Ce film que nous avons pu voir quatre mois avant sa sortie en salles, un privilège dont nous remercions notre partenaire Parenthèse cinéma, retrace la trajectoire entre 1820 et 1848 de ces jeunes révolutionnaires, des intellectuels et philosophes dans les débats fondateurs du mouvement socialiste.
Les premières images du film montrent la violence des relations sociales dans les campagnes, sans doute de Prusse orientale, avec cette scène où les gardes forestiers chargent à cheval et sabre au clair les journaliers qui ramassent le bois mort dans la forêt du seigneur, le junker.
Le spectateur se retrouve projeté ensuite dans ces milieux intellectuels, organisés autour de périodiques à parution épisodique, comme la gazette rhénane, où le jeune Marx, fils de rabbin converti au protestantisme, croise la trajectoire des jeunes hégélien, auxquelles ils se rattache au départ, mais aussi Max Stirner, un théoricien très peu connu de l’anarchisme.
Dans le même temps, dans les filatures en Angleterre, à Manchester, propriété des familles Fermen et Engels, une ouvrière irlandaise Marie Burn’s croise le regard du fils du patron, le jeune Frédéric qui prend conscience de l’exploitation dont les ouvriers d’industrie sont les victimes.

Un foisonnement intellectuel

Le jeune Marx avec son épouse Jenny se retrouve en France, et vit pauvrement de quelques articles qu’il a beaucoup de mal se faire payer. C’est à ce moment-là qu’il est en contact avec Proudhon, qui apparaît comme le maître théoricien du mouvement social et qui propose une organisation coopérative de la production, alternative au système capitaliste.
Le clivage qui commença à apparaître entre le socialisme « scientifique » et « utopique », est assez bien montré dans les dialogues qui sont conduits simultanément d’ailleurs, en fonction des lieux et des personnages, en français, en anglais, et en allemand.
Dans ce débat on voit également apparaître l’ami, mais aussi le futur adversaire de Karl Marx, Mikhaïl Bakounine, l’un des théoriciens majeurs de l’anarchisme. Entre les deux hommes la discussion qui n’a pas encore conduit au clivage postérieur à 1848, repose sur le lien que l’on peut effectuer entre le matérialisme et la dialectique de Hégel. Marx et Engels se rencontrent chez Ruge, l’éditeur de cette revue publiée à Paris et le second invite le premier à s’initier à l’économie politique en découvrant les œuvres de Smith et de Ricardo.
Paris semble être devenue la ville où tous les destins se croisent, et dans l’atelier du peintre Courbet, qui effectue le portrait de Proudhon, on retrouve Marx et Bakounine, accompagné de Engels.
Ce travail particulièrement fécond sur l’analyse de l’économie capitaliste est présenté dans le film par une rencontre avec des représentants du patronat, (1h17), qui montre de façon extrêmement claire la formation des prix et de la valeur, et sa relation avec l’exploitation.
Les fondements théoriques de la pensée socialiste s’élaborent peu à peu, reste à passer à la phase organisationnelle. C’est à l’occasion du congrès de Bruxelles que la « ligue des justes » qui réunissaient les différents penseurs autour d’une approche théorique, se transforme sous l’impulsion de Engels en ligue des communistes. On assiste alors à une forte opposition entre Marx partisan d’une révolution et Weitling, un des premiers penseur allemand du communisme mais favorable à une transformation graduelle. Le débat qui se profile en filigrane est bien celui de la démarche autoritaire de transformation de la société, un débat qui sera poursuivi et qui aura jusqu’à la rupture au moment de la création de la première internationale, entre Bakounine et Marx.
Le film se termine par l’écriture de ce manifeste du parti communiste, publié en 1848. Marx accompagné par son épouse Jenny, Engels par sa compagne Marie Burns, rédigent et corrigent, « sur la table de la cuisine », ce texte majeur qui allait révolutionner le monde.

