelyne et Christine n’ont pas baissé les bras. Le petit groupe a décidé de ne pas se quitter et de poursuivre la lutte, autrement. Les femmes ont maintenant une conviction : pour gagner du pouvoir d’achat il faut revenir à la terre.
Voici le troisième épisode, on pourrait dire le troisième acte, pour imiter l’appellation donnée par les chaînes d’information en continu, de cette série documentaire diffusée sur France 3, consacrée au mouvement des gilets jaunes, vu sous l’angle de la mobilisation des femmes.
Ce troisième opus, si on m’autorise ce terme un peu élitiste, conduit le spectateur en Normandie, à la rencontre d’un collectif appelé « soleil normand ».
Contrairement aux mouvements précédents, ce collectif de femmes dans lequel on retrouve une ancienne coiffeuse, une chauffeur(e) de taxi, mais aussi une soudeuse métallière, les préoccupations semblent plus globales. Dès le début du documentaire, le ton est donné avec une voix off qui parle du retour à la terre.
On se retrouve également sous une tente qui rappelle un peu celle de ses fêtes militantes, fête de l’Humanité ou de Lutte ouvrière comme on voudra, où l’on vient de passer, avant l’inévitable débat, le fils de François Ruffin, « je veux du soleil ».
Le ton est donné, nous sommes ici chez les « jaunes et verts », avec un petit zeste de rouge quand même, et on attend avec impatience d’aller voir, si c’est possible, « les jeunes et bruns ».
Car avec le troisième opus, on se retrouve toujours dans la même logique, celle d’un mouvement qui a davantage occupé les chaînes d’information en continu, et les dossiers de demandes d’indemnisation des commerçants des centres-villes, que les esprits aujourd’hui , surtout avec le recul de quelques mois.
C’est d’ailleurs une des limites de ce genre documentaire, puisque à aucun moment, on excusera cette coquetterie historien, le mouvement ne se situe dans le temps. On se livre donc à une introspection, plutôt sympathique d’ailleurs, parfois touchante, de ces femmes dont la vie a probablement changé, par les rencontres qu’elles ont pu faire sur ces fameux ronds-points. Effectivement on se retrouve dans une forme de contestation bucolique où l’on redécouvre le jardin potager et les joies de la permaculture en répartissant de la paille et de l’herbe fraîchement coupée pour prendre son indépendance à l’égard de la grande distribution.
Il y a tout de même une image très forte, lorsque cette femme, d’origine sociale très modeste, sans doute allocataire du RSA, explique en larmes qu’elle ne pourra jamais accéder à ces produits bio inaccessibles pour sa bourse.
Si le documentaire précédent nous avait fait rentrer dans cette France des marges, celle de la désindustrialisation et de la misère, dans celui-ci la précarité se fait champêtre, et au passage, ces ronds-points, on les voit à peine.
C’est un peu le sentiment d’inachevé que donne ce troisième volet, où l’on présente davantage l’après que le pendant. Certes, ce n’est pas un reportage en live, mais cette présentation idyllique dérange. Même les quelques rares images de violence, où ce sont davantage les policiers qui sont en action que les manifestants semblent bien timides. On t trouve tout de même quelques bons moments, notamment cet échange dans un couple qui vient de se constituer, avec Pierre qui garde la fille de Sandra pendant que cette dernière découvre le militantisme. Car au final, sans doute est-ce la conséquence de l’histoire personnelle de l’auteur de ces lignes, ce mouvement social qui, rappelons-le, n’a engagé au maximum que 300 000 personnes véritablement actives, donne le sentiment de réinventer ce que l’on a pu connaître pendant des décennies.
Oui le militantisme implique des sacrifices. Certes, l’action politique a des conséquences dans la vie personnelle, peut déstabiliser les couples, susciter l’incompréhension. Les personnages qui sont présentés dans ce volet la découvrent, c’est déjà une expérience positive ! Mais un esprit malin nous amène à questionner: tout ça pour ça ?
Alors c’est vrai que les réseaux sociaux, les chaînes d’information en continu, avec leurs logiques d’occupation du temps d’antenne, ont pu créer un étrange halo, plutôt jaunâtre, qui a pu recouvrir le pays pendant de longues semaines, pendant que quelques milliers de personnes s’investissaient dans ce qui était leur combat, et qui les amenait à se parler, à échanger, à se rencontrer.
Si l’on ne peut demander un documentaire de se livrer à une analyse fine des contradictions politiques qui traversent un mouvement social, on peut s’interroger sur cette vision bien aseptisée, qui transparaît de plus en plus, au fil du déroulement de cette série, qui pourrait, c’est ce que certains de ses protagonistes espèrent, proposer une deuxième saison. Peut-on dire clairement que ce mouvement était multiforme, multifactoriel, et que les formes d’engagement y étaient très différentes, et les revendications exprimées, très souvent contradictoires.
Dans cette série des critiques, les articles sont rédigés après le visionnage de chaque épisode, afin de ne pas être tenté d’en déflorer l’histoire et de conserver une certaine spontanéité dans la découverte. Peut-être que les épisodes suivants viendront apporter une réponse à un jugement que l’on pourrait trouver négatif, mais c’est un risque que l’on a choisi de prendre.
La suite à venir.
Des femmes en colères – lundi 9 décembre
Un documentaire réalisé par Anne Gintzburger
Pour Sabrina, Lydie, Marie et leurs camarades, la résistance s’est écrite sur un rond-point. Toutes ensemble les femmes gilets jaunes se dressent pour défendre l’avenir de leurs enfants et faire entendre la voix de toutes les familles précaires. A Montchanin et à Montceau-les-Mines, dans ce bassin minier marqué par des années de crise, les femmes relèvent la tête et témoignent des inégalités qui progressent. En sortant de l’ombre elles ont aussi découvert dans la mobilisation qu’elles n’étaient plus seules.
Les combattantes – lundi 16 décembre
Un documentaire réalisé par Anouk Burel
Loin de Bordeaux où les manifestations ont été intenses, ce film part à la rencontre d’un petit groupe de femmes Gilets Jaunes, réunies autour du rond-point Auchan Sud de Poitiers. Magali, Peggy, Françoise, Nadine et Charlotte ont lutté pacifiquement pendant un an et elles n’auraient jamais eu l’occasion de se connaître en dehors de ce mouvement. Ce film témoigne de leur lien au-delà des barrières sociales, de leur solidarité entre femmes, de la façon dont elles ont retrouvé une place et sont sorties ensemble de leur isolement.
Et sur France Ô
Les gardiennes de l’île – Jeudi 24 octobre 2019 à 20.55
Un documentaire réalisé par Claire Perdrix
Elles ne se connaissaient pas il y a un an. Elles ont des âges, des parcours, des situations sociales différentes, mais elles partageaient sans le savoir une même révolte contre la vie chère, les perspectives d’avenir bouchées et le mépris de ceux qui prennent les décisions à 10 000 km de là. Pour la première fois de leur vie, les femmes réunionnaises ont décidé de ne plus se taire, de ne plus laisser aux hommes le monopole du combat. Elles sont montées au front dès le début du mouvement, vêtues de leurs chasubles jaunes, sacrifiant, s’il le fallait, leur vie professionnelle et parfois même leur vie de famille. À travers le portrait de cinq femmes, dans leur intimité et au sein du groupe, ce film est le récit d’une lutte qui perdure au-delà des barrages et qui a transformé chacune d’elles en profondeur. Voir plus