Bloody Sunday
Née en 1972 entre Selma et Montgomery, Ava DuVernay signe ici un quatrième film qui lui a déjà valu un Golden Globe du meilleur réalisateur en 2015.
Le film traite avant tout de l’implication de Martin Luther King (David Oyelowo) et de la Southern Christian Leadership Conference dans les trois marches successives effectuées de Selma à Montgomery, dont les images du Bloody Sunday du 7 mars 1965 firent le tour du monde. Le Britannique David Oyelowo prend ici un étonnant accent georgien pour incarner MLK, qui apparaît ici sous un angle plus intimiste que dans les productions où le mythe du monstre sacré des droits civiques semble préexister à toute action militante. Plusieurs scènes le montrent dans ses moments de doute, travaillé par les conséquences familiales et conjugales de son investissement civique, usé par l’effet dévastateur des menaces sadiques régulièrement détaillées par des inconnus au téléphone.
Qui sont les 67 juges des comtés de l’Alabama ?
Le film offre l’avantage de montrer à un public français des personnages moins connus en France comme Annie Lee Cooper (Oprah Winfrey est l’une des co-productrices avec Brad Pitt), qui, dans une des premières scènes, récite devant un officier d’état-civil le préambule de la Constitution de 1787, lui montre qu’elle connaît le nombre des juges pour l’ensemble des 67 comtés de l’Alabama mais se voit dénier une nouvelle fois le droit de vote parce qu’elle demeure incapable de nommer les dits magistrats. Elle est aujourd’hui connue aux États-Unis pour avoir frappé en retour le brutal shérif Jim Clark (Stan Houston), lors d’un sit-in en janvier 1965 devant le tribunal du comté de Dallas (Alabama).
Au delà des impressions françaises sur le Civil Rights Movement, l’œuvre donne à voir les tensions entre la SCLC et le Student Nonviolent Coordinating Committee (SNCC) autour de la stratégie à adopter à Selma. Le film joue son rôle pédagogique en montrant que la bêtise et la brutalité du shérif Jim Clark agissent comme un cadeau fait aux droits civiques, et c’est effectivement l’effet dévastateur des images violentes diffusées dans le monde entier sur la première marche de Selma.
Les films historiques incitent souvent à douter de la véracité des dialogues détaillés dans les scènes de huis-clos. Ici, une partie des dialogues et des conversations téléphoniques sont accompagnés d’un sous-titre référençant une fiche du FBI. Une des scènes les plus étonnantes est cet appel, enregistré par le FBI, que MLK passa en pleine nuit de doute avant Selma, à Mahalia Jackson (Ledisi Young) afin qu’elle lui fasse entendre la voix du seigneur par son chant.
Le prix Nobel et le Son of a Bitch
Sans surprise, Ava DuVernay montre un Edgar Hoover (Dylan Baker) prêt à tout à la tête du FBI. Le président Lyndon Johnson (Tom Wilkinson), vulgaire et grossier accueille le prix Nobel de la paix en lui posant la main sur l’épaule tout en confessant n’être lui-même qu’un « son of a bitch », expression qu’un sous-titrage a traduit par « grand gaillard ». On ignore ce que donnera la VF mais la relation MLK-Johnson semble davantage relever de la liberté de l’artiste que de l’histoire. Ava DuVernay a eu beau invoquer cette liberté de création, les sous-titres des fiches du FBI donnent pourtant l’impression qu’elle a tout de même un peu voulu faire œuvre d’histoire et il y a quelques inexactitudes ponctuelles comme la mort de Jimmie Lee Jackson, qui expira une semaine après une blessure par arme à feu.
Au delà de la simple incitation à le voir, le film est utilisable en classe d’anglais ou de DNL-Histoire de section européenne par exemple pour des scènes comme le literacy test infligé à Annie Lee Cooper, type d’événement rarement archivé alors que les très nombreuses vidéos de Selma ou du boycott des bus de Montgomery de 1955 foisonnent sur le net. Les élèves qui traitent la question en euro doivent absolument s’imprégner de ce film qui sera visible en France le 11 mars 2015.