Ce 23 décembre 2021, TF1 diffuse les trois premières épisodes d’une nouvelle série allemande consacrée à l’impératrice Elisabeth d’Autriche (1837-1898), dite « Sissi », avec Dominique Devenport dans le rôle-titre. Ce qui va suivre est une analyse de l’épisode 1, sur lequel repose en fait l’audimat de toute la série. Si le téléspectateur décroche, il y a peu de chances qu’il tienne jusqu’aux douze coups de minuit pour les trois épisodes. 

Résumé de l’épisode 1

La trame de l’épisode est très proche de la version de 1955. Alors qu’il doit se fiancer avec sa cousine Hélène en Bavière lors de son anniversaire à Bad Ischl dans le Tyrol autrichien, l’empereur François-Joseph tombe sous le charme d’Elisabeth. La jeune fille, encore adolescente, n’est pas préparée pour ce rôle. Elle n’aime que monter à cheval et écrire des poèmes, à la grande joie de son père, Maximilien, cadet de la famille royale bavaroise et connu pour ses positions libérales. Pourtant, elle est séduite par ce cousin, intrigue même auprès de sa potentielle future belle-mère pour obtenir « la robe » qui lui permettra de capter tous les regards au prochain bal. Sans surprise, François-Joseph la choisit comme fiancée.

La plongée dans la sexualité de Sissi et de François-Joseph

 L' »entrée dans le film », c’est-à-dire la scène d’exposition, donne le ton.  À grands renforts de gémissements et de gros plans sur ses cuisses écartées, la jeune Sissi découvre les joies de la masturbation. On est loin de la première version où à dos de cheval, Sissi effrayait sa mère en sautant par-dessus les massifs. Quelques minutes plus tard, histoire d’enfoncer le clou, nous avons droit aux réflexions balourdes sur la sexualité avec sa sœur Hélène, camouflées derrière de sombres histoires de « truites ». Nous sommes à table tout de même.

À quoi tout ce déballage sert-il ?

La petite Dominique Devenport  répond dans une de ses interviews promotionnelles, que toutes les scènes de sexe se justifient, qu’elles sont « très importantes« , pas comme dans ses autres films où  » elles sont là pour rendre le film plus intéressant ». Elle explique également que le mouvement du corps lors des ébats permet de trancher avec les corps immobilisés en temps normal sous la contrainte du corset. Je n’ai pas trouvé personnellement qu’elle était statique dans ses robes, ni que les autres personnages étaient poussés sur des caisses roulantes, mais soit. C’est amusant le déni.

La violence

Pour ceux qui attendent cette ambiance, mieux vaut passer son chemin…

Dans l’épisode, la sexualité sert presque toujours de contrepoint à une scène violente. Revenons-en à la scène d’exposition. Pendant que Sissi a son premier orgasme, direction la Hongrie où François-Joseph assiste à une exécution de rebelles. L’ambiance est lourde, on l’imagine. La femme d’un condamné s’efforce d’amadouer l’impassible empereur. Elle le supplie de lui accorder grâce, l’homme a un enfant, qu’on a cru bon d’amener et de prendre dans les bras pour qu’il ait une vue directe sur le gibet. Silence. L’empereur confirme l’ordre de pendaison. Gros plan sur la potence où gît déjà le cadavre d’une exécution précédente. Le bruit du plancher qui s’effondre, suivi de la corde fatale qui se fige, annonce la mort du condamné, sous les cris indignés du public. On retourne à l’empereur, qui n’a pas cillé. La veuve maudit alors François-Joseph et ses descendants, comme Jacques de Molay prophétisait la mort de Philippe Le Bel dans Les Rois Maudits. Ambiance. Évidemment, rien n’est dit sur le contexte. Tout cela n’est qu’un décor. On n’en saura un peu plus dans les épisodes suivants, mais encore faut-il que le public soit encore là.

À un autre moment, alors que Sissi et François-Joseph profitent d’un répit après une attaque armée dans la forêt, Sissi contemple avec du feu dans les yeux le torse nu de l’empereur. Oui je sais, ceux qui connaissent le film de 1955 doivent se dire qu’il n’y aura sans doute pas la fameuse scène de la cithare où François-Joseph ose un chaste baiser sur la bouche. Nous sommes modernes. Mais je parlais de violence. Alors qu’on ne s’y attend vraiment pas, François-Joseph égorge un cheval qui avait été blessé, sans doute pour abréger ses souffrances. Le public est stupéfait mais notre Sissi a le cuir épais, elle continue de couver le torse rougi du cher Franz.

