Diffusée depuis 2016 par Netflix, la série The Crown suit le quotidien d’Elisabeth II et de sa famille depuis les années 1950. La saison 4, accessible depuis le 15 novembre 2020, revient en dix épisodes sur la décennie Thatcher. En bonne fidèle de cette série depuis quatre ans, je ne résiste pas au plaisir de donner mon avis.
Je ne m’étendrai pas sur les décors, les costumes, la musique et le jeu d’acteurs. Tout est globalement de grande qualité et même en progrès par rapport aux saisons précédentes. Je pense notamment aux éclairages, bien mieux dosés que dans la crépusculaire saison 1.
Un survol des grands événements de la décennie 80
Parlons plutôt du traitement historique de la période. Sur le papier, la série aborde la question irlandaise, les difficultés du Commonwealth (Australie), l’Apartheid
, la guerre des Malouines et bien entendu les réformes structurelles de Margaret Thatcher. Mais rien de très concluant n’en ressort. Cette série botte en touche dès qu’il est question d’une approche un tant soit peu politique du sujet.
Tout est toujours ramené à l’anecdote. L’IRA se résume à la mort de Lord Mountbatten, père spirituel du prince de Galles. L’Apartheid ou la visite en Australie à une sorte de compétition entre la reine et Margaret Thatcher dans le premier cas, la reine et la princesse de Galles dans le second. Même les réformes de Margaret Thatcher restent allusivement présentées.
D’une certaine façon, heureusement qu’il y a eu M. Fagan dans l’épisode 5, du nom de cet homme qui a fait irruption dans la chambre de la reine, pour rappeler le coût social des années Thatcher. Mais là encore, on en reste à la surface. L’individu est vite rangé parmi les « déséquilibrés ».
Le phénomène Lady Di
«The Crown», saison 4: ce qui est vrai, ce qui est faux Ellin Stein — 24 novembre 2020 à 7h00
La dernière saison des aventures de la famille royale est tirée de faits réels. Mais pas que.
Bien entendu, une place importante est accordée à l’entrée dans la famille royale de Diana Spencer, depuis sa rencontre avec le prince de Galles jusqu’à l’échec de son mariage. La série a su éviter habilement quelques écueils. Rien de la cérémonie de mariage n’a été retranscrit par exemple. Tout juste voit-on la future princesse de Galles dans sa fameuse robe meringue. Ajouter quelque chose aurait sans doute plongé l’épisode dans le ridicule d’une reconstitution en carton pâte, autant que la production dans les affres financiers.
De même, la série n’a pas vraiment pris parti dans les divisions entre le prince et la princesse de Galles. On se souvient avec quelle émotion l’opinion publique mondiale avait suivi les funérailles de Lady Di en 1997. Certains avaient même appelé à la canonisation de la défunte ! D’autres avaient estimé que les frasques privées du prince de Galles le disqualifiaient définitivement pour le trône.
Même si la jeune femme a un charme incontestable et que l’on insiste sur sa profonde solitude, la série n’occulte pas l’ambiguïté du personnage. Le jeu d’Emma Corrinn est suffisamment subtil pour osciller entre candeur et minauderie, entre spontanéité et calcul, entre décision et caprice. Même les prétendus « faits d’armes » de la « princesse des cœurs » en faveur de l’intégration sociale des malades du Sida et des Noirs Américains lors de la visite aux Etats-Unis sont présentés suffisamment rapidement pour que l’on doute de la profondeur de son engagement personnel.
Une série assez peu monarchiste
Le moins que l’on puisse dire est que The Crown a l’art de ne pas nous faire aimer les Windsor. Tout ou presque les rend antipathiques. Plusieurs épisodes reviennent longuement sur le caractère passéiste de cette famille, aux antipodes des valeurs contemporaines.
La famille royale pratique la chasse. Et avec passion. Dès l’épisode 2, là voilà qui annule tous ses engagements officiels pour abattre un cerf perdu sur les terres de Balmoral. À table, on parie sur celui qui pourra apposer son nom sous le prochain trophée au mur.
La famille royale exclut les personnes handicapées. Dans l’épisode 7, la princesse Margaret découvre que sa mère a caché ses nièces handicapées mentales dans un asile sordide. On s’émeut mais au bout de quarante minutes, aucun changement à l’horizon.
La famille royale est cruelle et a produit une génération de princes médiocres et désenchantés. Dans l’épisode 4, la reine mesure combien, malgré l’argent et les honneurs, ses enfants sont malheureux, superficiels et à la moralité douteuse.
The English Game, une série de Netflix
La reine elle-même n’échappe pas à la critique. Plusieurs fois, elle paraît à l’écoute, compatissante, posée. Mais le plus souvent, on peine à distinguer ce qui relève du sens du devoir et du déni organisé. La fameuse neutralité du monarque confine à la lâcheté, pour ne pas dire à l’indifférence.
En l’absence de sources hors des fonds de poubelles prélevés par d’anciens employés mécontents, comment interpréter les silences de la reine, la vraie ? Les scénaristes ont émis plusieurs hypothèses. Les deux premières saisons ont avancé l’inexpérience et la timidité de la reine. Progressivement, la fidélité à la mémoire de Georges VI ou une certaine lecture constitutionnelle auraient justifié la mise à distance de Buckingham.
Quelle épine dorsale pour la reine ?
La saison 4, avec une reine quinquagénaire et déjà grand-mère, ne peut plus tenir cette partition. Après dix épisodes, une nouvelle thèse creuse le sillon entamé dans la saison trois. La reine serait inconsistante. D’une certaine façon, même le prince Charles, entre deux auto-apitoiements, avec son engagement pour l’agriculture bio ou son goût pour la littérature, avance un choix de société. La reine, elle, porte la couronne mais ne l’incarne pas vraiment.
Elle adopte le style de vie de l’aristocratie anglaise avec ses parties de chasse et l’équitation mais sans enthousiasme ni passion. Elle dit s’intéresser à ses sujets mais dans le fond, on ne la voit jamais avec eux. Quoique chef de l’Église anglicane, elle ne témoigne d’aucune spiritualité particulière. Elle est capable de pronostiquer les noms des membres d’un futur gouvernement comme d’autres parient sur les scores de Wimbledon, pour passer le temps.
Tout cela n’est guère flatteur.
D’une certaine façon, la série colle de très près à nos représentations de la famille royale. Les Windsor sont les vestiges d’une époque révolue, les acteurs d’un spectacle dont on se demande s’il passera le siècle.