Proposer un dossier sur la guerre d’Indochine imposait de s’attaquer à l’Éverest incarné par le chef d’œuvre de  Pierre Schoendoerffer, La 317è section.

Rares sont les films de guerre pouvant se targuer d’être aussi aboutis que cette lente plongée dans les entrailles brumeuses et hostiles de l’Indochine. Cette œuvre est culte pour nombre de militaires. C’est un peu comme si Pierre Schoendoerffer, revenant d’Indochine, avait réussi à tirer de sa terrible expérience la quintessence de la guerre vécue par les soldats, quelques soient leurs camps, leurs combats. Quels sont les secrets de ce film qui a si profondément marqué son époque, au point qu’il a conditionné nombre de films ultérieurs ? Ainsi, on ne le sait sans doute pas assez, mais Apocalypse Now, Platoon ou encore Full Metal Jacket doivent énormément au périple de la 317è section.

 

Synopsis

Le 3 mai 1954, en Indochine, une patrouille française cantonnée dans le nord du Laos reçoit l’ordre de rejoindre Dien Bien Phu assiégé par le Viet-Minh…

 

Dien Bien Phu, la fin des espoirs, la défaite et l’honneur

 

 

Dien Bien Phu, après 50 jours de combats acharnés, tombe. Pour les dernières forces françaises et leurs supplétifs seule la retraite offre un espoir. Vers qui ? Vers quoi ? Pour l’honneur, sans espoir de victoire, les hommes du sous-lieutenant Torrens (Jacques Perrin) et de l’adjudant Willsdorff (Bruno Cremer), s’engagent sous le déluge tropical dans une course propice à l’introspection, entre deux embuscades qui déciment petit à petit la troupe.

Dien Bien Phu sert de toile de fond lointaine au drame qui se joue. Il n’est point question ici de combats spectaculaires, de stratégie, de politique, mais bien de coup de mains, au détour d’une colline, d’une rivière, d’un village oublié de tous. On tire sur un ennemi qu’on voit à peine. On cherche le contact même si c’est sans espoir car la guerre est terrible, odieuse, mais ces hommes la regardent en face. L’honneur n’a pas de prix.

 

La figure du sous-officier face à l’officier

 

L’adjudant Willsdorff sert en quelque sorte de fil conducteur à la défaite. Alsacien incorporé de force dans la Wehrmacht, il a tout connu des terribles combats du front de l’Est. Koursk, Le chaudron de Tcherkassy-KorsunVoir la somme de Jean Lopez, Le chaudron de Tcherkassy-Korsun et la bataille pour le Dniepr (septembre 1943 – février 1944), Economica, 2011, l’opération BagrationVoir la conférence organisée avec les Clionautes et le Mémorial Mémorial du débarquement et de la libération de Provence : https://www.youtube.com/watch?v=55GtWRKPB9w, Berlin, furent autant de défaites terribles, de combats à la violence inouïe que l’adjudant traine avec lui. Droit dans ses bottes face à l’optimisme et l’inexpérience du jeune sous-lieutenant Torrens, ce personnage offrira un support tout désigné pour Oliver Stone et ses sergent Barnes et Elias dans Platoon(1986).

 

 Barnes et Elias, entourant le Lieutenant Wolfe. Deux bêtes nées de la guerre pour un officier perdu au milieu du tumulte.

 

Cette figure devenue un lieu commun, le sous-officier qui mène réellement la guerre face à l’officier dépassé ou à peine aguerri, se retrouvera dans de nombreux films ultérieurs, à l’instar du génial Croix de Fer (1977) de l’immense Sam Peckinpah, avec son duo, le Feldwebel Rolf Steiner (James Coburn), le caporal aguerri, dur et sans espoir sur la nature humaine mais désirant sauver ses hommes, et l’officier qui rêve de gloire, quel qu’en soit le prix, sans rien connaître à la nature profonde de la guerre,  l’Hauptmann Stransky (Maximilian Schell).

 

 

La 317è Section n’est pas le premier film de guerre à mettre en scène ce duo que tout semble opposer. Mais, que l’on prenne par exemple Men in War déjà présenté sur Cliociné, de Anthony Mann, malheureusement traduit en français « Côte 465 », l’officier campé par Robert Ryan est tout aussi dur et désabusé que le sergent Montana qui l’accompagne. Assurément le travail de Pierre Schoendoerffer marque une étape majeure.

