Beaumarchais l’insolent 20 mars 1996 (1h 40min)
Réalisé par Edouard Molinaro
Avec Fabrice Luchini, Sandrine Kiberlain, Manuel Blanc

Beaumarchais, sa vie, son œuvre théâtrale, constituent un prisme pertinent pour aborder, en classe avec les élèves au collège (4ème) comme au lycée (2nde), la problématique de la société d’Ancien Régime en France, à la fin du XVIIIème siècle.
Ainsi, l’existence de l’écrivain illustre bien les changements sociétaux en cours en France depuis, au moins, le règne de Louis XIV : l’ascension freinée et contrariée d’une partie du tiers état, la bourgeoisie.
Cette petite activité se propose d’utiliser l’adaptation cinématographique de la vie de Beaumarchais, Beaumarchais l’insolent, réalisée en 1994 par Edouard Molinaro avec Fabrice Luchini dans le rôle titre. Même si Cinehig compte déjà une proposition pédagogique à partir de ce film, ici, les deux extraits étudiés sont différents.
L’objectif pédagogique est d’illustrer le changement de paradigme qui a cours dans la société d’Ancien Régime, ainsi que les tensions et les protestations qu’il suscite au travers de la vie d’un écrivain, représentant des Lumières.

Les deux extraits choisis, les travers de la société d’Ancien régime

Les deux scènes choisies prennent place au début du film (11ème et 21ème minutes), lorsque Beaumarchais n’est pas encore cet écrivain auréolé des succès de ses pièces de théâtre mettant en scène le fameux Figaro. A cette occasion, on rappelle que ce film est une fiction d’ordre historique et que les dialogues sont imaginaires même si les scènes sont inspirés de faits avérés.
Ces deux scènes ont en commun de montrer les démêlés de Beaumarchais avec la hiérarchie sociale et le pouvoir de la société d’ordres.
Dans le premier extrait, on voit Beaumarchais arriver dans un palais de justice, à Paris, pour y exercer une modeste charge de lieutenant des chasses royales. Il s’agit de la capitainerie des chasses de la Varenne du LouvreLa « capitainerie ou le baillage de la Varenne du Louvre, Grande Vénerie et Fauconnerie de France », établie le 25 mars 1594 et placée sous l’autorité du Grand Veneur de la Maison du roi. Son ressort englobe les forêts entourant Paris de part et d’autre des deux rives de la Seine, de Meudon au Perreux et de Villeneuve-le-Roi au Bourget. Trop vaste, la capitainerie sera ensuite progressivement démembrée : de nouvelles capitaineries sont créées à Vincennes en 1676, aux Tuileries en 1705, enfin à Meudon en 1773. , siégeant donc, dans le château parisien. Juge, il doit ainsi statuer sur des différents concernant les réserves de chasses, ici royales.
Dans le cas présenté, un paysan a vu son murIl pouvait en effet être interdit d’enclore les champs, de couper des bois taillis, de faucher les près avant certaines époques et de tuer le moindre gibier même pour protéger ses cultures. détruit par la meute du Prince de Conti lors d’une partie de chasse. Beaumarchais, à la surprise de l’assistance, statue en faveur du paysan et contre le prince de Conti, pourtant de la famille des Bourbons, au motif que « Attendu qu’un homme, fût-il de sang royal, ne saurait être au-dessus des lois qui régissent le commun des mortels ».
S’ensuit un duel avec le duc de Chaulnes qui fait irruption dans la salle d’audience pour défendre et laver son honneur de gentilhomme car Beaumarchais lui aurait « volé » une de ses maitressesLe récit de cet épisode nous est connu par le rapport qu’en fit Paul-Philippe Gudin de la Brenellerie, ami, éditeur et historiographe de Beaumarchais au lieutenant de police, 48h après les évènements (voir en pièces jointes).. Il faut rappeler aux élèves que le duel est interdit.
Finalement, Beaumarchais est arrêté sur ordre du roi pour ses écrits critiques à l’encontre de la monarchie, il est incarcéré à la Bastille.
La deuxième scène proposée est celle où Beaumarchais comparaît devant le Parlement de Paris, le 26 février 1774, à propos de l’affaire Goezman (voir ci-après) qui se solde par un blâme et une interdiction pour Beaumarchais d’exercer une activité publique. Dans l’extrait, l’argumentation de Beaumarchais repose essentiellement sur une dénonciation de la corruption de la justice.
Ce qui est intéressant ici de montrer aux élèves, dans les deux extraits choisis est cette opposition et cette concurrence entre deux légitimités sociopolitiques, d’un côté la naissance (le prince de Conti, le duc de Chaulnes et le Comte de la Blache) et de l’autre l’argent et le talent (Beaumarchais, l’écrivain qui a fait de beaux mariages et hérité d’un nom, d’une terre et acheté une charge anoblissante). Aussi, ce que ce film retranscrit bien est la fameuse « cascade de mépris », selon une expression de Mirabeau, qui parcoure de bas en haut la société d’Ancien Régime au XVIIIème siècle. Et c’est ce phénomène que les élèves doivent bien percevoir pour comprendre les évènements de cette fin de siècle en France, sans pour autant sombrer dans la téléologie.

