Excalibur. Lorsque j’ai commencé à réfléchir à ce petit dossier sensoriel, à cette quête d’un retour au Moyen-Âge à travers l’écran, Excalibur s’est imposé tout en haut de ma liste. Encore fallait-il trouver le bon moment pour le proposer. Quoi de mieux qu’une présentation de cette œuvre magnifique pour la nouvelle année ? Comme je l’avais évoqué pour ma centième sur senscritique, Excalibur est un film à part dans la galaxie. Ce billet va reprendre la structure de ce texte, à peine mis à jour, 9 ans plus tard.
À travers le temps, Excalibur est éternelle
Excalibur demeure tout d’abord une madeleine de Proust. N’attendez donc aucune limite dans mon amour pour ce film, aucune volonté d’être rationnel et juste. Fondamentalement, je peux lire les critiques mais je ne changerai pas : Excalibur est un film grandiose, sensoriel et il ne pouvait être occulté de cette liste.
Il y a des films qui empruntent les dimensions de Saga ou de Kanon des Gémeaux. Ces œuvres qui évoquent immanquablement un sentiment diffus, une odeur, un lieu. Nous savons exactement où nous étions, avec qui, lorsque le générique se déroula, pour la première fois, sous nos yeux. Les années 1980. À l’époque, je jouais aux LDVH, je m’attendais à une invasion soviétique et j’avais déjà monté mon réseau de résistance dans le futur réduit breton qui, valeureux, ne se rendrait évidemment pas. Il faut dire que j’avais vu Red Dawn (L’aube rouge) et que je me disais qu’il valait mieux prévoir.
Je me souviens qu’une fois de plus le pion (c’est affectueux, je sais bien qu’il s’agit d’assistant d’éducation. Et oui, en 9 ans une chose a changé : les ravages des Torquemada de Truiteur et autres réseaux sociaux 2.0 imposent de prendre quelques gants) avait un mal fou à nous empêcher de hurler entre deux parties de babyfoot et de billard. Comme rarement en Armorique, il pleuvait dehors. Alors, le pion s’en alla. Il revint quelques minutes plus tard avec un magnétoscope et une cassette. Je ne le savais pas encore, mais j’allais basculer, comme Conan m’avait déjà emporté avec lui, mais de manière encore plus irrémédiable.
Dans le chaos le plus absolu, le film se lança. À ce moment là, je ne jouais plus, j’étais en 14, mort, occis, pourfendu, écrabouillé bref, hors jeu. À l’époque nous découvrions ces Livres Dont Vous Êtes le Héros grâce au cycle de la Quête du Graal. Le pion, il nous l’a dit plus tard, y jouait aussi et avait décidé ce jour-là de nous mettre sous les yeux les aventures de Pip et Excalibur Junior que nous découvrions à travers ces pages, aujourd’hui jaunies.
Une constellation ; je reconnais Orion. Bien vu, le nom s’affiche. Chouette, un film de SF ! On n’entend pas grand chose et un cri retenti : LA FERME ! Nous sommes à une époque où ces injonctions marchaient encore assez bien, alors silence. Le son à fond, la musique s’empare de l’espace à grands coups de stéréo crépitante. Wagner, Marche funèbre de Siegfried.
Le tambour. Le texte. Comme Conan, nous plongeons dans des âges terriblement envoûtants, les âges sombres. Je découvris plus tard que ça n’avait rien à voir mais pas grave, j’étais happé.
Le sorcier Merlin
La venue d’un Roi
Une épée de pouvoir Excalibur
Irrémédiablement foutu. Bercé aux légendes bretonnes, le pion savait que nous n’avions aucune chance. Le pouvoir de la musique n’était même pas nécessaire, mon petit groupe et, bientôt toute la salle, se tût en considérant Merlin émerger de la brume. Bataille violente, dragon, femme prise sauvagement, bataille sauvage, code d’honneur, violence, amour, trahison, charge désespérée, final grandiose : Excalibur est le premier film qui m’a fait pleurer.
