Novembre, un regard neuf sur le terrorisme ?
Dire que ce film était attendu, est un doux euphémisme. De façon globale, le cinéma français n’est pas connu pour être capable, contrairement à son homologue hollywoodien, de s’emparer des questions brûlantes de l’actualité, d’autant plus lorsqu’il s’agit de guerre ou de terrorisme. Il suffit de comparer le traitement de la guerre du Vietnam et celui de la guerre d’Algérie pour mesurer l’ampleur de nos différences culturelles en la matière. Même l’après 11 septembre fut l’occasion pour Hollywood de se plonger dans ces moments d’histoire sans attendre que le temps infuse ses leçons, à l’image, entre autres exemples, de Vol 93 (2006) de Paul Greengrass, Zero Dark Thirty (2013) de Kathryn Bigelow, mais aussi Démineurs (2008), Battle for Haditha (2007), Le Royaume (2007), Mensonges d’État (2008) etc.
Pourtant, il serait injuste de résumer un cinéma français réduit aux approches frileuses en la matière. S’ils n’ont pas nécessairement marqué la critique et les esprits, L’Assaut de Julien Leclercq (2010), Forces spéciales de Stéphane Rybojad (2011) ou encore Secret Défense de Philippe Haïm (2008), ont apporté leur modeste pierre à ce travail de mise en perspective de nos mémoires immédiates. Plus récemment, Made in France de Nicolas Boukhrief (2016) a marqué les esprits en proposant une plongée au cœur d’une jeunesse française qui se radicalise. Prévu pour 2014, repoussé une première fois au 18 novembre 2015, ce dernier avait été une nouvelle fois repoussé après les attentats du 13 novembre. Le sujet, trop brûlant, semblait impossible à proposer sur les écrans dans une France saisie par l’émotion des attentats revendiqués par Daesh.
Novembre, de Cédric Jimenez, n’est donc pas un ovni sorti de nulle part. La French (2014) et Bac Nord (2021) ont été l’occasion d’illustrer le goût du réalisateur pour les travaux d’enquête, du travail de policier, au plus près du terrain. D’une certaine façon, son HHhH (2017) est aussi un travail d’enquête, remontant le fil de l’attentat qui provoqua la mort de Reinhard Heydrich, le 27 mai 1942.
Un travail d’enquête avant tout
Le choix de Cédric Jimenez a été dans Novembre de ne pas se focaliser sur les attentats, sur leurs causes, mais bien sur la traque qui a suivi, traque visant à arrêter les terroristes avant qu’ils ne puissent commettre d’autres attentats. Certaines critiques reprochent d’ailleurs ce parti pris : si filmer les attentats, reconstituer la fusillade du Bataclan, aurait pu légitimement être très mal perçu, tant ces événements sont encore dans nos mémoires, analyser les causes profondes de ces attaques, du basculement de ces jeunes dans un islamisme radical, sur fond de luttes intestines entre Al Qaïda et Daesh, aurait pu faire sens. Sans ambages, ces choix sont assumés.
Le scenario est absolument limpide : le dénouement est connu de tous, le dernier groupe de terroristes trouve la mort dans un assaut quelques jours après les attentats. L’histoire se résume donc en une course contre le temps, au plus près d’acteurs qui donnent vie à celles et ceux qui ont vécu ces moments intenses. Si l’émotion est là, toujours palpable, le piège d’un pathos trop affirmé est évité. Jean Dujardin, propose un jeu minimaliste et, comme ses compagnons de route, Jérémie Renier, Cédric Khan, Sandrine Kiberlain, colle parfaitement à la situation. Mention spéciale à Sami Outalbali, campant un policier, Kader, partiellement perdu face au drame, Lyna Khoudri, Samia, qui tente de sauver ce qu’elle peut d’une vie consumée par le radicalisme et, plus encore à Anaïs Demoustier, Ines, policière complètement submergée par le poids des événements, tentant tant bien que mal de faire son devoir.
Techniquement, la sobriété domine. C’est rectiligne, efficace, parfois nerveux et parfois plus chaotique. C’est d’ailleurs un point intéressant, qui sied tout à fait à ce travail d’enquête au plus près du terrain. On se trompe, il y a des temps morts, des détails qui échappent, des erreurs, parfois grossières. Le rythme du film s’en ressent et d’aucuns pourront y trouver un temps plus faible, au milieu du film, lorsque l’enquête patine. C’est justement ceci qui m’a plu. Ce n’est pas une enquête parfaite, c’est une enquête qui réussit grâce à de la chance, ce petit coup du destin qui alimente les réflexions de personnes très humaines, très imparfaites donc, emportées dans les tourments d’un événement hors norme, tandis que se profile une paire de baskets orange fluo.