 

La guerre au ras du sol

 

Le cinéaste a filmé la guerre, la véritable, avec ses caméras. Il l’a vu, vécue, filmée, la mort. Cette intensité indescriptible se retrouve ici, magnifiée par le noir et blanc, les cadrages, les gros plans. Le cinéaste film la vie d’hommes qui s’entredéchirent, plaisantent, tuent, dissertent sur la vie, mangent, essaient sans vraiment y croire de comprendre les tourments d’une guerre, de combats, qui les dépassent. Ils sont là et la 317è section alterne avec sobriété mais une immense beauté cinématographique les tableaux les plus intimes, les plus humains.

 

La guerre dans toute sa dureté, filmée sans artifice.

 

Rire pour survivre …

 

…vive la mort car l’espoir est vain

 

Cette guerre au ras du sol est celle des détails auxquels on se raccroche. Une arme qu’on ne peut pas laisser, une bouteille de vin qui nous sort du tragique, une veste qu’il faut bien porter, le choix d’une cible car, justement, elle ne porte pas de veste. Pierre Schoendoerffer propose ici un film qui se rapproche le plus de la réalité de la guerre, sans artifices, sans jugements. Les populations ne sont pas hostiles. Certains propos peuvent déranger mais ils sont vrais. Le drame s’intensifie clairement dans la seconde moitié du film et l’on sent que ce périple aura du mal à se terminer de façon positive. Mais on s’accroche.

 

Bruno Cremer, Jacques Perrin : porter le film sur de frêles épaules d’acteurs ?

 

Dans une interview fort instructive, Bruno Cremer, immense acteur, minimisait son poids dans la 317è section, renvoyant tous les mérites au réalisateurhttps://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/i00012986/bruno-cremer-a-propos-du-film-la-317eme-section.

Cette approche peut s’entendre mais on ne pourra nier le poids considérable de ces deux acteurs sur la qualité du film. Tout coule de source, comme si nous étions dans un documentaire complètement réel, tourné en ce terrible mois de mai 1954. Il n’est pas de frêles épaules d’acteurs mais celles, solides, de deux hommes au service de leur réalisateur. Ce dernier a su tirer le meilleur des instants partagés avec ses acteurs, et c’est une part majeur de la puissance du film. Cremer et Perrin ne jouent pas, ils vivent.

 

Un film à exploiter avec des élèves ?

 

Ne nous cachons pas derrière notre petit doigt, la 317è section est un film à décortiquer dans les cours de cinéma, c’est une certitude. Pour comprendre la guerre d’Indochine, il peut également servir de support, pour quelques séquences. La guérilla qui se met en place, la lutte révolutionnaire, les « malgrés-nous » représentés par  Willsdorff dans une approche des mémoires de la seconde guerre mondiale. Il permet aussi d’aborder la question des supplétifs qui se sont battus aux côtés de l’armée française et qui sont si peu abordés au cinéma.

Il semble cependant difficile à exploiter tel quel et méritera un gros travail en amont, de mise en perspective. Des propos peuvent choquer, surtout à notre époque où tout peut vite devenir polémique absurde. Plus qu’un film sur la Guerre d’Indochine, la 317è section s’avère être un film intemporel sur la guerre, sur toutes les guerres. C’est une histoire d’hommes, de soldats, profondément humaine et dans ce sens, le film pourrait tout à fait être exploité avec des collègues de lettres et/ou de philosophie. Après tout, il ne faut pas oublier qu’avant d’être un film, ce fut un roman.

C’est un film pour la mémoire, qui reste longtemps imprimé dans nos rétines et s’enfonce profondément dans nos esprits. Un chef d’œuvre majeur.

 

 

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Fiche technique

France / 1965 / 1h 40min / Guerre, drame

Titre original : La 317è section

Réalisateur : Pierre Schoendoerffer

Scénaristes : Pierre Schoendoerffer, d’après son roman La 317e Section

Musique : Pierre Jansen et Gregorio García Segura

Avec

Avec : Bruno Cremer, Jacques Perrin, Pierre Fabre, Manuel Zarzo, Boramy Tioulong