Anal Nathrach, udhras beothadh, dochioll dian fe
Plus qu’un film, plus que l’histoire du Roi Arthur, Excalibur est la quintessence de l’épopée au cinéma. On se moque de savoir que les armures sont totalement anachroniques (mais au passage totalement raccords avec l’époque de Thomas Mallory et de son Roman, Le Morte d’Arthur, paru en 1485, que John Boorman adapte ici), on se moque totalement de l’Histoire de cette Bretagne où l’Empire Romain s’est éteint. Excalibur est un rêve éveillé, bascule dans le cauchemar et s’achève en tragédie hors du temps. Celui qui a réussi à faire porter un slip écarlate et des cuissardes à Sean Connery (si vous n’avez pas la référence pas d’inquiétude, une petite présentation arrivera bientôt), a pris le parti d’une oeuvre totalement surnaturelle, grandiloquente, flamboyante. Il ne traite pas d’Arthur dans l’absolu, mais de cet Arthur que Mallory rêvait pour le XVème siècle, en pleine guerre civile et encore plus d’Excalibur, parabole d’une unité perdue … On y verra un jeu d’acteur caricatural, des effets pompeux, un film qui ne supporte pas le poids de ses 40 ans (j’avoue la version bluray pose question quant aux scènes de brumes…). Et bien si, tant pis. Et puis inutile de perdre de temps à convaincre les aigris. C’est une question de charme.
Anal Nathrach, udhras beothadh, dochioll dian fe
Ici, la violence est belle. Ici, la tragédie grecque rencontre de plein fouet un Moyen Âge crasseux, sublimé et fantasmé par Thomas Malory. Ygraine nous envoûte, Perceval émeut, Morgane fascine autant qu’on la hait de s’attaquer ainsi à Arthur, à la fois grand et naïf. Lancelot est beau et tragique, Uther est odieux et Merlin … Merlin est le plus beau magicien de la création. Merlin le sournois, Merlin le perfide, Merlin le sombre et le clair, Merlin et le dragon. Plus jamais je n’ai vu tel magicien, Gandalf et Saroumane étant bien loin de lui arriver à la cheville. Il n’est pas question d’être rationnel, j’avais prévenu.
Au-delà de Wagner et des Carmina Burana de Carl Orff, de la photo juste géniale, le film vaut aussi, avec le recul pour ces acteurs jeunes et plein d’avenir dont certains seront des grands : Nicholas Clay, Paul Geoffrey, Ciarán Hinds, Gabriel Byrne et surtout l’immense Liam Neeson. La palme du bon goût ? Avoir fait du Dragon non une bête, mais une brume.
Anal Nathrach, udhras beothadh, dochioll dian fe
Une épopée sauvage qui n’a pas vieilli au même titre que celle de Gilgamesh. Là où un Kurosawa peint la pellicule dans Ran, Boorman use et abuse de la lumière, des éclats et des ténèbres pour s’imprimer dans nos rétines.
Exalibur est un fantasme, mon fantasme.
Anal Nathrach, udhras beothadh, dochioll dian fe
Ce jour là, le futur avait pris racine dans le présent. Merlin le savait. On ne peut résister au Dragon.
Si vous avez résisté au charme, reste l’intro.
Si vous résistez toujours, et bien dommage pour vous.
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Excalibur est un envoûtement sensoriel. Nous verrons si le prochain film présenté permettra de retrouver ces moments d’extases. Le dossier final permettra de le replacer dans un contexte plus large mais, en attendant, que souffle le dragon vous emporte.
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Place au réalisateur, au génial démiurge.
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Fiche technique
Orion Pictures / 1981 / 2h 20min / Fantasy
Titre original Excalibur
Réalisateur : John Boorman
Scénariste : John Boorman, Rospo Pallenberg, d’après le livre de Thomas Malory
Musique : Trevor Jones, Carl Orff (Carmina Burana), Richard Wagner (Le Crépuscule des dieux, Parsifal, Tristan und Isolde)
Avec Nigel Ferry, Helen Mirren, Nicol Williamson, Cherie Lunghi, Gabriel Byrne, Paul Geoffrey, Liam Neeson, Paul Geoffrey, Ciarán Hinds