Quels sont les usages, les leçons que l’on pourrait tirer de ce film sans suspense réel ?
Comme évoqué, tout tient sur la seule enquête. Novembre ne permet presque pas d’analyser les tenants et aboutissants du terrorisme islamique, dans ses ferments les plus profonds. Ce film est par contre un très bon témoignage du fonctionnement des services de sécurité de l’État. Dans cette perspective, il est des plus intéressant de retrouver le thème, maintes fois évoqué par ailleurs, de la compétition entre les services. Tel service dispose d’une information, mais ne la donne pas à un autre service, pour des raisons multiples, dont la compétition interne, sous le regard du politique, n’est pas des moindres. Or, ces difficultés à échanger ont pu avoir des conséquences dramatiques, retardant l’enquête et permettant des évasions.
Novembre permet de passer de la rue, du terrain, au travail dans les bureaux. Prendre du temps à analyser des données, sans savoir vraiment ce que l’on cherche. Le manque de sommeil, la fatigue, les coups de sang, les intuitions sont au cœur de processus de décision complexe. Encore mieux, servi par les images des télévisions de l’époque, la place des politiques est à interroger. Rapidemen,t François Hollande parle de guerre. Il faut des résultats. On a une piste, pour montrer à la population que le gouvernement agit, on bombarde un camp présumé accueillir le cerveau des attentats. L’information se révèle avoir été mauvaise, mais il fallait montrer que l’on agit. Quoi de mieux que de voir des Rafales décoller, dans la nuit, pour porter le feu vengeur de l’État. À plusieurs reprises des représentants de l’exécutif, directeur de cabinet, mettent la pression : « il faut avancer. Pourquoi vous ne trouvez rien ? Trouvez, et vite. »
Ce film est à mon sens un très bon exemple de l’emballement du temps. Les émotions annihilent petit à petit la réflexion. Il faut agir et parler. Il faut communiquer. Bien entendu, ces attaques sont terribles. Mais tout aussi évident est-il que la France n’est pas en guerre. Que le discours à Versailles du 16 novembre répond à une émotion juste, mais que le terme de guerre a l’épaisseur de l’analyse de Georges W.Bush déclarant la guerre contre le terrorisme, après les attentats du 11 septembre 2001. Pour rappel, déclarer la guerre à un concept, c’est le meilleur moyen d’échouer car une guerre se termine par une paix, donc un accord entre deux parties, ou la destruction de l’adversaire. Détruire un concept comme le terrorisme s’apparente au supplice de Tantale nourri de « yakafocon ». Les attentats, la guerre, sont autant de clés qu’il faut analyser dans le cadre de nos enseignements de spécialité en Terminale, mais aussi dans le tronc commun en Terminale, ou en Troisième. La guerre en Ukraine rappelle malheureusement ce qu’est la guerre, à savoir une litanie de morts et d’attaques quotidiennes. Sans même parler de la guerre contre un virus, concept encore plus absurde nourri par l’émotion, ce film peut servir, justement par le choix de Cédric Jimenez, à rappeler un élément essentiel. Il ne s’agit pas, suite aux attentats de faire la guerre, mais bien de mener un travail d’enquête, de police, pour protéger les populations et nourrir la justice.
Ce travail est le fruit d’hommes et de femmes dévoués, qui essaient de faire de leur mieux, durant 5 jours. Le point de vue est celui de ces équipes de policiers, de la BRI, de celui qui va devoir défoncer une porte sous le feu de terroristes déterminés à mourir en martyrs, comme de ceux qui sont vissés sur une chaise à essayer de trouver des postes ou à répondre au téléphone pour trier rumeurs et informations en tous genres. Ce film a pu profiter de divers témoignages, ce qui en fait une source tout à fait pertinente, à mettre en perspective avec d’autres travaux. La place des victimes, y compris dans l’entourage proche des terroristes, est aussi à creuser, à mettre en perspective.
Bien entendu, les procès en cours doivent permettre aussi de compléter ce travail de mémoire et d’analyse.
Un film de qualité, efficace, que je recommande vivement.
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Chi-Fou-Mi Productions, France 2 Cinéma, Studiocanal / 2012 / 1h 40min / Policier
Titre original Novembre
Réalisateur : Cédric Jimenez
Scénariste : Olivier Demangel
Musique : Guillaume Roussel
Avec
Jean Dujardin, Anaïs Demoustier, Sandrine Kiberlain, Jérémie Renier, Lyna Khoudri, Sami Outalbali