On pourra ajouter aux questionnaires présentés en pièce jointe, des textes d’appoint tel celui, classique dans les manuels, du Marquis de Bouillé ou des extraits du Mariage de Figaro ou encore, quelques fables à propos de La FontaineUne exploitation pédagogique de quelques fables sera prochainement présentée sur Clio-Lycée..

Beaumarchais ou le symbole d’un changement de paradigme de la société d’Ancien Régime

Dans les deux extraits choisis, il est question de hiérarchie sociale, celle fondée sur le rang, celle fondée sur la naissance. Hors, au XVIIIème siècle en France, se télescopent, de plus en plus, deux légitimités fondant cette hiérarchie sociale, l’ancienne est issue de la naissance, du sang, alors que la nouvelle prend sa source dans l’argent et le talent. Néanmoins, celle de l’argent, si elle contribue de plus en plus à façonner la société française, n’est pas légitimée, reconnue par le pouvoir et rencontre la résistance de l’ancienne. Beaumarchais illustre bien ce paradoxe qu’explique une forme de frustration de la bourgeoisie, tiraillée entre cette volonté d’accéder à la légitimité d’Ancien régime, celle offerte par la noblesse tout en critiquant ses fondements.
La scène dans laquelle Beaumarchais arrive au palais de justice pour présider une séance de doléance concernant les droits de chasse le montre bien puisqu’il évoque sa charge de lieutenance des chasses royales qu’il a acheté, dit-il non sans ironie, pour rechercher les honneurs… Beaumarchais est bien ici un bourgeois de la fin du XVIIIème siècle, il ne cherche pas à substituer une légitimité ou une hiérarchie par une autre, mais au contraire, intégrer celle qui existe et s’y fondre dedans, par l’intermédiaire des titres et du mode de vie noble.

Mais la fermeture de la noblesse, par le mépris notamment mais aussi par la loi tel l’édit de 1781 dit de Ségur imposant aux officiers dans l’armée quatre quartiers de noblesse et crée un goulet d’étranglement au niveau de la haute bourgeoisie qui ne peut convertir sa réussite économique en réussite sociale et donc en ascension dans la société, alors que dans le même temps des nobles, provinciaux, subissent une forme de déclassement économique en sombrant dans la pauvreté.
Ce goulet d’étranglement est alors source de tensions aux formes diverses : rancunes, jalousie, mépris et frustrations d’un côté comme de l’autre…