La construction du mouvement ouvrier

Ce film est porté par une image de grande qualité. Tous les plans sont particulièrement léchés, le spectateur rentre véritablement au cœur de ces discussions qui pourraient sembler ardues et bien théoriques. Le passage d’une langue à l’autre montre remarquablement l’atmosphère d’effervescence intellectuelle qui allait traverser l’Europe au tournant du XIXe siècle. Ces hommes se connaissent, s’apprécient, mais ils ont bien conscience que les mots qu’ils tracent sur le papier vont transformer le monde. À la mort de Marx, c’est Frédéric Engels qui terminera son œuvre, une œuvre inachevée forcément puisque l’objet de cette œuvre, « le capital » est en perpétuelle évolution.
Mais cet espoir de transformation sociale, que l’on a voulu aussi associer à une transformation de l’homme demeure. On est d’ailleurs assez étonné lorsque l’on assiste à ces congrès « internationaux » qui ne réunissent que quelques dizaines de personnes. C’est pourtant à partir de ces petits noyaux d’intellectuels, que peu à peu la pensée socialiste se diffuse, et le film montre bien que c’est plutôt Frédéric Engels qui se préoccupe de questions d’organisation de ce mouvement ouvrier en gestation.
Ce film pourrait parfaitement s’intégrer dans un cours d’histoire de première, pour le premier Thème 1 – Croissance économique, mondialisation et mutations des sociétés depuis le milieu du XIXème siècle (9-10 heures) Mutations des sociétés.
En réalité, cette dimension sur la formation du mouvement ouvrier ne semble pas avoir été la préoccupation majeure des concepteurs de ce programme. Ces savoirs devraient en théorie apparaître à la fin de la classe de seconde « 1848 : révolutions politiques, révolutions sociales, en France et en Europe », nous savons bien que la fin de l’année n’est pas véritablement la plus propice pour cela.
Rien n’interdirait alors de reprendre ce film en classe de philosophie, notamment dans les séries économiques, où il pourrait servir de support pluridisciplinaire un travail de réflexion théorique sur la construction d’une doctrine et d’un modèle politique.

Présentation du distributeur

1844. De toute part, dans une Europe en ébullition, les ouvriers, premières victimes de la “Révolution industrielle”, cherchent à s’organiser devant un “capital” effréné qui dévore tout sur son passage.
Karl Marx, journaliste et jeune philosophe de 26 ans, victime de la censure d’une Allemagne répressive, s’exile à Paris avec sa femme Jenny où ils vont faire une rencontre décisive : Friedrich Engels, fils révolté d’un riche industriel Allemand.
Intelligents, audacieux et téméraires, ces trois jeunes gens décident que “les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde, alors que le but est de le changer ». Entre parties d’échecs endiablées, nuits d’ivresse et débats passionnés, ils rédigent fiévreusement ce qui deviendra la “bible” des révoltes ouvrières en Europe : “Le manifeste du Parti Communiste”, publié en 1848, une œuvre révolutionnaire sans précédent.

fiche technique

  • Réalisation: Raoul Peck
  • Scénario: Pascal Bonitzer et Raoul Peck
  • Chef-opérateur: Kolja Brandt
  • Décors: Benoît Barouh et Christophe Couzon
  • Costumes: Paule Mangenot
  • Coiffure/maquillage: Anne Moralis
  • Son: Jörg Theil et Benoît Biral
  • Montage: Frédérique Broos
  • Musique: Alexei Aigui
  • Casting: Sylvie Brocheré
  • Produit par Nicolas Blanc, Rémi Grellety, Robert Guédiguian, Raoul Peck
  • Coproduit par Benny Drechsel, Karsten Stöter, Patrick Quinet

France, Belgique, Allemagne
Visa: 114 370
Scope
Son Dolby 5.1

  • Presse: Marie Queysanne assistée de Sara Bégler

festivals / récompenses

FESTIVAL DE BERLIN 2017
Sélection Officielle Hors Compétition