Au-delà de cette violence physique, il est frappant de voir le manque de tendresse dans les rapports humains en général. Dans le film de 1955, la Bavière était un havre de paix mais pas en 2021. La mère et la fille aînée Hélène sont loin d’être aussi chaleureuses et aimantes; j’ai vu dans un article qu’il s’agissait pour Hélène de ne pas en faire une « potiche ». Étrange conception qui assimile l’amour familial à une preuve de faiblesse. Même la relation de Sissi avec son père Maximilien n’est pas aussi naturelle qu’attendue; le père attend de sa fille une espèce de perpétuation de son exemple d’insoumission. Je passe sur les rapports entre Ludovica et sa sœur l’archiduchesse Sophie, mère de l’empereur: leur conversation tourne vite au comice agricole ( « Hélène a une petite poitrine mais des menstruations régulières »).

Eros et Thanatos, est-ce original ?

Le « réalisme » chanté à longueur d’interview, mais où est-il donc ? Est-ce vraiment original cette alternance sexe-violence ? J’ai l’audace de penser que non, et qu’au contraire, l’alignement de clins d’yeux pompiers aux séries télé à succès de ces dix dernières années n’est pas vraiment la preuve d’une quelconque originalité.  Il y a confusion entre réalisme et obscénité. Au passage, impossible de laisser ses jeunes enfants tout seuls devant la télévision, à moins de vouloir passer le reste de la soirée à expliquer, contextualiser, couper…

À l’issue de ce premier épisode, la vérité historique n’est pas mieux servie que dans la version de 1955. On a inventé des scènes non seulement fausses mais aussi ridicules. La palme du grotesque revient à cette agression dans la forêt qui assure juste la minute hémoglobine. Mais attention, ce n’est la palme que de cet épisode; eh oui !, le pire est à venir.

On a complètement noirci l’environnement familial de Sissi, en chargeant la mère Ludovica et la sœur Hélène de toutes les frustrations et mesquineries possibles. À tort bien sûr. Même la fameuse « romance » n’a pas été respectée. Dans les faits, François-Joseph a parlé mariage dès le lendemain de sa rencontre avec Sissi; on n’en est pas là dans le film. Sur ce plan, un point à la version de Marischka. Sven Bohse s’est même autorisé une scène où Sissi supplie sa future belle-mère de lui trouver une robe digne de son bal de Cendrillon, en échange de sa future loyauté. La robe d’ailleurs elle-même était un clin d’œil à la version réadaptée de Cendrillon de 2015.

Une qualité artistique en dessous d’Ernest Marischka

Au-delà de l’histoire, il y a aussi toute la dimension artistique de l’œuvre. Une fois encore, l’épisode n’est guère convaincant. Ernst Marischka nous emmenait à la Kaiser Villa à Bad Ischl, le lieu historique des fiançailles. Ici, on est ailleurs mais il n’y a pas eu d’effort de réalisme particulier sur les décors intérieurs de cet épisode. Même chose pour la musique. Dans la version de 1955, Strauss était là, l’hymne impérial aussi au passage, et une œuvre ou deux de Chopin. C’était du classique et attendu. Ici, la musique ne correspond à rien. Un peu de Mozart à de très rares moments, et ensuite ces motifs acoustiques répétitifs qu’on a maintenant dans toutes les séries télévisées et qui servent à distiller l’angoisse. Il n’y avait que Sofia Coppola pour réussir à marier une bande sonore new wave dans un film historique. Dans cette série, on est davantage dans l’ambiance Versailles de Canal+.

Pour les costumes, c’est la même légèreté je le crains. La version de 1955 restait dans le plausible mais ne faisait pas dans l’authentique. Celle de 2001 n’est ni dans l’un, ni dans l’autre. À l’extérieur, l’empereur est en uniforme mais aucune coiffe à l’horizon. Un comble, quand on pense justement à la raideur autrichienne en matière de tenue vestimentaire.  Quant à Sissi, ses épaules sont largement dénudées dès 10h le matin et elle ne porte jamais de chapeau. Quoi de plus naturel pour une jeune fille de haute naissance partie en représentation au XIXe siècle…

La version de 1955 était du sirop, celle de 2021 en a la couleur mais est à recracher comme de l’Hextril. À part la qualité du vert de la forêt, je ne sais pas quoi sauver dans ce premier épisode.

Pour consulter la critique de l’épisode 2, c’est par ici…