L’affaire Goëzman ou la justice corrompue d’Ancien Régime

La deuxième scène proposée évoque un épisode célèbre de la vie de Beaumarchais, ses démêlés avec la justice dans le cadre de l’affaire de l’héritage du financier à la Cour, Joseph Paris Duverney, que récupère Beaumarchais, au titre d’associé. Cet héritage est vigoureusement contesté par le comte de La Blache (joué dans le film par Martin Lamotte), légataire universel de Duverney. S’ouvre alors un procès gagné en première instance par Beaumarchais en 1772. Mais, en 1773, Le Comte de La Blache fait appel devant une cour souveraine, le Parlement de Paris. L’affaire est confiée au juge Goezman (interprété ici par Jean Yann) que Beaumarchais tente de soudoyer indirectement par l’entremise de son épouse à qui il offre une montre et cent louis, mais le rapporteur conclut à la nullité de l’acte passé entre le financier et Beaumarchais, ainsi accusé de faux, alors qu’il est déjà emprisonné pour l’affaire du duc de Chaulnes (interprété par Francis Weber. Beaumarchais décide de réagir, depuis sa prison, en répandant dans Paris un bruit selon lequel il aurait versé au juge Goezman cent louis pour seulement obtenir une audience. Le juge Goezman réagit alors en intentant un procès à Beaumarchais pour calomnie. Celui-ci, ne trouvant d’avocat pour le défendre, décide de plaider lui-même sa cause et publie alors Mémoire à consulter en septembre 1793 qui rencontre grand succès de librairie grâce au talent d’écriture de Beaumarchais, relatant les faits comme une pièce de théâtre. Il enchaîne ensuite avec un Supplément au mémoire à consulter dans lequel il tourne l’affaire en dérision. Les époux Goezman réagissent par l’intermédiaire de mémoires interposés, mais avec mois de talents et de succès.
Le débat devenu public force les portes des salons et permet à Beaumarchais de faire connaître ses talents littéraires. Néanmoins, Goezman étant proche du Duc d’Aiguillon, Beaumarchais est condamné au blâme, c’est-à-dire à la perte de ses droits civiques.
Cependant, l’avènement de Louis XVI lui permet de reprendre le procès et d’obtenir en 1776 l’annulation de la sentence (c’est ici que s’inscrit le deuxième extrait étudié) et réussit en 1778 à faire condamner La Blache.

Beaumarchais, comme un signe avant-coureur de la Révolution ?

S’il faut rappeler que la Révolution française était évitable même après le 14 juillet, il faut néanmoins souligner qu’elle constitue l’aboutissement d’innombrables facteurs au premier rang desquels un mouvement de fond, celui du changement de paradigme de la société d’Ancien régime, à savoir le changement de légitimité et de fondement dans la structuration de la société, l’argent et le talent concurrençant peu à peu la naissance et le sang.
Que cette évolution ne conduise pas forcément à une révolution est une affaire du temps court, et du contexte politique du règne de Louis XVI, mais il semble difficile de penser qu’elle ne rencontrerait pas sur sa route les structures sociopolitiques en place et les réformes du règne de Louis XVI ayant échoué, le conflit s’est alors imposé comme modalité du changement.
Beaumarchais comme La Fontaine un siècle plus tôt, ce sont fait les témoins de cette évolution qui parcourt en profondeur la société française depuis le XVI-XVIIème siècle. Mais plus que La Fontaine, homme de cour, Beaumarchais incarne ce changement de paradigme de part son extraction roturière, certes, mais surtout par sa volonté d’ascension sociale, et surtout sa volonté de participer aux affaires du royaume. De plus, il est également homme des Lumières de par le regard acéré, percutant et surtout pertinent qu’il pose sur la société de son temps : une société bloquée, aux institutions corrompues et bousculée par les idées nouvelles.
Néanmoins, Beaumarchais incarne aussi la contradiction qui tiraille la bourgeoisie de cette fin de XVIIIème siècle : accéder au pouvoir et au mode de vie noble tout en dénonçant une société fondée sur la naissance…
Beaumarchais n’est donc pas un signe avant-coureur de la Révolution, mais illustre plutôt les changements sociétaux en cours, donnant lieu parfois à des tensions politiques et sociales mais ne débouchant pas sur un projet lisible de contre-société.

A signaler, une exploitation pédagogique, niveau 4ème :
http://pierre-mera.ac-versailles.fr/spip.php?article223