Voir ou revoir le film de Robert Guédiguian “L’armée du crime” en 2024 est une expérience intéressante. Au moment où Missak et Mélinée Manouchian font leur entrée au Panthéon, L’armée du crime, sorti sur les écrans en 2009 et qui relate l’histoire du “groupe Manouchian”, est plus que jamais d’actualité.
Des étrangers morts pour la France…
Le film s’ouvre par une séquence très forte. Le fourgon de prisonniers qui conduit les membres du groupe Manouchian vers le Mont Valérien pour y être fusillés longe les quais de la Seine baignés de lumière. La caméra s’arrête un instant sur le visage de chacun des condamnés, jeunes pour la plupart, pendant qu’une voix “off” égrène le prénom et le nom de chaque supplicé, suivi d’un “mort pour la France”, prononcé comme en écho au poème d’Aragon : “Vingt et trois qui donnaient leur cœur avant le temps, Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant “ qui criaient la France en s’abattant”.
Le ton est donné : le film de Guédiguian est un film qui s’inscrit dans l’histoire de la Résistance et qui se veut en même temps un hommage appuyé à ces hommes tombés pour une certaine idée de la France. C’est le film d’un cinéaste engagé, d’origine arménienne comme Manouchian, et qui n’a jamais caché ses opinions politiques de gauche.
Le récit avant la chronologie…
Le cinéaste s’attache à reconstituer l’histoire du “groupe Manouchian”, de sa formation à son arrestation. Cependant, il reconnaît, à la fin du film, que pour les besoins de la narration filmique, il s’est parfois affranchi de la chronologie des faits. C’est le cas en particulier lorsque la rafle du vel’ d’hiv’ est évoquée, dans la deuxième partie du film. Il y a là une incohérence chronologique avec la période d’activité du groupe Manouchian. Mais pouvait-on évoquer cette histoire qui se passe à Paris et dont de nombreux protagonistes sont juifs, en omettant la rafle du Vel’ d’hiv?
Cette remarque étant faite, saluons le travail de reconstitution historique, à la fois du Paris de l’Occupation et de certains faits avérés : par exemple, la visite de Mélinée à son mari en 1940 au camp d’internement, l’arrestation de Manouchian sur les bords du canal ou bien encore les tortures auxquelles les membres du groupe arrêtés sont soumis.
Des destins croisés, un combat commun…
L’autre défi du film était de ne pas tomber dans l’hagiographie et de donner vie à des personnages qui ne soient pas des caricatures de héros résistants. Si Manouchian est le personnage principal, R. Guédiguian a eu l’intelligence de donner une place importante à d’autres figures : Mélinée bien sûr mais aussi Thomas Elek, le lycéen brillant ou bien encore Marcel Rajman, le meilleur tireur du groupe et d’autres encore dont le rôle est moindre, comme André Krasucki pour lequel Guédiguian a manifestement beaucoup de sympathie.
On suit ainsi des personnages qui ont un passé, une vie, des passions, des doutes aussi (en premier lieu, les doutes de Manouchian sur l’usage de la violence). Ses destins croisés mettent ainsi en évidence quelques ressorts de l’engagement et de l’action résistante. Etrangers, apatrides parfois, ces hommes et ces femmes sont des persécutés qui ont trouvé refuge dans la France, “patrie des droits de l’homme” : arméniens rescapés du génocide, Juifs de l’Est fuyant l’antisémitisme, militants italiens antifascistes, républicains espagnols vaincus… La Résistance est pour eux autant affaire de survie que de conviction.
Une résistance communiste
Ce qui unit les résistants du “groupe Manouchian”, c’est l’adhésion au communisme, c’est à dire ici à une foi en un monde meilleur et plus fraternel. Cette dimension idéologique n’occupe pas une place centrale mais elle est présente tout au long du film : faucille et marteau dessinés sur les murs, l’Internationale en fond sonore. Le cinéaste n’occulte pas le fait que Manouchian obéit aux ordres du PCF clandestin qui lui même est sous la coupe de Moscou. Ce rapport de subordination est incarné par le représentant clandestin du PCF, un personnage désagréable au fort accent slave, auquel Manouchian se résoud à obéir.
Quelle est l’armée du crime ?
Le titre du film renvoie au slogan de l’affiche rouge placardée sur les murs de Paris, au printemps 1944. C’est cette affiche qui, paradoxalement, a contribué à faire passer les résistants du groupe Manouchian à la postérité.
Mais, s’il y a bien une “armée du crime” décrite dans le film de Guédiguian, c’est celle formée par les nazis et de tous les collaborateurs capables des pires excès : policier compromis, salaud ordinaire incarné à la perfection par J.P Daroussin, brigades spéciales du commissaire David chargées des basses besognes. (Qu’on se rassure, il y a aussi un policier résistant!)
L’armée du crime est donc un film sur la Résistance mais c’est aussi un film sur la France de Vichy qui collabore…
La première séquence du film de Robert Guédiguian était comme un appel à une reconnaissance nationale du groupe Mnouchian. Mercredi 21 février 2024, 80 ans après l’éxécution du Mont Valérien et 15 ans après le film de Guédiguian, ce voeu est exaucé.